« A Grenoble, “L’Etat matraquant la Liberté” n’aurait pas eu le même écho il y a trois mois »
« A Grenoble, “L’Etat matraquant la Liberté” n’aurait pas eu le même écho il y a trois mois »
Propos recueillis par Emmanuelle Jardonnet
Jérôme Catz, organisateur du Grenoble Street Art Fest, répond à la polémique suscitée par la fresque de l’artiste Goin, représentant une Marianne matraquée par la police.
La fresque du street artiste Goin a créé la polémique à Grenoble dès son apparition, vendredi 24 juin. | PHILIPPE DESMAZES/AFP
Dès son apparition, vendredi 24 juin au matin, sur un mur de l’hyper-centre de Grenoble, dans le cadre d’un festival d’art urbain, une fresque du street-artiste français connu uniquement sous son pseudonyme de Goin (prononcer go-in) a provoqué les réactions scandalisées d’une partie du personnel politique, de droite comme de gauche. Jérôme Catz, organisateur du Grenoble Street Art Fest, dont la 2e édition s’est terminée dimanche 26 juin et auteur d’un livre sur le travail de cet artiste (publié dans la collection Opus Délits, éd. Critères) répond aux attaques.
Lire : A Grenoble, une œuvre d’art urbain jugée hostile à la police suscite la polémique
Le pochoir de Goin montre des policiers frappant une femme symbolisant Marianne, à terre, à coups de matraque. Cette image contestataire a-t-elle sa place dans un festival de street art ?
Oui. En tant que festival, nous faisons le choix d’inviter ce genre d’artistes engagés à s’exprimer dans l’espace public. Goin est un pochoiriste militant, qui se tient au courant de la politique, française et internationale. Il ne fait pas ça pour en vivre, préfère rester anonyme, et n’est pas représenté en galerie, même s’il a une petite production en atelier. Après tout, Goin montre sur sa fresque ce qui fait la une des journaux et des JT depuis quinze jours. Il y a actuellement quelques milliers de personnes qui manifestent et une loi travail qui passe avec le 49.3, tout le monde comprend quand même de quoi il s’agit...
La polémique ne serait pas la même si l’œuvre avait été réalisée sans autorisation par l’artiste, comme le fait un Banksy, plutôt que dans un cadre en partie financé par la mairie... Ne touche-t-on pas ici la frontière entre le registre du graffiti illégal et le street art autorisé ?
Peut-être. Mais je rappelle que ce festival est indépendant. La mairie l’accompagne à hauteur de 10 % environ, soit 25 000 euros. Et alors qu’aucun thème n’est donné aux artistes, il se trouve que cette année, trois Marianne sont apparues dans des œuvres à travers la ville. Je ne peux que constater que la représentation de la République et l’évocation de la citoyenneté sont à l’honneur. Je pense aussi aux portraits des résistants panthéonisés que l’artiste C215 a réalisés sur le musée de la Résistance et de la Déportation, ou encore à la restauration de la fresque réalisée en 1979 par Ernest Pignon-Ernest à la Bourse du travail de Grenoble, qui évoque les conditions de travail. Globalement, les artistes ont envie de s’exprimer sur ces questions dans la rue.
Les œuvres du festival sont-elles validées avant d’être réalisées par les artistes ?
Oui, pour les murs qui appartiennent à des propriétaires privés. Les gens veulent voir ce qui va être peint. Il y a un échange préalable, et selon la sensibilité des propriétaires, on leur propose des artistes dont ils apprécient l’esthétique. C’est notre travail de trouver les bonnes combinaisons entre les murs et les artistes, afin qu’ils puissent s’exprimer avec le moins de contraintes possibles. C’est comme ça que naissent les meilleures œuvres, le plus éloigné possible d’un système de commande. En l’occurrence, pour l’œuvre de Goin, il s’agit d’un mur appartenant à l’agglomération, puisqu’il est peint sur le bâtiment des vélos en libre-service situé devant la gare.
Avez-vous anticipé cette polémique ?
Pas du tout. Il y a trois mois, je suppose que la même image n’aurait pas eu le même écho, c’est un concours de circonstance. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une réaction à chaud de l’artiste, puisqu’il a en réalité créé son pochoir il y a six mois. Il me l’avait montré et nous avions décidé qu’il le peindrait en primeur à Grenoble. Il a simplement rajouté récemment la référence au 49.3 sur le bouclier. Aujourd’hui, les policiers sont à bout de nerfs, et certains ont pris l’image frontalement, ce que l’on a parfaitement entendu. L’œuvre est apparue dans la nuit de jeudi à vendredi, un représentant du syndicat SGP Police à Grenoble a alerté le jour même la mairie, qui nous a prévenus, et dès le vendredi soir, l’artiste est venu inscrire le titre de l’œuvre sur le mur, L’Etat matraquant la Liberté, pour montrer que les policiers représentent ici l’Etat, pas des policiers en tant qu’individus.
Craignez-vous une censure ?
La mairie comme le festival respectent le choix de l’artiste. Cela relève de la liberté d’expression, et personne ne souhaite prendre l’initiative de l’effacer officiellement pour ne pas tomber dans une polémique sur la censure. On ressent une tension parce que tous les médias nous appellent, mais sur place, il ne se passe rien de spécial. J’ai eu une discussion apaisée avec des policiers municipaux qui ne sont absolument pas remontés contre cette fresque. Et elle crée du débat entre les gens. J’ai vu une dame scandalisée qui, après avoir pris à partie d’autres personnes, a fini par poser devant pour des photos en souriant. Je pense que cette affaire est montée en épingle, et il serait dommage de réduire ce festival à cette polémique.
S’agit-il d’une œuvre pérenne ?
Toutes les œuvres du festival sont pérennes, mais il se trouve que le bâtiment sur lequel cette fresque a été peinte doit être détruit. On le savait, mais on pensait qu’il allait encore rester debout un an. Or, on a appris en cours de route qu’il doit être détruit dans une semaine. Cela devrait soulager les personnes que l’œuvre dérange le plus. Mais par ailleurs, je suis embêté pour les trois autres artistes qui ont travaillé sur ce même bâtiment...