Elle sait tout faire : porter une peau de bête et des talons, chanter et danser, dessiner et écrire. Mais encore. Elle voit grand à la mesure de son gabarit. La multi-outillée Eleanor Bauer n’a pas intitulé pour rien l’un de ses solos Big Girls Do Big Things (2009). Elle déborde mais s’en moque. Elle court et bouge aussi vite que tout le monde. « Tu es un ours polaire qui danse comme un cygne », lui a-t-on dit un jour. Ou bien : « Tu ne seras jamais ballerine. » L’Américaine a si souvent entendu qu’elle n’avait pas un gabarit de danseuse que, comme il fallait s’y attendre, elle le prouve régulièrement depuis… et dans les grandes largeurs.

Dans Big Girls Do Big Things, métamorphosée en ours blanc, elle s’emparait de la chanson Crazy, de la chanteuse de country Patsy Cline, pour nous glisser une confidence : « I’m crazy for trying/And crazy for crying/And I’m crazy for loving you. » (« Je suis folle d’essayer/Et folle de pleurer/Et je suis folle de t’aimer. »)

Même ton intrigant dans son show énorme et imprévisible Meyoucycle, créé avec l’Ensemble Ictus et présenté aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis en 2016. Elle inondait l’espace d’ondes incroyablement planantes au milieu desquelles on pouvait entendre : « It’s nice to be powerless » (« c’est beau de ne pas avoir de pouvoir »). De quoi donner illico l’envie de la suivre sur sa route parallèle.

« Fertiles incompréhensions »

Née à Santa Fe, aux Etats-Unis, passée par la Tisch School of the Arts, à New York, Eleanor Bauer a ensuite intégré P.A.R.T.S., l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles, où elle s’est installée en 2004. Depuis 2017, elle vit à Stockholm. Elle a été l’interprète de fortes têtes de la scène chorégraphique comme David Zambrano, Mette Ingvartsen ou encore Xavier Le Roy. Depuis 2005, elle conçoit ses propres spectacles tout en continuant d’écrire et de collaborer avec des magazines.

Sa nouvelle pièce, un solo intitulé A Lot of Moving Parts, se pose au carrefour du mouvement et du texte. Celle qui revendique comme influences littéraires les écrits de Clarice Lispector, Hélène Cixous et Virginia Woolf, y entrechoque ses poèmes et ses gestes pour tenter de faire surgir des étincelles. « Confronter les mots et la danse est une friction intéressante, dit-elle. Cela parle de tous les problèmes de traduction que nous rencontrons. Je pense que le fossé entre le sens du langage et celui de la danse peut produire de fertiles incompréhensions» Avec Eleanor Bauer, on est toujours partant pour lost in translation.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Festival d’automne à Paris.