Gabon : « L’opposition veut le pouvoir sans le changement »
Gabon : « L’opposition veut le pouvoir sans le changement »
Propos recueillis par Christophe Châtelot
A deux mois du scrutin présidentiel, le ministre de l’économie Régis Immongault justifie sa stratégie économique et défend le bilan du président Bongo.
Le président gabonais Ali Bongo Ondimba et son épouse Sylvia, en février à Port-Gentil. | STEVE JORDAN / AFP
Régis Immongault est le ministre gabonais de l’économie, de la promotion des investissements et de la prospective depuis 2014, poste qu’il avait occupé de 2002 à 2009 sous la présidence d’Omar Bongo Odimba. A l’approche de l’élection présidentielle du 26 août, il défend le bilan économique de l’actuel président, Ali Bongo, candidat à sa succession.
Le Gabon est fortement dépendant de l’industrie pétrolière. Comment digérez-vous l’effondrement des cours de l’or noir ?
Régis Immongault Le ralentissement économique en Asie et la chute des cours du pétrole ont provoqué un effondrement des termes de l’échange, nous devons donc nous adapter. C’est dans cette perspective qu’Ali Bongo [au pouvoir depuis 2009] a mis en place une politique destinée à sortir de la dépendance du secteur pétrolier. Même si nous avons exporté 11,9 millions de tonnes de pétrole en 2015, davantage qu’en 2014. Il y a une baisse de la demande mais, ce qui nous impacte le plus, c’est la chute des cours, même s’ils remontent un peu. Pour cela, il fallait avant tout commencer par les infrastructures. Il faut de l’énergie, des ports, des routes qui fonctionnent. De 2010 à 2015, la croissance a été portée par le secteur non pétrolier.
Construire des infrastructures, c’est ce qu’il y a de plus facile ?
Bien sûr, mais c’est le préalable. L’Afrique perd des points de croissance à cause du manque d’infrastructures. Le Gabon a fait des efforts. Sur le plan énergétique, nous avions 374 mégawatts (MW) de puissance installée. Aujourd’hui nous sommes montés à 660 MW et notre objectif est d’atteindre les 1 200 MW à l’horizon 2020.
Notre modèle est basé sur l’industrialisation du pays. Nous avons commencé dans le secteur minier. En 2015, le complexe sidérurgique de Moanda conçu par le groupe Eramet-Comilog a commencé à produire du silico-manganèse et du manganèse métal. Pour cela, il faut de l’énergie, on a donc construit un barrage.
Dans la zone, des opérateurs économiques sont intéressés pour s’installer, mais il faut d’avantage d’énergie. Il faut aussi renforcer la formation professionnelle. L’infrastructure a un effet levier sur la croissance.
Nous nous concentrons sur les secteurs porteurs de croissance. L’industrie du bois est un exemple. Jusque-là, l’essentiel des exportations gabonaises de bois se faisait sous forme de grumes. Notre objectif était de parvenir à transformer 75 % de cette production à l’horizon 2015-2016. C’était un peu trop ambitieux. On a interdit l’exportation de grumes en 2010 au profit de produits qui ont déjà subi une première transformation. Même si, dans un premier temps, on a enregistré des baisses des recettes fiscales, on a aussi assisté à la création d’unités de transformation. L’objectif est d’atteindre le degré de troisième transformation qui nous permettra de vendre des meubles en Asie et sur les marchés africains, au Nigeria notamment. Aujourd’hui, le commerce du Gabon avec l’Afrique représente seulement 2 % de nos échanges.
Je ne dis pas que le Gabon est sorti de sa dépendance du secteur pétrolier puisqu’il pèse en encore pour 85 % des exportations gabonaises.
Le développement du secteur du bois était fortement handicapé par les fraudes. Où en êtes-vous ?
Nous ne sommes pas encore à zéro fraude, mais on a mis en place un système de contrôle et de traçabilité du bois avec le concours de l’Agence française de développement (AFD) et de la Banque mondiale. Aujourd’hui, la fraude est marginale, d’autant que nous avons aussi interdit l’exportation de bois brut issu de pays voisins depuis le port de Libreville.
Ce sont les investissements publics qui ont tiré la croissance. Est-ce au prix d’une montée de l’endettement ?
Il est vrai que les investissements publics ont tiré la croissance, au départ. Il est vrai également qu’il y a une augmentation générale de l’endettement des pays exportateurs de pétrole consécutive au retournement du marché de l’or noir. Que fallait-il faire ? Une politique contracyclique ? Ne pas étouffer la demande, comme le martelait le Fonds monétaire international (FMI) ? Il ne faut pas casser la trajectoire tout en évitant un endettement insoutenable. L’essentiel est de se fixer un horizon. Le nôtre était un seuil de 35 % du ratio dette/PIB, cela dans un contexte positif. Dans un contexte devenu défavorable, on a un peu relâché notre politique. On se dit qu’un ratio de 50 % est supportable en attendant que les termes de l’échange s’améliorent. Fin 2015, le ratio sera de 42 % de dette intérieure et extérieure. C’est soutenable et nous voulons éviter d’aller au-delà de 50 %. C’est pourquoi nous encourageons les partenariats public-privé, comme dans le cadre du port minéralier. Notre focus est d’attirer des investissements dans les transports, l’énergie, l’agro-industrie. Il faut que les investissements privés prennent le relais du public.
Vous décrivez une économie dynamique. Pourtant, le niveau de vie des Gabonais tarde à s’améliorer…
La réalité est là : l’énergie plus disponible, les nouvelles routes, la construction des hôpitaux, la prise en charge sociale des indigents, les allocations familiales, la revalorisation du salaire minimum. Ce sont ces éléments qui permettent aux plus précaires de constater des améliorations.
La multiplication des grèves montre pourtant un niveau élevé d’insatisfaction, non ?
C’est la preuve d’une vie démocratique !
Et d’une économie grippée ?
Ce sont surtout les enseignants et le secteur de la santé qui font grève. Pourtant, leurs conditions se sont améliorées. C’est normal qu’ils demandent toujours plus, d’autant que le Gabon a la réputation d’être un pays cher. Nous importons 85 % de notre consommation alimentaire.
Le Gabon pointe à la 99e place sur 168 dans le classement des pays les plus corrompus établi par Transparency International. Cela ne risque-t-il pas de décourager les investisseurs ?
Certains veulent ramener l’image du Gabon à un certain tropicalisme négatif. La corruption rampante est une fausse image. Nous menons un combat continu pour la bonne gouvernance et contre la corruption. Nous avons l’ambition d’être un pays leader de l’Afrique émergente. Le Gabon aujourd’hui n’est pas un pays où la corruption est un pilier.
Certains économistes d’Afrique centrale ou de l’Ouest se demandent s’ils ne doivent pas renoncer au franc CFA. Faut-il réformer le système ?
La zone franc a fait son temps, mais il faut la garder. Sans doute faut-il la rendre plus performante. Mais les négociations se font dans le silence. Peut-être doit-on voir comment introduire plus de souplesse et permettre aux Etats de jouir de certaines prérogatives. Nous sommes obligés de déposer 50 % de nos réserves de change au Trésor français, on pourrait peut-être en conserver davantage que 50 %, par exemple. Au niveau de la décision également, il faudrait voir comment rendre la Banque centrale un peu plus active. Nous avons tous à cœur de moderniser nos Banques centrales et de mettre plus de dynamisme dans nos relations monétaires.
N’est-ce pas un renoncement à une partie de votre souveraineté ?
L’essentiel est la souveraineté économique qui peut exister sans souveraineté monétaire. Renforçons d’abord nos entreprises et renforçons notre intégration économique et commerciale dans nos sous-régions. Nous sommes rattachés à l’euro via le Trésor français. peut-être que, dans le futur, on pourrait être rattachés directement à l’euro via la Banque centrale européenne (BCE). On peut avancer dans ce domaine. Mais ça ne sert à rien de faire un grand saut si les fondamentaux n’ont pas été résolus.
Votre discours ne tient que s’il y a une stabilité politique au Gabon et dans la sous-région ?
Les Gabonais veulent vivre en paix.
C’est le souhait de tous les pays du monde, non ?
Nous constatons l’attractivité de l’économie nationale, mais il y a des limites à ne pas franchir. L’opposition a la liberté de parler. Une opposition qui, soit dit en passant, est composée en partie de gens qui étaient aux affaires au temps d’Omar Bongo. Ça en dit long.
Ça en dit long sur quoi ?
Sur la volonté réelle d’une opposition qui veut le pouvoir sans le changement. Les discours se limitent à la calomnie, à l’insulte. C’est simplement la peur des mots, des discours violents… L’essentiel pour le gouvernement est de s’en tenir à sa démarche. Cette opposition n’a pas de programme construit.
Comprenez-vous que certains Gabonais aient envie de changement, qu’ils en aient marre d’être gouvernés par la même famille depuis cinquante ans ?
On peut accepter que le fils n’est pas le père.