Le divorce par consentement mutuel sans juge : une fausse bonne idée ?
Le divorce par consentement mutuel sans juge : une fausse bonne idée ?
Par Philippe Bas (président de la commission des Lois du Sénat) et Bruno Retailleau (président du groupe Les Républicains au Sénat)
La nouvelle réforme porte atteinte à des garanties essentielles à la protection des droits et se traduit par un doublement du coût du divorce, estiment Philippe Bas et Bruno Retailleau.
Pour convaincre les députés d’adopter la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, le gouvernement l’a parée de toutes les vertus : plus protecteur et plus simple que la procédure actuelle, le divorce sans juge serait plébiscité par les Français.
Pourquoi, devant tant d’avantages, avoir à ce point précipité le débat et refusé, notamment, que le Sénat puisse en débattre en seconde lecture ? La solution proposée est-elle si assurée qu’on veut nous en convaincre ?
Le dispositif retenu tient à quatre traits. En premier lieu, la voie judiciaire serait désormais fermée aux époux demandant le divorce par consentement mutuel. En second lieu, chaque époux devrait avoir son propre avocat (actuellement, dans plus de 80 % des cas, les parties font appel à un avocat commun). Le divorce, négocié par les époux avec leurs avocats, serait constaté par un notaire qui donnerait force exécutoire à la convention, signée par eux et contresignée par leurs conseils, destinés à régler les conséquences de leur divorce. Enfin, une seule disposition est prévue pour protéger le droit des enfants mineurs : la procédure judiciaire retrouverait droit de cité si, et seulement si, l’un des enfants du couple demandait à être entendu par le juge.
La mesure a été adoptée par les députés sans que le gouvernement ait fourni une étude sur son impact. Ceci est d’autant plus étonnant que le calcul est pourtant simple à faire : la principale différence, pour les ménages, entre la procédure « conventionnelle » et la procédure judiciaire de divorce par consentement mutuel est qu’ils devront rémunérer deux avocats alors qu’actuellement, dans 80 % des cas, ils n’en paient qu’un seul.
En retenant des honoraires d’avocats raisonnables compris entre 1 000 euros (ce qui correspond, à peu près à la rémunération d’un avocat à l’aide juridictionnelle) et 1 500 euros, on obtient un surcoût, pour les ménages, compris entre 53 et 80 millions d’euros.
En regard, l’économie pour le gouvernement sera de 12,7 emplois de magistrats et de 93 emplois de greffiers, soit, une économie de 4,25 millions d’euros.
Il y a donc un rapport de 1 à 15 entre l’économie réalisée par le gouvernement et le coût imposé aux justiciables. La seule façon d’équilibrer ce rapport serait d’obtenir des avocats qu’ils divisent leurs honoraires par deux !
Le surcoût vaut-il la soi-disant plus grande célérité de la procédure, alors que 80 % des divorces par consentement mutuel sont traités en moins de 4 mois ? Il suffirait, pour le savoir, d’ouvrir à nouveau aux parties l’option entre la voie conventionnelle et la voie judiciaire…
La protection des droits remise en cause
L’autre problème posé par la réforme est plus grave encore. La loi confie expressément au juge, dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, la mission de refuser d’homologuer la convention qui « préserve insuffisamment l’intérêt des enfants ou de l’un des époux » (art. 232 du code civil). Qu’en est-il dans le divorce sans juge ? Chaque avocat veille aux intérêts de son client : il n’entre pas dans son mandat de s’attacher à celui de l’enfant, s’il entre en contradiction avec eux. Et quel enfant, particulièrement informé, aura l’audace d’emmener ses propres parents devant le juge au point ultime d’une crise conjugale ?
Même s’ils sont rares, les refus d’homologation par le juge ne sont pas inexistants. En outre, la possibilité d’un refus a une vertu préventive : elle évite que les parties soumettent au juge une organisation de la garde de l’enfant peu susceptible d’être acceptée, ou que l’un des deux membres du couple accepte des conditions de divorce lésant ses propres intérêts matériels. Les juges aux affaires familiales nous le disent, et beaucoup de Français en font d’ailleurs l’expérience : pressé d’aboutir, il n’est pas rare de voir un conjoint vulnérable ou victime de violences conjugales renoncer à une partie de ses droits, ou l’autre conjoint payer trop chèrement sa liberté.
La volonté légitime de soulager les juridictions de contentieux chronophages ne peut justifier d’écarter des garanties essentielles à la protection des droits et de doubler le coût du divorce.