Classement : qu’est-ce qui fait un « bon » lycée ?
Classement : qu’est-ce qui fait un « bon » lycée ?
Par Mattea Battaglia
Alors que le ministère de l’éducation nationale publie ses indicateurs de valeur ajoutée des lycées, la communauté éducative s’interroge sur les facteurs de réussite.
Lycée du Parc, à Lyon. | JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP
Qu’est-ce qui fait qu’un lycée est « bon » ? La question pourrait faire sourire, tant la réponse semble, de prime abord, s’imposer : sa capacité à conduire ses élèves jusqu’au baccalauréat et à le décrocher. Et pourtant, à l’heure où l’objectif de « 80 % d’une génération au niveau du bac », fixé il y a trente ans par Jean-Pierre Chevènement, est quasi atteint, mille et une nuances existent, entre l’établissement qui affiche 100 % de réussite à l’examen et celui qui redonne à l’élève qui ne croyait plus en lui le goût des apprentissages, l’estime de soi. Entre le lycée de centre-ville qui mise sur sa réputation, les mentions, l’entrée en « prépa », et un autre qui, dans la voie professionnelle, évite la sélection pour valoriser l’ancrage territorial, les partenariats locaux et, à terme, l’insertion.
Le Monde
En rendant publics, mercredi 30 mars, pour la 23e année de suite, ses indicateurs de valeur ajoutée des lycées (IVAL), des milliers de chiffres dans lesquels parents comme enseignants sont invités à piocher, le ministère de l’éducation avance sa réponse : parmi les 4 500 lycées publics et privés observés, ce sont les plus « performants » et les plus « réguliers » qu’il salue. Une petite cinquantaine de lycées, la plupart du temps méconnus du grand public – souvent boudés, aussi, des enfants « bien nés » –, mais qui parviennent à faire mentir les statistiques. « Un bon lycée part de la réalité de ses élèves pour faire avec ce qu’ils sont, leurs lacunes, leur milieu, affirme Najat Vallaud-Belkacem. Ce qui fait un bon lycée, ce sont d’abord de bonnes équipes qui ont su repenser leurs pratiques, collectivement, pour déjouer les déterministes scolaires et sociaux. »
L’institution, si elle se refuse à tout palmarès, braque les projecteurs d’une certaine façon : souvent loin des centres-villes ; loin, aussi, des établissements de renom. Lycée Alfred-Nobel à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Jean-Jaurès à Carmaux (Tarn), Colbert à Tourcoing (Nord) ou Jacques-Vaucanson aux Mureaux (Yvelines) : voilà des établissements à forte « valeur ajoutée » – expression chère aux statisticiens du ministère –, accompagnant vers la réussite des jeunes qui, au vu de leur niveau mais aussi de leur naissance, ne semblaient pas les mieux partis. Le constat peut paraître cynique, mais chaque nouvelle livraison de l’enquête PISA le confirme : en France, le premier indicateur de réussite reste… la profession des parents.
S’ils peuvent mener loin, ces lycées partent souvent de bas. C’est aussi pour cela que leur « plus-value » est élevée. A titre de comparaison, elle est quasi nulle – « neutre », dit-on rue de Grenelle – pour les grands lycées qui affichent un sans-faute toutes séries confondues, mais partent de très haut.
C’est bien aux établissements où aucun élève n’est laissé sur le bord du chemin que l’éducation nationale tire son chapeau. « Nous nous faisons un devoir de ne rejeter aucune demande d’inscription », explique Marie-Pierre Chabartier, proviseure du lycée de Tour-Sainte, un groupe scolaire privé catholique des quartiers nord de Marseille. Quand, en 2014, une journaliste l’a contactée pour lui annoncer que son lycée comptait « parmi les champions », elle lui a raccroché au nez, sûre d’une « blague potache » de ses enseignants. Ici, c’est une « pédagogie de proximité » que l’équipe déploie, en veillant sur les élèves de 7 heures à 18 heures, avec une « préoccupation permanente de leurs fragilités et des stratégies à mettre en place pour les dépasser » : par cœur, répétition, rigueur…
Petite déconvenue cette année : Tour-Sainte n’affiche pas de « valeur ajoutée » positive. Caprice des statistiques ? Limite des indicateurs ? « Ils ne peuvent pas tout dire, mais ça ne les empêche pas d’être de bons outils de pilotage », observe Eric Alexandre, proviseur du lycée Madeleine-Michelis d’Amiens qui obtient, lui aussi, de bons résultats au bac sans que sa « valeur ajoutée » s’envole. Dans ce lycée de centre-ville, un groupe de travail a été formé, avec les enseignants, pour s’approprier les IVAL et décider, collectivement, de miser sur l’accompagnement des élèves, la préparation de l’orientation « avec une projection à bac + 3, explique M. Alexandre. Si les indicateurs donnent un cap, il manque une mesure du climat scolaire, du bien-être, du sentiment de sécurité… Ce sont des leviers essentiels auxquels les familles sont très attachées ».
Au lycée Edgar-Poe, établissement privé laïc de Paris, on se félicite d’une « valeur ajoutée » à la hausse – l’établissement compte même parmi les plus performants d’une année sur l’autre –, alors même qu’une vraie sélection s’opère à l’entrée. Paradoxe ? « L’an dernier, nous avons reçu près de 800 dossiers pour 110 places, précise Christian Clinet, qui dirige, avec son épouse, ce lycée familial préparant au bac général. Mais, dans chaque classe, nous réservons sept à huit places à des élèves en difficulté. Nous assumons ce grand écart ! » Ses recettes ? Des heures de cours en plus toute l’année, des oraux pour gagner en confiance, du soutien « en libre service » tous les samedis matin…
Le travail, facteur-clé de réussite ? Là encore, la proposition pourrait prêter à sourire. Elle compte pourtant parmi celles évoquées par les inspections générales à l’issue d’un petit tour de France des lycées : 71 ont été visités en 2014-2015, histoire de mettre les statistiques ministérielles à l’épreuve du réel.
L’entre-soi domine
Leur rapport, remis à l’été 2015, décevra les amateurs de solutions simples : si des pistes de réussite ont pu être identifiées – cohésion interne, régularité du travail donné aux élèves, ouverture culturelle, polyvalence… –, elles ne se rejoignent pas en une « formule » généralisable. L’idée même d’un « facteur-clé » n’a pas paru pertinente aux inspecteurs. Mieux : leur rapport bat en brèche un certain nombre d’idées reçues. Ainsi de la stabilité des équipes, si souvent vantée, qui peut s’avérer un atout comme se transformer en routine. Ou de la profusion de « projets » qui peut nourrir une dynamique… ou tourner à vide.
Reste une question : quel poids ont ces milliers de chiffres dans le choix des familles ? Les sociologues ont montré que bien des parents restent prisonniers de leurs représentations, des réputations attachées aux lycées, des on-dit. Que les catégories privilégiées jettent un œil à ces statistiques, mais ont déjà le regard tourné vers l’après-bac, toutes imprégnées qu’elles sont de la culture du concours, des palmarès.
« La France est le seul pays au monde à prétendre que l’école est nationale, qu’elle doit être égalitaire – notre utopie fondatrice –, mais à mettre le doigt, année après année, sur les différences entre lycées », note l’historien Claude Lelièvre. Un paradoxe qui, finalement, pèse surtout dans les grandes villes, rappelle-t-il, « là où, face au choix entre plusieurs établissements, l’entre-soi domine ». « Ces indicateurs peuvent sans doute contribuer à faire bouger les pratiques, mais pas les attitudes des usagers de l’école », résume Philippe Tournier, du syndicat de proviseurs SNPDEN-UNSA. Le bon établissement pour lui ? « Le lycée de proximité, celui où professeurs comme élèves sont heureux de venir travailler. » Un critère somme toute fédérateur.
Le Monde publie pour la première fois les résultats détaillés du bac pour les lycées publics et privés, et distingue 200 établissements qui accompagnent leurs élèves avec succès. Retrouvez tous les résultats sur http://www.lemonde.fr/classement-lycees/