Jeux vidéo : « La formule de l’E3 arrive à bout de souffle, il faut la réinventer complètement »
Jeux vidéo : « La formule de l’E3 arrive à bout de souffle, il faut la réinventer complètement »
Propos recueillis par William Audureau
Thomas Grellier, professeur associé à l’école de commerce Kedge et consultant auprès de l’industrie, explique les difficultés que traverse le plus grand salon mondial de jeu vidéo.
Des journalistes sur le stand Square Enix à l’E3 2014. | Jae C. Hong / AP
Thomas Grellier, ex-directeur marketing des éditeurs de jeux vidéo Midway puis SEGA, est aujourd’hui professeur associé à l’école de commerce Kedge Business School (BS) et consultant auprès de l’industrie vidéoludique. À une semaine de l’ouverture officielle de l’Electronic Entertainment Exposition (E3), qui se tient officiellement du 14 au 16 juin à Los Angeles mais qui est précédé de plusieurs jours de conférences, d’annonces et de rumeurs, il détaille au Monde les difficultés du plus grand salon annuel de jeu vidéo pour exister, à l’heure de Twitch et de la diffusion de vidéo en direct.
Le Monde : Personne ne sait exactement quoi attendre de cet E3. Est-il différent des autres ?
Thomas Grellier : Oui. C’est un E3 très différent, avec une ouverture au grand public. Même si elle est partielle, c’est un signe fort que l’ancienne formule est arrivée à bout de souffle. Les grands éditeurs comme Activision ne veulent plus venir. Ils disent que c’est parce que le salon est trop cher, mais un stand à l’E3 représente à peine 1 % du bénéfice annuel d’Activision. C’est surtout qu’ils veulent sortir du brouhaha ambiant pour créer leurs propres événements. Par exemple, que Nintendo n’y soit pas, c’est hallucinant. Cela montre qu’il veut maîtriser sa communication de A à Z, ce qui n’est plus possible à l’E3.
A l’époque, on devait attendre fin juin, début juillet pour voir apparaître dans les magazines spécialisés les nouveautés annoncées à l’E3 début mai. Maintenant, on regarde les conférences en direct, et en plus elles sont commentées. Il n’y a plus ce côté « premium ». C’est une bonne chose en termes de démocratisation, mais il y a des effets néfastes, et la Xbox One en sait quelque chose [à sa présentation, avant de faire marche arrière, Microsoft avait annoncé que celle-ci ne lirait pas les jeux d’occasion, provoquant le tollé des joueurs]. Avant, après une conférence mal interprétée, le constructeur avait le temps de réajuster son message, voire d’annuler certaines annonces – ce que Microsoft a fait, mais pas à temps. Maintenant que les conférences sont en direct, une fois que le virus est sur la Toile, on ne peut plus le rattraper.
Qu’est-ce qui pourrait redonner du lustre à l’E3 ?
L’E3 a lieu cette année car il y a un contrat qui lie l’organisateur au salon, mais il passe à côté de certains phénomènes comme League of Legends, qui devrait représenter un tiers de la surface en termes d’importance, mais qui n’y sera pas ; à la place, on sait que l’on retrouvera les franchises habituelles. La formule de l’E3 arrive à bout de souffle, il faut la réinventer complètement. Il faut dématérialiser au maximum, ce qui est déjà le cas avec les conférences, mais le faire aussi avec les stands. Il faut changer de lieu, car à Los Angeles, on aura toujours les anciens E3 en mémoire.
Il faudrait aussi ouvrir le salon aux éditeurs mobiles coréens, japonais et bien sûr chinois. Je me demande si une fusion avec le CES ne serait pas la meilleure solution. D’un point de vue technologique, ils ont beaucoup en commun : tout ce qui s’y montre s’affiche sur un écran. Et je ne vois pas comment, dans le monde du jeu vidéo, on peut se passer d’un Cisco et de ses plans d’avenir sur dix ans.
Vous parlez de formule vieillissante, mais la conférence de Sony l’an passé était très réussie.
Tout à fait. La conférence de Sony l’an dernier, c’est la meilleure conférence de l’histoire. Ils sont arrivés avec deux, trois bons jeux sortis de nulle part, comme Horizon : Zero Dawn, qui est très beau, puis ils nous ont fait un tour de maître Jedi avec Final Fantasy VII, Shenmue III et The Last Guardian. Les journalistes pleuraient ! On m’a rapporté qu’un employé de PlayStation Allemagne s’est même évanoui.
C’est la spécificité de l’E3 actuel : comme on est dans l’instantané, il faut jouer sur l’émotionnel. Même si, d’un point de vue commercial, ces jeux ne sont pas les piliers de l’industrie de demain. Mais Final Fantasy VII, Shenmue III et The Last Guardian, cela vend du rêve, et l’objectif de l’E3, c’est ça. Mais Sony a placé la barre tellement haut l’an passé que ce sera difficile de faire mieux.