Hissène Habré : dernier tour de piste d’un vieil autocrate
Hissène Habré : dernier tour de piste d’un vieil autocrate
Par Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique)
Le dictateur tchadien a surjoué la victime, le martyr africain brimé par l’impérialisme occidental. Un rôle éculé dont la Cour africaine n’a pas été dupe.
Après six mois de procès, le verdict qui est tombé lundi 30 mai à Dakar est implacable : Hissène Habré est reconnu coupable de « crimes contre l’humanité », « crimes de guerre » et « viols » et a été condamné à la prison à vie.
L’ancien dictateur tchadien vient de subir le jugement d’un tribunal qu’il n’a jamais voulu reconnaître, assimilant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) à une instance fabriquée par des impérialistes, ces « ennemis de l’Afrique » qui veulent sa peau.
Très tôt, Hissène Habré a choisi une défense de rupture. Devant des faits accablants, il a choisi de décrédibiliser la cour pour asseoir sa ligne de défense. En se faisant évacuer de la salle d’audience au début du procès aux cris d’« A bas les traîtres ! », « Allah Akbar ! », « Vive le Tchad ! », « Tribunal impérialiste et colonialiste ! », Habré a décidé de transformer son procès en une scène pour exécuter une sinistre farce. Celle-ci était de très mauvais goût face aux victimes de son règne (1982-1990).
Les éructations d’Habré à l’ouverture du procès représentaient les ultimes manifestations d’un homme qui se savait fini. C’était prémonitoire, Habré ne sort pas libre de son procès. Il finira ses jours dans les geôles sénégalaises.
Hissène Habré est un homme intelligent, un redoutable politique et un chef de guerre expérimenté. I n’est pas l’archétype du troufion arrivé au pouvoir par hasard et donnant l’image d’un comique, grossier et grotesque, en tenue d’apparat. Habré n’est pas le Guinéen Dadis Camara, ni le capitaine malien Sanogo.
C’est aussi un homme qui a su se construire une épaisseur sociale par des relais puissants dans son exil au Sénégal. Les confréries religieuses, les associations de jeunes et de femmes du quartier d’Ouakam où il vivait ont reçu beaucoup d’argent de sa part.
Hermétisme et « mépris insultant »
Mais le vieux lion de l’Union nationale pour l’indépendance et la révolution (UNIR) a aussi montré durant le procès sa redoutable maîtrise des rouages de la communication. D’abord par son indignation bruyante. Ensuite par son silence.
Peut-être a-t-il beaucoup visionné les prestations d’une icône du barreau, Jacques Vergès ? La stratégie, limpide, est d’user du tribunal comme d’un plateau de télévision. Surtout que le procès était retransmis. Agile.
Mais les coups de théâtre successifs, la rengaine anti-impérialiste, les accusations de trahison et la volonté prêtée au tribunal de « rouler » pour les intérêts de l’Occident sonnent faux.
En vérité, Habré paie aujourd’hui des décennies d’une vie normale, loin de la confrontation avec les visages des milliers de victimes de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), cette redoutable Gestapo des tropiques.
La peur a changé de camp ! Les mots du bâtonnier de l’ordre des avocats sénégalais à l’ouverture du procès sont saisissants de justesse : « Les princes accusés de crimes de sang ne se sentent plus à l’aise que dans leur propre pays. »
Habré a joué, surjoué la victime, le martyr africain brimé par le méchant impérialiste occidental. Mais son scénario est devenu inefficace à force d’être ressassé à l’infini par d’autres avant lui. L’histoire retiendra qu’un dictateur sanguinaire, dont le vœu a toujours été d’échapper à un face-à-face avec ses accusateurs, vient d’être jugé et condamné. Justice est faite. Hissène Habré, à la barre du tribunal, s’est voulu Lumumba ou Sankara. Il ne sera hélas qu’un affligeant patriarche de 73 ans qui a décoché ses dernières salves guerrières face à une opinion internationale au mieux indifférente, au pire méprisante.
La défense de rupture d’Habré, refusant jusqu’à la confrontation avec les victimes, a même été scénarisée à travers sa tenue vestimentaire – turban et lunettes de soleil – qui le maintenait hermétique. Habré a été d’un « mépris insultant », selon les termes du juge burkinabé Gberdao Gustave Kam, face à la douleur et aux larmes des victimes survivantes et face à la mémoire de celles qui ont perdu la vie suite aux sinistres méthodes de la DDS.
En énonçant le verdict condamnant à perpétuité Hissène Habré, le juge Kam a fait tomber le rideau sur le dernier tour de piste d’un vieil autocrate.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.