Histoire de petits et de gros sous pour candidats en campagne
Histoire de petits et de gros sous pour candidats en campagne
Par Audrey Fournier
Chez l’Oncle Sam, aucun candidat n’est pris au sérieux s’il ne montre pas qu’il dispose d’un trésor de guerre significatif. Sauf quand l’origine de ce trésor est elle-même un motif d’attaque.
Sur un stand de la campagne d’Hillary Clinton, en juin 2015. Les détracteurs de la démocrate dénoncent les liens qui unissent les grandes corporations et Wall Street au financement de sa campagne. Ils rappellent que Bernie Sanders, au contraire, peut se targuer d’un financement « venu de la base ». | Lucas Jackson / Reuters
Les Etats-Unis, une ploutocratie ? Sans doute. Plus qu’ailleurs, la manne financière mobilisée lors des campagnes électorales est indispensable lorsqu’il s’agit de mobiliser la base, de conquérir chaque délégué et super-délégué, et quadriller un pays grand comme 17 fois la France.
Chez l’Oncle Sam, aucun candidat n’est pris au sérieux s’il ne montre pas qu’il dispose d’un trésor de guerre significatif : sécuriser un vote représente des centaines, voire des milliers de dollars de dépense.
Même si l’argent ne décide pas tout dans une élection − Jeb Bush était, au départ de la course, le candidat le plus fortuné −, le rapport à l’argent imprime une marque forte à une campagne, surtout lorsque s’affrontent une alliée du « big money », un businessman arrogant et un farouche adversaire de la finance et de l’Amérique « corporate ».
- Bernie Sanders, l’argent qui manque
Aucun candidat n’exploite mieux que Bernie Sanders le traumatisme que fut la crise de 2008, « un choc, par certains aspects, pire que le 11-Septembre », souligne la politologue Karlyn Bowman, directrice de recherche à l’American Enterprise Institute, un think tank pro-business. « Les Américains ont réellement eu l’impression que leur système économique était au bord de l’implosion. » Comme une réponse à cette blessure, Bernie Sanders propose un discours très centré sur l’argent, mais surtout celui dont on manque, celui dont on a besoin pour survivre au quotidien.
La série de clips Rigged Economy (« économie truquée ») oppose la finance traditionnelle, « corrompue », qui n’offre qu’une vision clientéliste de la politique, au financement « venu de la base » de sa campagne. Avec cet argument, en forme de pique à ces adversaires : « On ne peut pas changer un système corrompu en acceptant son argent. »
A Rigged Economy: This Is How it Works | Bernie Sanders
Durée : 00:31
Dans d’autres clips, Sanders est présenté par les militants comme un modèle d’intégrité morale, le seul candidat « qui ne peut pas être acheté », qui sera capable de « s’attaquer à Wall Street, au “big business”, et remettre la “working class” là où elle doit être ».
Rock | Bernie Sanders
Durée : 00:31
Rigged Economy | Bernie Sanders
Durée : 00:31
Dans le clip Two Visions, il expose son projet pour remettre la main sur un système financier devenu fou : plutôt que prendre l’argent des banques et leur dire quoi faire (comme le suggère Clinton, sous-entend-il), il veut les démembrer, mettre un terme à l’optimisation fiscale et leur faire payer leur juste contribution. « M’aimeront-elles ? Non. commenceront-elles enfin à respecter les règles ? Il y a intérêt. » Le message, délivré face caméra, est sans concession.
Two Visions | Bernie Sanders
Durée : 00:31
La grande force de sa campagne est d’ajuster le message aux moyens : chaque clip est l’occasion pour Sanders d’appeler au don, ou plutôt au microdon. D’un montant moyen de 27 dollars, les millions de contributions individuelles de ses partisans sont devenues le modèle de financement de la campagne, jusqu’à devenir un leitmotiv en lui-même. Les « 27 dollars » qui peuvent « changer les choses » sont régulièrement mis en avant. Très efficaces, ces clips permettent de solliciter − à répétition − les donateurs sans leur donner l’impression d’être « saignés ».
Bernie Sanders 27$ Dollars - NEW AD | Presidential Campaign 2106 |
Durée : 00:43
- Hillary Clinton, « Big Money, Big Oil »
Dans les clips de propagande en faveur de la prétendante démocrate, le programme économique est rarement évoqué, si ce n’est sous l’angle, fortement compassionnel, de la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Et pour cause, son programme, comme celui des autres, est réduit à la portion congrue et se résume à de grands messages. En revanche, il n’a échappé à personne qu’Hillary Clinton est la candidate du « Big Money » ; et c’est le principal angle d’attaque de ses opposants.
Si le camp Sanders a choisi de se retenir de toute publicité négative vis-à-vis d’Hillary Clinton, ses comités de soutien ont parfois la parole plus libre. Dans Big Oil & Big Money, le comité Spread the Bern, spécialisé dans les vidéos comparant Clinton à Sanders, met au jour dans plusieurs spots les liens qui unissent les grandes corporations et Wall Street au financement de la campagne de Clinton.
Il rappelle à l’occasion que les lobbyistes liés au projet d’oléoduc Keystone (en Alaska) ont généreusement rétribué Hillary Clinton, et son mari, pour donner des conférences au moment où le permis pour le pipeline était examiné à Washington. « Ils financent la campagne, ils obtiennent donc ce qui leur est dû », martèle Sanders à la tribune.
Hillary Clinton vs. Bernie Sanders - Big Oil & Big Money
Durée : 02:07
Hillary Clinton vs. Bernie Sanders - Goldman Sachs & Wall Street Billionaires
Durée : 01:55
- Donald Trump, millionnaire ou « escroc » ?
Donald Trump est peut-être le millionnaire le plus mal aimé de ses congénères. Contrairement à Clinton, Wall Street ne l’aime pas. Pour Donald Green, professeur de sciences politiques à l’université Columbia (New York), « Wall Street doute qu’il soit vraiment milliardaire, et ils s’inquiètent de sa capacité à casser les marchés, avec son comportement capricieux ».
Sa fortune et, surtout, son sens des affaires douteux sont la cible de plusieurs spots négatifs depuis le début de la campagne. Dans le clip What a Con-Man (« quel escroc ! »), le super PAC (political action committee – « comité d’action politique ») Priorities USA Action, de sensibilité démocrate, dénonce les nombreuses faillites et ratages du candidat républicain, de ses fonds d’investissement à Trump Airline en passant par Trump Steaks, Trump Magazine, Trump Vodka… « Un homme d’affaires ? Donald Trump est un escroc. »
What A Con-Man
Durée : 00:31
Cela pourrait être comique, si l’une de ces affaires, celle de la Trump University, ne menaçait pas directement sa candidature. Cette vaste escroquerie autour d’un centre de formation pour adultes est mise en scène dans plusieurs vidéos financées par l’American Future Fund, un PAC conservateur. Donnant l’impression d’avoir mené l’enquête, les vidéos donnent la parole à des victimes, généralement issues de la classe moyenne, et qui se trouvent en grande difficulté après avoir dépensé des fortunes en espérant un diplôme et une qualification. Le ton est affecté, mais sans misérabilisme (si ce n’est la musique). Il s’agit de dévoiler la réalité d’un système, et de casser l’engouement suscité par cet entertainer hors pair.
Trump University Scam Attack Ads
Durée : 02:11
La publicité anti-Trump est devenue un poste de dépenses à part entière pour les PAC et les équipes de campagne. Selon des calculs du New York Times cités par Slate, plus de la moitié des dépenses en publicité négative à la télévision, soit 70 millions de dollars à la mi-avril, avaient été consacrées à dénigrer Trump, sans compter les dépenses des super PAC non affiliés à tel ou tel candidat. Cela fait beaucoup d’argent contre un seul homme, surtout si l’on se rappelle que la course à l’investiture républicaine a commencé à… 17 candidats.