L’entrée de l’hôpital Souza Aguiar, à Rio de Janeiro, le 19 juin 2016. Un « groupe de trafiquants armés » d’une vingtaine de personnes a fait irruption dans l’hôpital pour en exfiltrer un de leurs chefs. | Silvia Izquierdo / AP

Lorsqu’une vingtaine de trafiquants de drogue armés jusqu’aux dents ont envahi l’un des plus grands hôpitaux de Rio de Janeiro ce week-end, pour exfiltrer leur chef présumé, « l’état de calamité », décrété vendredi 17 juin par l’Etat de Rio, a pris tout son sens. Soigné sous escorte policière, le leader du gang, connu sous le nom de « Fat Family », s’est évaporé dans la nature. L’incident a fait un mort au sein du personnel médical et suscité une nouvelle vague d’inquiétude sur la sécurité publique. Rio est en proie à une explosion de violence à quelques semaines des Jeux olympiques, qui commencent le 5 août.

Mais si la situation est calamiteuse, le décret sur « l’état de calamité » pris par Francisco Dornelles suscite la controverse. Le gouverneur par intérim a justifié cette mesure inédite au Brésil par le risque de ne pas parvenir à financer les JO et les services publics. Il a expliqué craindre un « effondrement imminent » de « la santé, l’éducation, la mobilité, la sécurité publique et la gestion environnementale ». Le gouvernement de l’Etat de Rio a prévu un déficit de 19 milliards de reais (près de 5 milliards d’euros) pour 2016.

« L’Etat de Rio est le Venezuela du Brésil »

« L’Etat de Rio est le Venezuela du Brésil », commente Maurico Santoro, professeur de sciences politiques à l’université de l’Etat de Rio. Les salaires de la police, des enseignants et des médecins, ainsi que les retraites, sont payés en retard. Deux hôpitaux ont dû être transférés de la juridiction de l’Etat à celle de la ville de Rio, les écoles sont occupées par les élèves, la morgue publique ne fonctionne plus dans des conditions sanitaires normales.

Gabegie rampante

« Le principal souci de l’Etat de Rio est de garantir la réputation internationale des JO. Un gouvernement raisonnable aurait réduit les dépenses et investi dans les services publics. A la place, on a un décret démontrant une gabegie rampante. C’est choquant », dénonce Theresa Williamson, rédactrice en chef du site Rio on Watch, dédié à l’actualité des bidonvilles.

Le gouvernement fédéral à Brasilia a répondu immédiatement à la demande du gouverneur de Rio, membre du Parti progressiste, allié de la formation du président par intérim, Michel Temer (le PMDB, Parti du mouvement démocratique brésilien). Il a accordé une aide d’urgence de 2,9 milliards de reais (environ 750 millions d’euros). Une partie ira à la construction du métro, sans qu’on sache vraiment aujourd’hui s’il sera fini à temps. Cette aide doit encore être ratifiée par le Congrès.

Légalité contestée

La légalité de la décision du gouverneur Dornelles est toutefois contestée. L’état de « calamité » n’est en théorie applicable qu’à un désastre naturel, pas à une situation financière, estime le professeur de droit constitutionnel de l’université PUC de Sao Paulo, Roberto Dias, dans le quotidien Folha.

Le syndicat des médecins de Rio va demander l’invalidation du décret pour violation de la Constitution auprès du Tribunal fédéral suprême. « Si ce dernier décide de juger cette manœuvre illégale, les conséquences seront désastreuses pour le gouvernement Temer », note Maurico Santoro. Afin de ne pas gâcher la fête, le tribunal pourrait attendre la fin des JO avant de statuer sur la question. Mais si l’Etat de Rio obtient satisfaction, il pourrait créer un dangereux précédent.

Renégocier la dette des Etats

Deux autres Etats en situation financière extrêmement tendue (Minas Gerais et Rio Grande do Sul) envisagent déjà de suivre l’exemple. L’ensemble des gouverneurs des Etats du Brésil devaient rencontrer Michel Temer lundi 20 juin et faire pression sur le président intérimaire pour renégocier la dette des Etats, d’après le quotidien Estadão.

La chute des revenus du pétrole est l’une des principales raisons de l’état désastreux des finances de l’Etat de Rio. Mais il faut aussi prendre en compte leur gestion déplorable et la relation incestueuse entre le monde politique et les entreprises, souligne Marcus Bacellar, économiste à l’université fédérale de Rio. « L’Etat de Rio se déclare en état d’urgence financière alors que, depuis des années, il fait cadeau de milliards de reais d’exonérations fiscales à des dizaines d’entreprises », dit-il. Entreprises qui financent les campagnes électorales de nombreux élus.

Selon le quotidien Folha, cette aide financière d’urgence pour tenir jusqu’aux JO ne représente que le tiers des quelque 2,2 milliards d’euros d’exonérations fiscales accordées cette année aux entreprises.

(Rio de Janeiro, intérim)