Gabon : « La présidence d’Ali Bongo est un gâchis. Il ne doit pas faire de second mandat »
Gabon : « La présidence d’Ali Bongo est un gâchis. Il ne doit pas faire de second mandat »
Propos recueillis par Joan Tilouine
Président de l’Assemblée nationale durant dix-neuf ans, Guy Nzouba-Ndama a démissionné pour se présenter à la présidentielle en août.
Guy Nzouba-Ndama est candidat à l’élection présidentielle gabonaise qui doit se tenir le 18 août. Président de l’Assemblée nationale pendant dix-neuf ans, cet ancien soutien du président Omar Bongo (1967-2009), puis de son fils et successeur Ali Bongo, a démissionné le 31 mars en séance plénière. A 69 ans, il démarre sa carrière d’opposant au président et a tenu son premier meeting politique, dimanche 12 juin, à Libreville.
Comment s’est déroulé ce premier rendez-vous avec les Gabonais ?
Guy Nzouba-Ndama C’était au-delà de toutes mes attentes. Je me suis présenté devant des milliers de Gabonais, des jeunes pour la plupart, très attentifs. Je me sentais comme dans une salle de classe avec des élèves suspendus aux lèvres de leur professeur. Je ne m’y attendais pas.
Donc le Gabon n’est pas une « dictature » comme le martèle l’opposition ?
On peut faire un meeting, c’est vrai. Mais on ne peut pas le faire sur la place publique. J’ai dû l’organiser dans un collège privé. Je ne peux pas disposer d’un stade ou d’un autre lieu public. A plusieurs reprises, j’ai fait des demandes d’autorisation, en vain. Des leaders de l’opposition ont été plusieurs fois convoqués par la police judiciaire.
Y a-t-il aujourd’hui, au Gabon, des opposants en prison ?
Non. Ali Bongo sait bien que l’opinion publique gabonaise ne l’accepterait pas et que le peuple se lèverait. J’aurai préféré continuer à vivre avec Omar Bongo plutôt qu’avec Ali Bongo.
Vous êtes nostalgique du temps d’Omar Bongo ?
Je ne suis pas nostalgique. Mais Omar Bongo avait une vertu cardinale, celle du dialogue. Il dialoguait toujours avec ses adversaires. Or Ali Bongo s’est enfermé dans une coquille, entouré de sa bande de coquins et de copains. Ce qui paralyse le pays. Je ne sais pas si la volonté d’Omar Bongo était de voir Ali Bongo lui succéder. J’en doute.
Ali Bongo n’a-t-il pas rompu avec les pratiques de « redistribution » du temps de son père ?
Ce disque-là est vraiment rayé, comme disait Patience Dabany [artiste gabonaise et ancienne épouse d’Omar Bongo]. C’est la rhétorique du pouvoir. Bon, qui n’a pas bénéficié des largesses d’Omar Bongo ? Mais je ne regrette pas ces privilèges perdus. La preuve : j’ai renoncé à mes avantages de président de l’Assemblée nationale pour me mettre au service des Gabonais.
Mais votre démission était prévue et Ali Bongo s’y attendait. Il a d’ailleurs tenté de vous en dissuader. Est-ce le fruit d’un long cheminement ?
Avant que je démissionne, Ali Bongo m’a fait des propositions, que je ne peux pas vous révéler. Je n’y ai, de toute façon, pas donné suite. Pas question pour moi de me faire acheter par ces gens. Et puis, pour moi, l’Etat n’existe plus vraiment. Son gouvernement est une coquille vide.
Comment qualifiez-vous la présidence d’Ali Bongo ?
Une catastrophe, un gâchis. La veste était trop grande pour lui. Il a démontré qu’il n’est pas à la hauteur de ses fonctions. Il ne fait que de la communication. Sur le terrain, la situation s’est détériorée. Il se moque de son peuple et masque ses échecs avec des discours sur l’émergence et d’autres concepts de marketing politique.
Regrettez-vous d’avoir soutenu Ali Bongo lors de la présidentielle de 2009 face à André Mba Obame ?
J’estimais qu’Ali Bongo avait la capacité d’assurer la transition. Je me suis laissé appâter par son discours et un consensus compassionnel car nous étions sous le choc de la mort d’Omar Bongo. Oui, je le regrette. Le pays est miné par une dette passée de 17 % en 2009 à près de 40 % du PIB aujourd’hui. Le pays sombre. Et il faut intervenir.
Que répondez-vous à ceux qui vous qualifient de girouette ?
Ils se trompent. J’ai fait des erreurs. Je les reconnais.
Et à ceux qui vous taxent d’opportunisme ?
J’ai laissé sa chance à Ali Bongo. Je me suis trompé. J’ai espéré jusqu’au dernier moment qu’il était capable d’un sursaut. Mais il n’a pas été capable de changer. Et, au regard de la désastreuse situation politique, économique et sociale qui prévaut au Gabon, Ali Bongo ne doit pas faire un second mandat.
Vous venez grossir les rangs d’une opposition divisée. Une candidature unique est-elle envisageable ?
L’opposition est divisée, certes, mais je ne perds pas espoir qu’elle s’unisse. On discute. La candidature unique n’est pas exclue. Si quelqu’un est capable de fédérer, alors, je serai disposé à m’effacer. Pour le moment, je me considère comme porteur d’un espoir national. Et je suis prêt à assumer le leadership de l’opposition.
En face, la majorité est fragilisée. Le parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) est démotivé. Ali Bongo, qui s’est autoproclamé chef suprême du parti, a encore un peu plus affaibli cette machine politique. Mais je le maintiens : la candidature d’Ali Bongo n’est pas recevable. Il a trahi le peuple gabonais en présentant un faux acte de naissance.
Vous faites allusion au débat sur les origines d’Ali Bongo. Certains candidats de l’opposition l’ont qualifié d’« apatride mafieux ». D’autres fulminent contre une « légion étrangère » pour désigner ses conseillers non gabonais. Est-ce là votre seul argument ?
Chacun a sa manière de s’exprimer. Ces propos sont parfois excessifs. Mais il faut comprendre que la fermeture d’esprit du président, son refus du dialogue alimentent un certain extrémisme. Pourtant, Ali Bongo est un Gabonais qui ne remplit pas les conditions pour se présenter à la présidentielle.
Comprenez-vous que, vu d’autres pays d’Afrique et au-delà, ces attaques soient perçues comme xénophobes et révèlent un manque d’idées de l’opposition ?
Je ne le crois pas. Et il faut comprendre que la jeunesse gabonaise souffre. Il y a un climat anxiogène à Libreville. Quel pays accepterait d’être dirigé par un président qui ne remplit pas les conditions fixées par la Constitution [qui stipule qu’un candidat à la présidentielle doit être de père et de mère gabonais]. Et puis, comment expliquer que des collaborateurs du président, comme son directeur de cabinet Maixent Accrombessi, ne puissent se rendre en France ou aux Etats-Unis pour des raisons judiciaires ? C’est une injure faite aux Gabonais.
Comme la plupart des autres candidats de l’opposition, vous apparaissez comme un notable d’un certain âge resté fidèle à Omar Bongo. N’y a-t-il aucune personnalité jeune capable de briguer la présidentielle ?
Il n’y a en effet que des barons du temps d’Omar Bongo en lice pour la présidentielle. Mais des jeunes émergent dans nos rangs. Certes, ils ne sont pas candidats à la présidentielle en 2016. Mais nous les soutenons. Et ce sont les vieux qui permettent aux jeunes de se préparer. Ce que nous faisons.
Sur quelles propositions allez-vous faire campagne ?
Je propose un projet de société démocratique avec une réforme des institutions, et une Constitution qui ne soit plus taillée sur mesure pour un seul président. Il me semble urgent de créer les conditions d’une véritable vie démocratique. Nous ferons tout pour que l’économie puisse fonctionner, attirer les investisseurs et réformer la fonction publique.