Football : les bons comptes de l’attaquant Faneva Andriatsima
Football : les bons comptes de l’attaquant Faneva Andriatsima
Propos recueillis par Alexis Billebault (contributeur Le Monde Afrique)
L’attaquant international malgache, qui va quitter le club de Créteil, en Ligue 2, a accepté de parler d’argent.
L’attaquant international malgache, battu le 5 juin avec sa sélection par la RD Congo (1-6) en qualification pour la CAN 2017, va quitter Créteil, relégué en National. Ce joueur, qui a effectué l’essentiel de sa carrière en L2 et en National, a accepté de parler d’argent et de la façon dont il gère le sien.
A Madagascar, son père est employé au service des douanes de l’aéroport international d’Ivato, et sa mère élève ses quatre enfants. Elle améliore l’ordinaire en s’occupant d’une petite épicerie de quartier à Antananarivo. Leur quotidien est moins pénible que 90 % des Malgaches qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Faneva Andriatsima vient donc de la classe moyenne – « Le salaire moyen tourne autour de 70 euros, et mes parents gagnaient un petit peu plus » – a étudié dans une école catholique et a obtenu son bac en 2001. En fin de contrat à Créteil, le buteur des Scorpions gagne correctement sa vie, mais pas au point de vivre de ses rentes une fois sa carrière terminée.
Peut-on vivre du football à Madagascar ?
Non. Je suis parti à l’île Maurice à 19 ans, dans le club de Faucon Flacq Centre, où je gagnais un peu plus de 100 euros par mois. Je suis revenu rapidement dans mon pays, à l’USCA Foot, où on me remboursait seulement les frais de transport. Mon objectif était d’aller jouer à La Réunion, où on peut gagner 3 000 euros par mois. Et c’est grâce à un de mes contacts là-bas que j’ai pu faire un essai à Nantes, alors en Ligue 2, puis y signer mon premier contrat professionnel, d’un an, à 2 400 euros bruts par mois, en juin 2007. Il y avait aussi des primes de 110 euros avec l’équipe réserve. Et quand j’ai joué avec l’équipe A, je me rappelle d’une prime de 1 000 euros après une victoire à Sedan en Coupe de la Ligue.
Que faisiez-vous de votre argent ?
J’habitais au centre de formation de Nantes. J’étais nourri et logé. C’était plus simple pour moi, car ce n’est pas facile de passer de Madagascar à la France. Je gardais donc un peu d’argent pour des dépenses comme le téléphone ou les vêtements, mais le plus gros de mon salaire partait à Madagascar, pour agrandir la maison familiale de deux étages.
En janvier 2008, j’ai été prêté à Cannes (National) et Nantes a prolongé mon contrat de deux ans. Je suis passé à 10 000 euros bruts et on m’a prêté à Boulogne-sur-Mer. Cela m’a permis de continuer à envoyer de l’argent à mes parents pour la maison, entre 1 000 et 2 000 euros par mois. Cela a duré jusqu’en 2009. A Boulogne, j’étais en colocation avec un compatriote, pour partager les frais. Et comme le club est monté en Ligue 1, j’ai touché une prime de 25 000 euros.
En 2009, vous signez à Amiens, un club de National…
Il me restait un an de contrat à Nantes. J’ai résilié à l’aimable, mais je n’ai perçu que 30 000 euros, alors que j’aurais dû avoir le double. Je me suis fait avoir par un agent ! A Amiens, j’avais 6 000 euros bruts par mois. J’ignorais que les impôts étaient si élevés en France ! J’ai reçu une facture de 13 000 euros, correspondant à mon salaire à Boulogne. J’envoyais quelques centaines d’euros à Madagascar pour préparer mon mariage et placer un peu d’argent. Et en France, je mettais environ 1 500 euros tous les mois sur un PEL. Un an plus tard, je suis parti à Beauvais, en National, où je gagnais encore moins : 4 200 euros bruts par mois, et des primes de victoire de 500 euros. C’est l’époque où ma femme et mon premier fils m’ont rejoint. C’est à ce moment que j’ai trouvé une façon de gagner un peu plus.
De quelle façon ?
Quand je le pouvais, j’allais en Allemagne pour acheter un minibus d’occasion à 3 000 euros. A Madagascar, cela se revend entre 8 500 et 9 000 euros. Une fois les frais de douane et de transport déduis, il me restait entre 1 500 et 2 000 euros de bénéfice. J’en cédais environ la moitié à ma famille.
Envoyez-vous de l’argent tous les mois à votre famille ?
Non, seulement de temps en temps : 200 ou 300 euros. Et quand je retourne au pays, avec la sélection par exemple, je donne quelques billets. Je ne veux pas qu’elle dépende de moi.
Votre niveau de vie s’est-il amélioré depuis votre arrivée à Créteil, en 2012 ?
Pas tout de suite. Mon premier contrat était le même qu’à Beauvais : 4 200 euros par mois, plus les primes. Créteil était en National. Et en Ile-de-France, tout est plus cher. J’avais 700 euros de loyer par mois, les impôts, les charges à payer. Donc j’ai aussi continué à acheter des minibus en Allemagne pour les revendre dans mon pays. Mais comme Créteil est monté en Ligue 2, mon contrat est passé à 7 000 euros bruts par mois, plus les primes, en 2013-2014. En 2014, les dirigeants m’ont renouvelé mon contrat, avec un salaire revu à la hausse, que je ne peux pas vous divulguer, mais qui est relativement correct.
C’est donc vraiment à partir de 2014 que vous avez commencé à très bien gagner votre vie ?
Oui. J’ai pu financer la construction d’une maison pour mes beaux-parents à Tana, pour 25 000 euros. Comme nous avons eu un second enfant avec ma femme, nous avons déménagé. J’habite Créteil, dans un appartement de 90 m² que je loue 950 euros par mois. Je peux placer plusieurs milliers d’euros par mois, car j’ai comme projet d’acheter une maison à court terme en région parisienne.
Mon salaire actuel est confortable, mais je ne fais pas n’importe quoi. Je roule dans une Golf achetée quand j’étais à Amiens – je vais bientôt acquérir un monospace – je ne dépense pas des sommes folles dans les fringues, même s’il m’arrive de me faire plaisir.
Je fais des cadeaux à ma femme, et s’il y a un secteur où je ne regarde pas à la dépense, c’est l’alimentation. Je fais un métier qui demande beaucoup d’énergie, et rien qu’en fruits et légumes frais, ça me coûte quelques centaines d’euros par moi. Pour les vacances d’été, on reste en France ou on va en Espagne. Car retourner à Madagascar, avec le prix des billets d’avion, ça chiffre très vite. La dernière fois que j’y suis allé, avec ma femme et les enfants, c’était en 2014.
Avez-vous une idée de ce que vous ferez après votre carrière ?
Un peu. Je pense jouer encore trois ou quatre ans. Mais même si j’ai de l’argent de côté, il faudra que je travaille. Beaucoup de gens croient que tous les footballeurs professionnels sont millionnaires. En Ligue 2, les salaires vont de 3000 à 14 000-15 000 euros par mois, sauf pour certains gros clubs qui peuvent donner 25 000 ou 30 000 euros.
Moi, je ne touche pas autant, loin de là. Comme j’ai un bac électrotechnique et que je suis bricoleur, j’envisage de créer une entreprise. Ou être chauffeur VTC. Ma femme va bientôt travailler. Une chose est certaine, je resterai en France pour que mes enfants reçoivent une meilleure éducation. Investir à Madagascar ? Ce n’est pas à l’ordre du jour.
Touchez-vous des primes quand vous jouez en sélection nationale ?
Très peu. La fédération malgache a très peu de moyens. La prime de match est d’environ 200 euros. Mais on ne va pas en sélection pour l’argent…