L’opération séduction des candidats démocrates sur les Afro-Américains
L’opération séduction des candidats démocrates sur les Afro-Américains
Par Audrey Fournier
En 2012, Cette part essentielle de l’électorat a voté à 80 % en faveur du candidat démocrate à l’élection présidentielle.
Manifestation contre le drapeau confédéré à Columbia, Caroline du Sud, le 20 juin 2015, après le massacre de l’église de Charleston, au cours duquel neuf personnes ont été tuées par un extrêmiste blanc. | MLADEN ANTONOV / AFP
En 2012, les Afro-Américains constituaient 13 % de l’électorat du pays (chiffres Census bureau), avec un taux de participation légèrement supérieur à celui des électeurs blancs. A plus de 80 %, ils votent en faveur du candidat démocrate à l’élection présidentielle. C’est dire si capter cette masse d’électeurs fut un enjeu crucial pour les candidats Hillary Clinton et Bernie Sanders, tout au long de la primaire démocrate.
S’assurer le vote de cette communauté est particulièrement important dans les Etats du sud du pays : les sondages à la sortie des urnes ont montré à l’occasion des primaires et des caucus que les électeurs blancs se divisent à quasi égalité entre Sanders et Clinton. Dans ces Etats, ce sont donc les minorités qui font le roi, ou, en l’occurrence, plutôt la reine.
La campagne pour emporter ce vote des Afro-Américains se cristallise traditionnellement autour de la primaire de Caroline du Sud, dans laquelle Hillary Clinton avait perdu face à Barack Obama en 2008, entraînant un transfert massif du vote afro-américain en faveur du futur président. C’est à l’occasion de ce vote crucial, en février, que les candidats ont dégainé des spots de campagne spécialement taillés pour éveiller l’attention de cette minorité convoitée.
L’indignation polie, pour un électorat gagné d’avance
Broken | Hillary Clinton
Durée : 00:31
« Quelque chose est fondamentalement cassé quand on voit que les Afro-Américains sont plus susceptibles d’être arrêtés par les forces de l’ordre et envoyés en prison avec des sentences plus longues, pour des délits similaires à ceux commis par des blancs. »
Dans le clip « Broken », diffusé peu avant la primaire de Caroline du Sud, Hillary Clinton regrette que « trop de rencontres avec les forces de l’ordre aient une issue tragique », promet une politique « pour contrebalancer le fait que des générations entières aient été négligées » et dénonce une « injustice » et un « racisme systémique ».
Format épuré, alternance d’images de Clinton en train de prononcer son discours et d’images de figurants noirs dans leur vie quotidienne : rien d’original ni de polémique dans ce spot, si ce n’est le choix du fond sonore − un « beat » qui évoque de loin la partition d’une chanson de hip hop, là où des sonorisations bien plus lisses et classiques sont utilisées dans ses clips s’adressant à l’ensemble de la population, comme celui-ci :
Stronger Together | Hillary Clinton
Durée : 00:31
Dans « All the good » , la voix de Morgan Freeman (connue à Hollywood comme « la voix de Dieu ») évoque l’implication de longue date de la candidate en faveur des droits et de la promotion des minorités et des populations fragiles. L’engagement social d’Hillary Clinton, qui remonte aux années 1970 lorsqu’elle a cofondé l’ONG Arkansas Advocates for Family and Children, est effectivement sa meilleure arme pour emporter leur vote.
All The Good | Hillary Clinton
Durée : 01:03
« A l’Eglise, elle a appris qu’il fallait faire tout le bien possible, pour autant de gens qu’on le peut, aussi longtemps qu’on le peut » : le message est double et s’adresse aux Afro-Américains et Latino-Américains, qui sont par ailleurs directement cités par Freeman :
« Elle a réformé la justice des mineurs en Caroline du Sud, dénoncé le racisme dans les écoles d’Alabama, inscrit les Latinos sur les listes électorales au Texas, et fournit une aide juridique aux familles d’Arkansas. »
The water crisis in Flint | Hillary Clinton
Durée : 01:01
Sûre de ses soutiens dans la communauté noire, Clinton va jusqu’à utiliser l’actualité au profit de sa campagne. Dans « The water crisis in Flint », diffusé en février également, elle met en scène sa visite dans cette ville du Michigan sinistrée par de l’eau empoisonnée, à la suite d’un changement de fournisseur.
Le clip ressemble à un reportage, qui mêle les témoignages poignants des habitants, essentiellement afro-américains, aux appels à l’aide. La candidate clôt le spot en martelant qu’il faut faire tout ce qui est peut l’être pour aider « les enfants de Flint ». Afin de ne pas être soupçonné d’utiliser la misère des autres pour promouvoir un candidat, le clip renvoie vers un portail de don en ligne pour les victimes de la pollution.
S’imposer contre l’establishment démocrate : le pari raté de Bernie Sanders
Pas évident pour Bernie Sanders d’exister face au poids lourd du parti. Dans les Etats du sud, où le clivage racial est encore très fort, la loyauté des Noirs envers le parti démocrate est une constante depuis l’après-guerre, a mis en évidence l’universitaire américain Vincent Hutchings dans ses travaux. Or Sanders a fait toute sa carrière politique en tant qu’indépendant et ne s’est rallié au parti démocrate que pour faire campagne. Sanders avait donc tout intérêt à porter ses efforts sur les Afro-Américains des Etats du nord, surtout les jeunes, auprès desquels ses prises de position contre les inégalités ont reçu un accueil très favorable.
Pour ce faire, son équipe a frappé très fort avec le clip « It’s not over », qui met en scène Erica Garner, la fille d’Eric Garner, un homme noir, sans emploi, qui vendait des cigarettes dans la rue et a été étouffé en juillet 2014 par des policiers, à la suite d’une violente interpellation.
It's Not Over | Bernie Sanders
Durée : 03:57
Volontairement bouleversant, ce clip pointe les maux dont souffre la communauté noire américaine : Erica Garner est une très jeune mère célibataire, elle-même élevée par un très jeune père, dans la plus grande précarité. Elle doit s’occuper aujourd’hui seule de sa fille et mène un combat depuis deux ans pour que son père ne soit pas mort en vain.
« Ceux qui sont morts pour nous étaient des opposants (“protesters”), je pense que Bernie Sanders est un opposant », annonce-t-elle en voix off, pendant que des images de manifestations, de marches pacifiques défilent à l’écran pendant plus de trois minutes (la version longue a été diffusée sur la Toile et les réseaux sociaux, une version plus courte a été éditée pour la télévision).
C’est seulement dans les dernières secondes que le visage et la voix de Bernie Sanders apparaissent pour, globalement, dire la même chose qu’Hillary Clinton − les Noirs ne doivent plus être les victimes d’une violence aveugle et disproportionnée des forces de l’ordre −, mais le message contient une forte charge émotionnelle destinée à convaincre des électeurs qui ne penchent pas en sa faveur.
Dans sa quête de l’électorat noir, Bernie Sanders aurait pu être aidé par son image de jeune militant des droits civiques dans les années 1960. La photographie du candidat en jeune homme, participant à un sit-in à Chicago en 1963, qui se fait évacuer manu militari, est arrivée à point nommé pour nourrir les clips de campagne à destination de la communauté noire.
#Arrest photo emerges of Bernie #Sanders at 1963 Chicago civil rights protest https://t.co/yh8MqsSmD7 https://t.co/b2XvszXOEm
— RT_com (@RT)
« Il était là quand Docteur King a marché sur Washington », rappelle la voix off dans le spot « Wheels of Invevitability », pour marquer la différence entre « ceux qui parlent » et « ceux qui agissent ».
Wheels of Inevitability
Durée : 00:31
Là encore, la voix off d’un acteur noir et l’accompagnement musical, un thème vaguement hip hop, doivent contribuer à faire passer le message.
Aucun candidat n’a utilisé l’argument du rassemblement comme Bernie Sanders dans ses discours et ses clips de campagne. Pourtant, rien qu’en Caroline du Sud, les Afro-Américains ont voté à 86 % pour Hillary Clinton lors de la primaire (à titre de comparaison, elle n’a emporté « que » 54 % du vote blanc).
La fidélité au parti démocrate a largement prévalu sur l’aspiration au changement. Le bilan et la constance d’Hillary Clinton sur ces sujets, ainsi que l’excellente image de son mari, Bill Clinton, auprès de la communauté noire dont elle a bénéficié par ricochet, lui ont permis de s’imposer face à l’outsider.