RDC : l’opposition lance son « Rassemblement » anti-Kabila derrière Etienne Tshisekedi
RDC : l’opposition lance son « Rassemblement » anti-Kabila derrière Etienne Tshisekedi
Par Elise Barthet (Genval, envoyée spéciale)
Les chefs des différents partis congolais d’opposition se sont réunis pour exiger à nouveau le respect de la Constitution et le départ de Joseph Kabila mi-décembre, terme de son mandat.
Avis aux sceptiques : le « vieux » bouge encore. Précautionneusement, à petits pas, mais suffisamment pour donner le change. Très attendu mercredi 8 juin à l’ouverture du « conclave » de l’opposition congolaise, Etienne Tshisekedi a été ovationné à son arrivée dans la salle de conférence du Château du Lac, à Genval, dans la banlieue chic de Bruxelles. Casquette vissée sur la tête, assisté de l’abbé Théodore, son secrétaire, il a fait deux fois le tour de la pièce pour saluer les participants. Beaucoup retenaient leur souffle. L’octogénaire, bien que malade, est resté debout. Icône fatiguée d’une opposition en quête d’unité.
Dans un discours d’une douzaine de minutes, scandé de longs silences, le chef historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a appelé au rassemblement pour « chasser qui vous savez ». « C’est par le dialogue, a-t-il insisté, que tout finit par s’arranger. » Un mot qui fait grincer quelques dents. L’opposition congolaise serait-elle finalement prête à négocier avec le régime ? Loin s’en faut.
« Nous sommes tout près de la victoire »
L’accord dégagé jeudi soir après des dizaines d’heures de palabres et autant d’attente exclut toute participation au « dialogue » promu par Kabila. Dans leur « acte d’engagement », les « conclavistes » exigent le respect de la Constitution, la mise en œuvre de la résolution 2277 des Nations unies pour le lancement du processus électoral, l’arrêt des poursuites judiciaires contre les membres de l’opposition, la libération de l’espace médiatique, celle des prisonniers politiques et, surtout, le départ du président Kabila le 19 décembre, à 23 h 59 précises.
L'"acte d'engagement" sur lequel se sont mis d'accord les opposants congolais jeudi soir #ConclaveBxl https://t.co/o6B3VsXXxb
— EliseBarthet (@Elise Barthet)
Arrivé au terme de son second mandat présidentiel, ce dernier ne peut légalement pas se représenter. A l’étroit dans sa Constitution, il a opté pour une stratégie de « glissement » du calendrier électoral. Un pari gagnant pour le moment : le scrutin présidentiel, prévu le 27 novembre, a très peu de chance de se tenir dans les délais. La Commission électorale nationale indépendante l’a reconnu elle-même, évoquant un retard de quatorze à seize mois. Surtout après la décision, en mai, de la Cour constitutionnelle qui permet à Joseph Kabila de se maintenir en poste tant qu’un nouveau président n’est pas élu.
Pour faire pression sur l’homme fort de Kinshasa, les opposants réunis en Belgique ont donc décidé de créer un mécanisme de suivi baptisé le Rassemblement, qui comprend un organe de coordination des actions à mener sur le terrain. En revanche, « aucun chef de file de l’opposition n’a été officiellement désigné », souligne Martin Fayulu, président du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé). La question d’une candidature commune a également été repoussée. « Quelles que soient les circonstances dans lesquelles le pays va vivre, nous sommes tout près de la victoire », n’a pas hésité à affirmer Etienne Tshisekedi lors de la cérémonie de clôture.
Moïse Katumbi à la manœuvre
Au final, le Rassemblement scelle le rapprochement amorcé depuis plusieurs mois entre l’UDPS et les alliés de Moïse Katumbi. Car, s’il était absent de la réunion (ses proches le disent en convalescence à Londres), l’ancien gouverneur de l’ex-province du Katanga, candidat à la présidence et poursuivi par Kinshasa pour « atteinte à la sécurité intérieur et extérieure », n’en était pas moins à la manœuvre. C’est son frère aîné, Raphaël Katebe Katoto, très proche d’Etienne Tshisekedi, qui a chapeauté et financé en partie l’organisation de la réunion bruxelloise. C’est également lui qui en a choisi le lieu : le Château du Lac, un luxueux hôtel où Moïse Katumbi avait célébré son mariage avec Carine Nahayo.
L’hôtel Château du Lac, à Genval, dans la banlieue chic de Bruxelles. | THIERRY CHARLIER / AFP
Il faut dire que l’endroit, qui jouxte la riche commune de La Hulpe et ses demeures patriciennes, est propice à la concorde. Situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Bruxelles, dans le Brabant wallon, le château construit en 1906 par la Société des eaux minérales a longtemps été une station balnéaire prisée par la haute société belge. Les opposants congolais ont eu tout le loisir d’apprécier ses salons élégants, ses terrasses, son bar et même son baby-foot. Pendant ce temps, face aux arcades, des joueurs de croquet vêtus de blanc tapaient la balle sur des pelouses impeccables.
Un écrin trop clinquant pour Vital Kamerhe, le patron de l’Union pour la nation congolaise (UNC), qui a refusé de se mêler à cette « opposition caviar ». « C’est plus chic ici que l’Hôtel du Fleuve à Kinshasa alors que nos compatriotes sont en train de mourir à Béni ! », s’est-il indigné. L’UNC s’est contentée d’envoyer une « mission exploratoire » à laquelle participait Jean-Bertrand Ewanga, secrétaire général du parti. « Se retrouver en juin en Belgique comme en 1959 lors des négociations pour l’indépendance, c’est aussi revenir cinquante-sept ans en arrière. Le combat doit se mener sur le terrain », a martelé Vital Kamerhe.
Couper Tshisekedi de Kabila
L’ancien président de l’Assemblée nationale tient encore rigueur à l’UDPS de n’avoir pas soutenu les marches de protestation auxquelles son mouvement avait appelé le 26 mai. « Mais il faut sortir des petites manifestations, voir plus grand », lui rétorque Delly Sesanga, président de l’Alternative pour la République. Justifiant le choix de Bruxelles pour le conclave, le député assure qu’une telle rencontre n’aurait pu se tenir à Kinshasa « même avec la meilleure volonté du monde ». Le risque d’interdiction, voire d’arrestation, était trop grand. Et puis Etienne Tshisekedi vit ici.
« Il fallait à tout prix couper l’UDPS de Joseph Kabila, quitte à perdre Vital Kamerhe », reconnaît l’élu katumbiste. Courtisé par le pouvoir qui espérait le voir s’asseoir à la table des négociations de son « dialogue national », Etienne Tshisekedi reste une pièce maîtresse de l’échiquier politique congolais. Malgré l’âge et la distance, il jouit encore d’une immense popularité, notamment dans son fief du Kasaï et à Kinshasa. Au terme du « conclave », il a hérité de la présidence toute symbolique d’un comité des sages de l’opposition.
Mais, à Genval, comme sur les rives du fleuve Congo, nul n’ignore que le vieux « Sphinx » se rêve en président de transition. « Je suis prêt, je m’y suis préparé. Le peuple est mûr pour la démocratie », a-t-il assuré au Monde Afrique jeudi. Kabila a volé ma victoire le 28 décembre 2011. Il n’était rien, mais il avait les militaires. » Un homme de 83 ans, malade, peut-il mieux incarner l’avenir d’un pays où la moitié de la population a moins de 15 ans ? Lui y croit. « Je suis un modèle », assure sans trembler M. Tshisekedi.
De transition, il n’est pourtant pas question dans l’accord signé à Genval. « Etienne Tshisekedi n’est pas capable, physiquement, d’être président du Congo », a confié un chef de parti sous le couvert de l’anonymat. Le vieux chef est un symbole de résistance, mais surtout un « label opposition certifiée » pour les anti-Kabila tardifs, qui ont besoin de sa caution pour réclamer l’alternance. Ils étaient nombreux ces deux derniers jours à Genval.