Le poster d’un bulletin de vote sur une vitrine de Berlin, le 24 juin 2016. La veille, le Royaume-Uni avait voté sa sortie de l’Union européenne. | JOHN MACDOUGALL/AFP

Editorial du « Monde ». « Une bonne chose », a déclaré l’Américain Donald Trump à l’annonce de la décision des Britanniques, jeudi 23 juin, de sortir de l’Union européenne (UE). Ailleurs, partout, dans l’ensemble des 27 autres pays membres de l’UE, à l’extrême droite ou souvent aussi à l’extrême gauche, toutes les formations protestataires se sont félicitées de ce vote. Cette unanimité s’explique. Elle a un sens. Elle est fondée sur un malaise commun à l’ensemble du monde occidental – le vieux Nord riche – face au même phénomène : la mondialisation, à laquelle sont attachées les économies émergentes.

Trump, le candidat républicain pour le scrutin de novembre aux Etats-Unis, est farouchement protectionniste, comme l’était Bernie Sanders, celui qui fut longtemps le prétendant démocrate. Le promoteur immobilier new-yorkais veut taxer les importations chinoises et protéger de la concurrence des secteurs entiers de l’industrie américaine. A l’encontre de Sanders, cette fois, Trump s’en prend aussi à l’autre face de la mondialisation : l’immigration. Il veut sceller les frontières du pays, interdire l’entrée des Etats-Unis aux musulmans et chasser 11 millions de travailleurs illégaux venus du sud du Rio Grande.

Mais, pour nombre d’Européens, l’incarnation la plus immédiate de la mondialisation, c’est l’UE. L’Europe de Bruxelles, telle que l’ont voulue les Vingt-Huit démocraties qui la composent, a un profil bien précis : elle est libre-échangiste, elle assure la libre circulation des biens, des services et des capitaux entre ses membres, enfin, elle garantit à tous les ressortissants des Vingt-Huit la libre installation dans le pays de leur choix au sein de l’Union.

Or l’immigration, le contrôle des frontières, la dénonciation des centaines de milliers de travailleurs européens venus en Grande-Bretagne ont été au cœur des artisans de la campagne pour le « Brexit ». Ce fut même leur principal argument, celui sur lequel ils ont gagné. Le vote des Britanniques a été en fait un vote essentiellement anglais, émanation de l’Angleterre pauvre, malmenée par la mondialisation. Mais nombre d’entre eux le disent volontiers : le vote « Brexit » est plus anti-immigration qu’europhobe.

Derrière le thème fourre-tout de l’immigration, ce qu’on dénonce, à tort ou à raison, chez les Anglais les plus à la peine, c’est la pression à la baisse sur les salaires, sur les services publics et sur le niveau de l’école, qui serait due, selon eux, aux travailleurs étrangers et à leurs familles. La défaite est ici non seulement celle de David Cameron, mais plus encore celle du chancelier de l’Echiquier, George Osborne, qui, au nom d’un fondamentalisme budgétaire absurde, a procédé à une diminution irresponsable de l’Etat-providence.

Et qui sont les électeurs de Donald Trump, sinon ces Américains blancs, âgés de 50 ans et plus, déclassés, marginalisés, appauvris par la mondialisation ? Ou qui se perçoivent comme tels. A peu de chose près, le portrait de l’électeur protestataire en Europe est le même – une victime de l’énorme transition en cours dans le monde et qui, souvent dans une bouffée de nostalgie, voit dans l’immigration la cause première de ses difficultés. Ce grand malaise, qui est aussi culturel et touche également les classes moyennes, devrait être la préoccupation première des partis de gouvernement. Sauf à devoir être battus par des formations protestataires qui n’ont à vendre que des remèdes miracles – voire pire encore.