Les conséquences de la mort du chef des talibans en Afghanistan
Les conséquences de la mort du chef des talibans en Afghanistan
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Le mollah Akhtar Mansour a été tué samedi par plusieurs frappes de drones américaines. Qui lui succédera ? Sa mort va-t-elle affaiblir les talibans ? Est-elle de nature à relancer les négociations de paix en Afghanistan ?
Le mollah Mansour avait été formellement désigné en juillet 2015 pour prendre la tête du mouvement taliban, juste après l’annonce de la mort, deux ans plus tôt, de son leader historique, le mollah Mohammed Omar. | HANDOUT / AFP
Barack Obama a confirmé, lundi 23 mai, la mort du chef des talibans afghans. Cette mort est « un jalon dans notre effort au long cours pour ramener paix et prospérité en Afghanistan », a estimé le président américain, dans un communiqué de la Maison Blanche publié pendant sa visite au Vietnam. L’information avait été confirmée dimanche par les services secrets afghans.
Le mollah Akhtar Mansour a été tué samedi par plusieurs frappes de drones américaines, alors qu’il se trouvait dans un véhicule sur une route du Baloutchistan, une province du sud-ouest du Pakistan. La capitale de cette province, Quetta, est connue pour abriter l’état-major taliban afghan.
- Qui était le mollah Mansour ?
Né dans les années 1960 – sa date de naissance n’est pas clairement établie – le mollah Mansour est issu de la région de Kandahar, la grande cité pachtoune du Sud afghan et berceau historique du mouvement taliban. C’est de Kandahar que le mollah Omar avait pris en 1994 la tête d’une fronde dirigée contre les seigneurs de la guerre sévissant dans le chaos postcommuniste, un mouvement soutenu par les services secrets du Pakistan et qui finit par conquérir Kaboul deux ans plus tard.
Le mollah Mansour avait été formellement désigné en juillet 2015 pour prendre la tête du mouvement juste après l’annonce de la mort, deux ans plus tôt, de son leader historique, le mollah Mohammed Omar.
Ancien ministre de l’aviation sous le régime taliban, réputé sans grande expertise militaire, il était parvenu à se hisser au rang de numéro deux en assurant au mouvement une manne financière par le contrôle de ressources minières et du trafic d’opium.
- La mort du mollah Mansour va-t-elle affaiblir les talibans ?
Depuis la fin de l’année 2015, les combats se sont intensifiés et les insurgés sont même parvenus à prendre brièvement le contrôle de Kunduz, l’une des capitales provinciales du nord du pays. Ils contrôleraient actuellement un tiers du territoire afghan.
Seule certitude : la mort du mollah Mansour risque de déclencher une violente lutte de succession au sein du mouvement. Lorsque le mollah Omar est décédé, il avait pour unique adjoint le mollah Mansour, ce qui faisait de lui son successeur naturel. Et ce dernier s’est pourtant imposé avec difficulté, faisant face à la défection de lieutenants du mouvement et à la scission de certains groupes.
- Qui lui succédera à la tête des talibans afghans ?
Le mollah Mansour laisse plusieurs successeurs potentiels, dont ses deux adjoints. Son premier bras droit, Sirajuddin Haqqani, est le chef du réseau Haqqani, très proche des talibans, chargé des opérations militaires. On lui prête également le soutien des services secrets de l’armée pakistanaise.
Mais il n’est pas originaire de Kandahar, le bastion historique des talibans, contrairement à l’autre bras droit du mollah Mansour, Haibatullah Akhundzada. Ce religieux et ancien proche du mollah Omar aurait été le chef de la justice dans les territoires contrôlés par les insurgés. Relativement méconnu au sein du mouvement, il ne jouit pas d’une grande popularité auprès des combattants.
C’est lors d’une choura (assemblée) réunissant les membres du conseil central des talibans, basé près de Quetta, au Pakistan, que le nouveau chef devrait être choisi par consensus. Celle-ci aurait déjà démarré dimanche, selon des sources citées par l’AFP.
- L’élimination du mollah Mansour marque-t-elle une inflexion dans la stratégie américaine ?
Après plusieurs mois d’intensification des combats, le raid américain marque une nouvelle escalade dans le conflit avec les insurgés. C’est la première fois que les Américains, qui ciblaient jusqu’alors les membres d’Al-Qaida ou les talibans combattant au Pakistan, décident de frapper les insurgés afghans dans leur sanctuaire pakistanais.
« En tant que partenaire du peuple afghan, les Etats-Unis continueront d’aider à renforcer les forces de sécurité afghanes et à soutenir le président Ashraf Ghani et le gouvernement d’unité nationale dans leurs efforts pour consolider la paix et les progrès que les Afghans méritent », a justifié la Maison Blanche dans son communiqué.
Face à l’incapacité ou au manque de volonté des autorités pakistanaises d’amener les talibans à la table des négociations, les Etats-Unis s’alignent sur la position de Kaboul, à savoir éliminer les insurgés, au risque d’irriter Islamabad. Le ministère des affaires étrangères du Pakistan a d’ailleurs dénoncé dimanche l’assassinat du mollah Mansour comme « une violation de sa souveraineté ».
- Le décès du mollah Mansour ouvrira-t-il un nouvel horizon à la « réconciliation » ?
Depuis l’attaque-suicide qui a fait 70 morts en plein cœur de Kaboul, en avril, le président afghan a pris acte de l’impasse des négociations de paix et insiste pour que l’armée pakistanaise mène des opérations contre les talibans afghans réfugiés sur son sol. En vain.
Islamabad continue de plaider pour des pourparlers pendant que Kaboul l’accuse, à mots à peine voilés, de soutenir les talibans afghans. « Cette guerre n’est pas une guerre civile, mais une guerre livrée par des terroristes et leurs soutiens dans la région contre notre pays », a déclaré M. Ghani, le 25 avril, en faisant une allusion à son voisin pakistanais.
Le mollah Mansour « était directement opposé aux négociations de paix et au processus de réconciliation », a justifié dimanche M. Kerry. Mais, après son décès, les négociations avec un mouvement taliban éclaté risquent d’être encore plus compliquées. Et la mort du mollah Mansour ne change rien au rapport de forces sur le terrain. L’armée afghane est toujours bien en peine pour faire reculer les insurgés.