Pour les grévistes des raffineries Normandie et Gravenchon, « la radicalisation, c’est le 49.3 »
Pour les grévistes des raffineries Normandie et Gravenchon, « la radicalisation, c’est le 49.3 »
Par Angela Bolis (Notre-Dame-de-Gravenchon, envoyée spéciale)
Le conflit autour des sites pétroliers s’est encore durci mardi, alors que la contestation de la loi travail doit s’intensifier mercredi.
La raffinerie Exxon Mobil de Gravenchon cesse progressivement son activité, le 24 mai 2016, suite à la grève votée par une partie du personnel pour protester contre la loi Travail. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
« Ça y est, on est huit raffineries sur huit en grève ! » Au local de la Confédération générale du travail (CGT) de la raffinerie Total Normandie – la plus grande de France – à Gonfreville-L’Orcher, près du Havre, c’est l’effervescence mardi 24 mai. L’infrastructure voisine de Gravenchon (Exxon Mobil) est entrée en grève et en phase d’arrêt de ses installations dans la matinée, rejoignant celles de Normandie (Total), Feyzin (Total) et Donges (Total), à l’arrêt total, celle de La Mède Provence (Total), en fonctionnement minimum, et celles de Fos (Exxon Mobile) et Lavéra (Petroineos), en grève également, détaille Thierry Defresne, délégué CGT Total.
Loi travail : la carte des raffineries bloquées
La CGT a appelé au blocage des raffineries pétrolières, « étape supplémentaire » dans la lutte des syndicats contre la loi El Khomri de réforme du code du travail. Depuis vendredi 20 mai, plusieurs installations sont empêchées de fonctionner.
A la raffinerie de Normandie, le mouvement a été lancé il y a une semaine, lors de la journée d’action nationale du mardi 17 mai. Il s’est aussitôt accompagné de barrages bloquant l’accès à toute la zone industrielle du Havre. « Même en grève, on est obligés d’aller travailler, on est sur un site Seveso qui tourne 24 heures sur 24, 365 jours de l’année. Donc on assure les relèves, mais on a exigé l’arrêt des expéditions de produits. Et vendredi, il y a eu un ras-le-bol, on a voté l’arrêt complet des installations, pour pouvoir exercer pleinement notre droit de grève », explique M. Defresne. Les barrages ont été levés spontanément lors de cette décision de l’arrêt de la plateforme pétrolière. Aujourd’hui, environ 50 % du personnel d’exploitation a cessé son activité, selon la CGT. « On ne veut pas entendre parler du mot blocage des raffineries, il y a juste du personnel en grève, ce qui entraîne l’arrêt de la production », précise Alain Lebas, délégué de la centrale syndicale sur la plateforme Normandie.
Stratégie d’assèchement
Mardi, l’heure est à la solidarité avec les mouvements voisins contre la loi travail. L’intervention musclée des forces de l’ordre pour débloquer les dépôts de Fos-sur-Mer, à l’aube a remué les esprits. « Ils ont utilisé des canons à eau, des lacrymos, des flash balls, un bulldozer, le local CGT a été assiégé… Ça nous redonne de la force, quand on tape sur un camarade, on tape sur tout le syndicat », explique Alain Lebas. Une assemblée générale a lieu à la raffinerie voisine de Gravenchon. Le personnel de Normandie affilié à la CGT a décidé de s’y rendre, en soutien avec le mouvement de cessation de travail décidé le matin. Environ 150 grévistes y font face à quelques salariés venus avec des pancartes « contre la grève ». « On ne veut pas être pris en otage par l’arrêt de notre site de production. On a peur que ça mette notre entreprise en danger », fait valoir Sophie Bourdon, salariée depuis 24 ans à Gravenchon. A la tribune, un délégué CGT prend la parole : « On veut qu’il n’y ait pas une goutte d’essence qui sorte, c’est une stratégie d’assèchement de toutes les stations services de France. »
Du personnel grèviste de la raffinerie Exxon Mobil de Gravenchon se réunit, le 24 mai 2016 à l'entrée du site, alors que la grève vient d'être votée pour protester contre la loi Travail. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Comme sur la plateforme Normandie, les personnes mobilisées craignent, pêle-mêle, les heures supplémentaires moins payées, le travail de nuit ainsi que le fractionnement du repos entre deux services moins bien pris en compte, le licenciement pour raisons économiques facilité, dans un secteur plombé par la chute du prix du pétrole. « Ce qui va nous tomber sur la tête avec cette loi, c’est la remise en cause des accords collectifs qui nous protègent, alors qu’on a un travail posté pénible et qu’on a des négociations de branche qui nous garantissent pour l’instant certains acquis, notamment sur les retraites anticipées. On voit bien qu’il n’y a pas de dialogue possible avec nos patrons ni de liberté démocratique au sein de notre entreprise », estime Pascal Servain, secrétaire adjoint de la CGT chimie d’Exxon.
Thierry Defresne poursuit à la tribune : « La radicalisation, ce n’est pas la CGT, c’est le 49.3, c’est l’envoi des forces de l’ordre, c’est ce gouvernement socialiste qui attaque les acquis des salariés. Donc on est obligés de rentrer en résistance. » « Les raffineurs, on est très exposés, car on voit la pénurie dans les pompes à essence. Mais on n’est pas seuls, il y a les dockers, les métallos, les cheminots… Ce qui compte, c’est que l’interprofession avance ensemble, pour atteindre notre unique objectif, le retrait du texte », poursuit-il. Dans la soirée, la CGT de la plateforme de Normandie a prévu de poursuivre sa tournée de « solidarité » en se rendant à la CIM, la compagnie industrielle maritime au port du Havre, pour soutenir la grève illimitée décidée quelques heures plus tôt. Un lieu stratégique, qui, selon M. Defresne, reçoit 40 % des importations de pétrole en France, et alimente les raffineries ou les aéroports d’Orly et de Roissy.