A six mois de la COP22 de Marrakech, les signataires de cette tribune, analystes, militants et praticiens du l’économie durable, se veulent confiants sur la capacité du continent à apporter au monde un terrain, des opportunités et des pratiques pour boucler le compte. A tous points de vue, la solution passe par l’Afrique, une Afrique qui a été patiente mais dont la place dans les COP ne peut plus être minorée.

Une Afrique légitime

Le groupe des négociateurs pour les pays africains, très coordonné dans sa vision, porte parmi ses priorités un désir d’action immédiate en termes de résilience : un événement climatique extrême en Afrique peut faire perdre vingt ans de développement ; c’est important pour les objectifs du développement durable (ODD). Autre priorité, refléter les circonstances spécifiques africaines, en termes de vulnérabilité : 2 degrés de réchauffement moyen font 3 degrés en Afrique, voire plus dans la bande saharo-sahélienne. La priorisation de l’accès aux ressources financières répond à un triple bien public mondial : le climat, les objectifs sociaux des ODD, sans oublier… la sécurité et le contrôle des migrations. Il n’y a pas débat. Les positions du groupe africain fondent des propositions gagnant-gagnant.

Une Afrique real-politique

Mais « on n’a pas ce qu’on mérite, on obtient ce qu’on négocie », déclarait au Forum de Bamako de 2016 l’entrepreneur panafricain Alpha Diallo. Si la COP21 a marqué la fin de la confrontation stérile Nord-Sud, le monde le doit au rôle moteur joué par le groupe Afrique : l’accord de Paris n’aurait pas été possible sans le soutien du groupe des négociateurs africains ayant œuvré au soutien du groupe des 77 (134 pays sur 189 ayant contribué à l’accord final). Et ils ont une attente : que la COP22, organisée en novembre 2016 au Maroc, mette en place les leviers pour concrétiser les avancées de la COP21. Elle devra surtout approfondir les avancées en maintenant le momentum politique : un certain nombre de règles de mise en œuvre vont être discutées dès Bonn.

Parlons chiffres : l’accord actuel ne vise « que » 100 milliards de dollars par an de transferts publics Nord-Sud et encore sans règles claires. Vu du monde réel, et vu d’Afrique et du Sud en particulier ce sont des engagements de 1 000 à 2 000 milliards dont il devrait être question. La présidence marocaine a à cœur de définir une trajectoire pour soutenir les efforts du continent africain. L’accord passera ou cassera sur ce point. Mais en considérant que pour 134 pays du G77 leur avenir en dépend, que les grands émergents y ont intérêt, que l’industrie mondiale appelle cela de ses vœux, que la société civile veut une accélération, n’est-il pas temps d’anticiper les demandes d’une Afrique porte-voix du climat ?

Une Afrique maîtresse d’œuvre

L’Afrique est-elle crédible ? Entend-on déjà demander… Les programmes internationaux d’électrification, par microréseaux solaires par exemple, sont déjà portés ou exécutés par des entreprises africaines : Power Africa par de multiples entreprises nationales, Akon Lighting Africa par Solektra International, etc. Surtout, ces entreprises savent mobiliser des financements sur les marchés et vont accroître cette capacité. Bref, il faut sortir d’un schéma limité au seul financement public Nord-Sud surtout s’il tarde à venir : les endettements privés mais garantis par des mécanismes publics sont la voie d’avenir. Le Sud-Sud va prendre une part prépondérante ; ceci étant, au Nord et à son aide publique d’envisager s’il souhaite ou pas garder un avantage d’entrant précoce dans ce fantastique futur marché des… solutions africaines ! Car l’Afrique déjà ne parle plus de droits, mais de business.

Joël Ruet est économiste au CNRS (CEPN Paris 13 et CRG Ecole Polytechnique), France

Adam Thiam est journaliste au Mali et a été chef de cabinet du président de la Commission de l’Union africaine

Matthieu Wemaëre est avocat à Bruxelles, il a conseillé le gouvernement du Pérou pour la COP20 et celui du Maroc pour la COP21