Rapport annuel sur l’état de la France en 2016 : dix indicateurs pour comprendre
Rapport annuel sur l’état de la France en 2016 : dix indicateurs pour comprendre
Par Jean-Pierre Gonguet
Le rapport annuel sur l’état de la France s’appuie sur dix indices de richesse autres que le PIB. Ils ont été présentés en octobre 2015 par Manuel Valls. Chaque année, le Conseil économique, social et environnemental devra l’actualiser, l’enrichir, puis l’assortir de préconisations. 2016 est sa première livraison.
Valero Doval
- Emploi : difficile pour les jeunes et les plus de 55 ans
Depuis 2009, le taux d’emploi des Français âgés de 15 à 64 ans est « globalement stable » : 64,3 % en 2014, ce qui situe la France dans la moyenne européenne, au 13e rang des 28 pays. Le taux d’emploi est, pour le Bureau international du travail, le pourcentage de personnes en emploi par rapport à l’ensemble de la population en âge de travailler. Il suffit d’avoir travaillé une heure au cours d’une semaine pour être considéré « en emploi ». Si l’indicateur ne rend pas compte de la qualité des emplois ni de leur précarité, il montre que la société française est caractérisée par une grande faiblesse des taux d’emploi aux deux extrémités de la vie active : seulement 28,4 % des 15-24 ans sont en emploi en France, contre 46,1 % en Allemagne. Quant à l’emploi des plus de 55 ans, il est inférieur de 4 points à la moyenne européenne. - Revenus : un peu moins d’inégalités
Un petit mieux. Si les inégalités de revenus se sont accrues entre 1996 et 2012, elles semblent se réduire depuis 2013. C’est le triple effet de la baisse des revenus médians des ménages, de celle des taux de placement et de la hausse sensible de la fiscalité sur les hauts revenus. Les écarts de revenus sont toujours forts entre hommes et femmes, particulièrement dans les catégories intermédiaires (25 %), mais la France est le pays qui a le plus réduit les inégalités de revenus, grâce aux politiques fiscales et sociales menées depuis 1945. - Pauvreté : les vertus des politiques publiques
Pour comprendre la pauvreté en dehors de la question monétaire, Eurostat a interrogé les Européens des 28 pays sur ce dont ils se privent. L’organisme statistique européen a sélectionné dix items, du manque de chauffage ou de la non-consommation de viande, jusqu’à l’impossibilité de prendre une semaine de vacances ou d’acheter un téléphone. A partir de 3 privations, on est considéré comme « pauvre en conditions de vie ». Depuis 2005, cet indice de pauvreté varie peu en France et concerne entre 12 % et 13 % de la population. Il reste très inférieur à la moyenne européenne, le taux pouvant atteindre 24 % en Italie. L’INSEE montre par ailleurs que parmi les 14 % de la population située en dessous du seuil de pauvreté monétaire, seulement 37 % se déclarent comme « pauvres en conditions de vie ». En revanche, parmi les 12 % recensés comme tels, seulement 41 % sont en dessous du seuil de pauvreté monétaire. L’évolution de l’indicateur montre surtout que les politiques françaises de réduction de la pauvreté n’ont pas tellement pour objectif de l’éradiquer, mais d’assurer un minimum vital aux ménages pauvres ou de corriger les effets de la pauvreté sur l’état de santé de la population. - Scolarité : les écarts se creusent
Un Français sur dix, âgé de 18 à 24 ans, ne poursuit ni études ni formation. Mais les statistiques ont du mal à identifier précisément le nombre et le profil des jeunes qui sortent du système scolaire. Le CESE a beaucoup produit sur la question et aimerait que l’indicateur soit retravaillé. En effet, si le taux de sortie est inférieur en 2013 à la moyenne européenne (9,5 %, contre 12 %), la France se caractérise par un écart important et croissant entre les élèves qui réussissent et ceux qui sont en difficulté scolaire. Jamais l’écart entre les plus et les moins diplômés n’a été aussi grand depuis 1978 en matière d’accès au travail. Les discriminations semblent s’aggraver : 20 % à 25 % des jeunes en échec scolaire le sont à cause de leurs origines socio-économiques, contre 15 % en moyenne dans l’OCDE. - Recherche : le grand décrochage
L’indicateur illustre parfaitement « la manière dont notre pays ne prépare pas suffisamment bien l’avenir ». Un indicateur, dit le rapporteur Pierre-Antoine Gailly, qui « ne porte pas à l’enthousiasme ». En 2000, lorsque l’Union européenne a décidé que l’effort de recherche et d’innovation de chaque pays devrait atteindre 3 % d’ici 2020, la France et l’Allemagne avaient un taux de 2,25 %. Quinze ans après, la France est à 2,26 %, l’Allemagne a dépassé les 3 %. Comme l’Autriche, le Danemark, la Finlande ou la Suède. Tous les indicateurs supplémentaires recensés par le CESE sont au rouge : la part de la France dans les publications scientifiques internationales a baissé de 15,1 % entre 1999 et 2013. La part de la France a baissé également dans les demandes mondiales de brevets européens : 8,3 % en 1994, et 6,4 % en 2012. Le décrochage se vérifie également dans le privé ; les investissements R&D des entreprises françaises du classement Global Innovation 1 000 sont en progression de 28 % depuis 2005, alors que ceux de l’ensemble des entreprises européennes ont été de 66 %.
Le CESE reconnaît bien sûr l’effort financier de la nation, avec le crédit impôt recherche, mais note immédiatement que les 6 milliards en sont mal ciblés, ou utilisés par les firmes internationales comme instrument d’optimisation fiscale.
Manque d’attractivité des professions de la recherche, mauvaises décisions gouvernementales, faible réussite des pôles de compétitivité (avec seulement 1,5 % des brevets déposés et 5 % des entreprises innovantes), saupoudrage improductif des financements publics, le rapport du CESE est alarmant. Il soulève la question du rapport des Français à la science et au progrès. S’il reconnaît que « dans un contexte de crise sociale persistante, le progrès scientifique peut susciter la défiance des citoyens », il comprend mal que les décideurs puissent partager cette crainte et freinent l’effort de la nation en matière de recherche. - Investissement : le frein du pessismisme
L’endettement est un des indicateurs les plus composites qui soit. Il additionne les dettes publiques et privées qui, pourtant, « ont des trajectoires assez largement autonomes ». La dette publique française est supérieure à la moyenne européenne ; celle des sociétés non financières est proche de la moyenne ; celle des ménages français, dans la moyenne. L’endettement des ménages croît fortement depuis 2000 : il atteint aujourd’hui 57,2 % du PIB, alors qu’à l’automne 2015 le premier ministre annonçait encore un taux de 55 %. En comparant données françaises et européennes, il apparaît toutefois que « dans une période pourtant favorable de taux bas, les entreprises et, dans une moindre mesure, les ménages recourent moins à l’emprunt que dans nombre de pays voisins, reflétant ainsi des difficultés à investir, probablement liées à une absence de visibilité dans l’avenir ». Le pessimisme français bloque le désir d’investissement des entreprises et des ménages. - Environnement : des données inaccessibles
Si, officiellement l’empreinte carbone est « stable », le CESE est en désaccord avec les méthodes statistiques du gouvernement. Même la COP 21 n’a pas réussi à les modifier. L’indicateur est en effet totalement décalé. D’abord, en raison du développement des échanges internationaux et de la globalisation de la production, cette empreinte est « délicate à mesurer au niveau d’un seul pays » et, avec l’indicateur retenu, nul ne peut savoir ce qui relève des importations, de la production nationale ou des ménages. Ensuite l’actualisation des données est trop rare : le CESE a dû travailler en 2016 sur les chiffres de 2012 ou quelques données gouvernementales provisoires de 2014. Il n’a même pas eu accès aux sources de ces données – qui ne sont accessibles à personne. Enfin, le gouvernement n’ayant fixé aucune empreinte carbone cible à atteindre, ni de date pour y parvenir, ni encore de priorité pour chaque secteur d’émission, l’analyse ne peut être que limitée.
- Biodiversité : toujours moins d’espaces agricoles
Au rythme de sa progression actuelle en Europe, l’artificialisation des sols, critère retenu en matière de biodiversité, n’est « pas viable à long terme ». Cette transformation non réversible des terres agricoles progresse deux fois plus vite que la population. Avec 5,8 % de terres ainsi artificialisées, la France est au-dessus de la moyenne européenne. Allemands, Britanniques et Italiens sont en tête, mais les trois pays ont une superficie moins importante et une population élevée. En France, 54 000 hectares sont artificialisés chaque année depuis 2008. Les espaces agricoles sont toujours majoritaires (51 % de la superficie du territoire), mais perdent 70 000 hectares par an. La principale cause est l’extension de l’habitat individuel, qui mange la moitié des terres nouvellement artificialisées. Viennent ensuite l’extension du réseau routier et le développement des infrastructures et des centres commerciaux en périphérie urbaine. - Espérance de vie : des progrès mais de fortes disparités
Cet indicateur stagne globalement en Europe, mais progresse légèrement en France. Depuis vingt ans, l’espérance de vie en bonne santé, qui mesure le nombre d’années pendant lesquelles une personne peut compter vivre en bonne santé, sans limitation d’activité dans les gestes de la vie quotidienne, a progressé de deux ans. Elle est désormais de 63,8 ans (comme en Allemagne ou au Royaume-Uni). La France se caractérise, dans ce domaine également, par une forte différenciation entre catégories sociales. L’espérance de vie d’un cadre de 35 ans est de quarante-sept ans, tandis que celle d’un ouvrier du même âge est de quarante et un ans. L’écart est deux fois moindre chez les femmes, cadres et ouvrières – avec, respectivement, une espérance de vie de cinquante-deux et quarante-neuf ans –, mais il reste fort entre salariés et non-salariés. - Satisfaction : l’obstacle de l’isolement social
Depuis le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009, l’idée d’intégrer le bonheur ou la satisfaction pour comprendre les performances d’une nation a fait son chemin. L’Insee, qui travaille sur ces indices de qualité de vie depuis 2010, reste extrêmement prudent, n’ayant pas encore l’appareil méthodologique fiable pour analyser ces données purement subjectives. Cependant, d’après les éléments recueillis par Eurostat, il est possible de comprendre un peu mieux les raisons du pessimisme ou du « malheur français ». Les Français sont en dessous de la moyenne européenne, avec une grande constance, depuis cinq ans. Ils se caractérisent par le très faible pourcentage (17 %) de « très satisfaits ». La France est même, selon l’étude WIN/Gallup 2015, l’un des 11 pays, avec l’Italie et la Grèce, où la part d’habitants se déclarant heureux est minoritaire. La France et l’Italie ont les plus bas niveaux de satisfaction à l’égard de la vie, du bonheur, de la satisfaction politique et de la confiance. Quant au niveau de confiance dans autrui, il est plus faible en France que dans la majorité des pays européens.
Si l’Insee montre que les Français en emploi et en bonne santé se disent les plus heureux, le CESE, lui, n’arrive pas à expliquer pourquoi les jeunes, qui sont les plus touchés par le chômage, sont pourtant les plus heureux. Il peine également à comprendre la très faible qualité des liens sociaux : 14 % des Français sont en difficulté sur cet indicateur, indépendamment de leur sexe ou de leur lieu de résidence. Cet indicateur, l’un des importants aux yeux du CESE, se résume malheureusement à une seule question. Pourtant l’isolement social, la faiblesse des liens sociaux sont déterminants dans le sentiment d’insatisfaction. Bien plus, selon les données citées par le CESE, que les difficultés financières, le mauvais état de santé ou le stress. L’isolement social est peut-être au cœur du sentiment de malheur français.
Cet article fait partie d’un supplément réalisé en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE).