Les Anglais, dépités après leur défaite contre l’Islande le 27 juin à Nice. | PAUL ELLIS / AFP

Christophe Kuchly, Les Cahiers du Football

Côté anglais, on a déjà vécu des semaines plus apaisées. Et il ne manquerait plus qu’un scandale sur la vie privée d’une célébrité pour que tous les tabloïds outre-Manche soient obligés de tripler leur pagination. Le football est évidemment bien moins important que la politique mais, dans le pays qui l’a inventé et qui dispose du championnat le plus riche, les échecs, même répétés, passent mal.

Au lendemain de la défaite en huitièmes de finale, le clin d’œil est double : l’élimination dans la foulée du Brexit bien sûr, mais aussi l’identité de l’adversaire, l’Islande, dont la population équivaut à celle de Leicester, champion surprise de Premier League. Ceux qui aiment croire au destin y verront des signes. Il y a sans doute, dans le football comme ailleurs, une part d’irrationnel. Mais les causes de l’échec de l’Angleterre sont bien plus prosaïques. Surtout qu’après tout, le Pays de Galles, qui a voté de la même manière et aligne un club en Premier League (Swansea), est encore en course…

La défaite anglaise, c’est d’abord la victoire de l’Islande. Car il ne faut pas se méprendre : contrairement aux équipes amateurs qui essaient de créer l’exploit en Coupe de France face aux pros, le pays nordique est bien équipé en talents. Nantes, Malmö, Bâle, Krasnodar… mais aussi Swansea ou Cardiff : les Islandais titulaires hier soir sont nombreux à jouer dans un grand championnat ou, au moins, à disputer les coupes européennes. Pas de quoi rivaliser avec les stars du camp d’en face bien sûr, mais traiter l’événement avec la bienveillante condescendance accordée aux « petits » serait faire fausse route. Si l’Islande mérite qu’on la félicite, c’est d’abord pour la qualité de sa formation et l’apport tactique de son sélectionneur suédois, Lars Lagerbäck, nommé en 2011 alors que le pays était hors du top 100 au classement FIFA et qui avait déjà failli le qualifier pour le Mondial 2014.

Sélectionneur par défaut ?

Les soucis des Three Lions ont peut-être débuté un soir de novembre 2011, après la sortie d’une vidéo montrant une discussion animée entre John Terry, capitaine de la sélection, et Anton Ferdinand, lors d’un match de championnat entre Chelsea et les Queens Park Rangers. Accusé d’avoir employé des termes racistes, Terry passera de longs mois à se défendre. Pas assez bien aux yeux de la Fédération, qui décidera de lui retirer le brassard sans en parler à Fabio Capello, alors à la tête de l’équipe nationale.

Vexé, l’Italien claquera immédiatement la porte et sera remplacé par Roy Hodgson, quelques mois avant l’Euro 2012. Un choix réfléchi mais forcément un peu par défaut vu le timing, qui débouchera sur une élimination aux tirs au but contre l’Italie en quarts de finale, puis une dernière place en phase de poule au Mondial 2014.

Roy Hodgson, le 27 juin, à Nice. | BERTRAND LANGLOIS / AFP

Si Capello, en échec avec la Russie par la suite, n’était peut-être pas le sélectionneur parfait, son CV est sans comparaison avec celui d’Hodgson, qui a remporté ses seuls titres en Suède et au Danemark. Et qui représente, à son corps défendant sans doute, le stéréotype du manager british qui préfère raisonner en termes de duels et de volonté plutôt que de tactique. Un style à l’ancienne qui peut marcher en Premier League mais qui s’exporte très mal – comme les entraîneurs anglais de manière générale.

Plusieurs de ses confrères ont d’ailleurs dû s’étouffer en lisant cette déclaration faite avant le match de préparation contre le Portugal : « Je suis confiant dans le fait que, peu importe la manière dont on veut jouer, nous y arriveront. Les systèmes ne vous font rien gagner. Ce sont les joueurs qui vous font gagner des matchs. » À l’époque, les réactions des fans sur les réseaux sociaux étaient très négatives : oui, les joueurs sont essentiels, mais le football de haut niveau ne laisse plus de place à l’improvisation tactique. L’Italie d’Antonio Conte aura sans doute aidé à convaincre les rares sceptiques. Et puis, si seuls les joueurs comptaient, pas sûr que l’Angleterre aurait pu dépasser les demi-finales.

Erreurs évitables

Peut-être un peu dépassé par l’évolution d’un sport en constante mutation, Roy Hodgson a surtout montré ses limites lors de ce match face à l’Islande. Mauvaises consignes ou incapacité à les faire assimiler à son groupe ? Les deux sans doute. Carlo Ancelotti a un jour dit : « Si les joueurs font 30 % de tout ce que vous avez expliqué, vous devez être content. » Un entraîneur brillant ne sera jamais reconnu si ceux qui doivent appliquer ses préceptes décident de ne pas le faire.

Dure réalité des métiers de transmission. L’Angleterre, qui avait travaillé spécifiquement la manière de défendre les touches pendant toute la semaine, a concédé l’égalisation sur cette phase de jeu quelques secondes après avoir ouvert le score. Et sur la même combinaison basique (Arnason qui dévie au premier poteau vers ses partenaires qui plongent dans la surface) que le but inscrit par l’Islande contre l’Autriche cinq jours plus tôt. Sur le coup, c’est Wayne Rooney, 1,76 m implants compris, qui devait lutter dans les airs contre un adversaire quatorze centimètres plus grand. Dans la surface, Kyle Walker a regardé Sigurdsson passer devant lui sans réagir…

Wayne Rooney, face à l’Islandais Johann Berg Gudmundsson, le 27 juin, à Nice. | BERTRAND LANGLOIS / AFP

Rooney, positionné au milieu, avait jusque-là plutôt satisfait, avec les réserves de rigueur face à des adversaires assez tendres. Pas vraiment le cas de Raheem Sterling, occupé à jouer une partition en solo côté gauche, ni d’Harry Kane, plutôt dans un registre fausses notes en pointe. Comme lors des matchs précédents, Sterling n’a pas apporté de grande plus-value au collectif – même s’il a obtenu un penalty sur une faute qui était loin de s’imposer – et Kane a mis en valeur son manque de confiance en expédiant ses coups de pieds arrêtés aux quatre coins du stade.

Le sélectionneur a pourtant laissé ce dernier assumer cette responsabilité jusqu’au bout, changeant Sterling à l’heure de jeu et un Rooney totalement submergé à quelques minutes de la fin. Son remplaçant, Marcus Rashford, a quand même eu le temps d’avoir le meilleur total de dribbles réussis de son équipe. Une statistique qui fait mal : un bon choix fait trop tard en est un mauvais.

Une mauvaise habitude

Depuis le début de l’Euro, le onze anglais était figé. La rencontre contre la Slovaquie ayant servi à reposer les titulaires plutôt qu’à faire des tests, la seule incertitude concernait la troisième place en attaque, occupée par Adam Lallana puis par Daniel Sturridge. La stratégie était simple : s’appuyer sur la colonne vertébrale de Tottenham (Rose, Walker, Dier, Alli, Kane) et y ajouter les meilleurs joueurs possibles aux postes restants. Une idée plus que valable, qui permet de s’appuyer sur les relations techniques préférentielles et circuits de passes déjà établis, à condition de reproduire jusqu’au bout les méthodes utilisées en club.

Le pressing, même correct, n’a jamais atteint la précision et l’intensité de celui de Mauricio Pochettino, et les éléments clés de l’axe (Dier, Alli, Kane), tous jeunes et neufs au haut niveau ont semblé tantôt sur les rotules, tantôt hors du coup mentalement. À tel point qu’Éric Dier a été sorti à la pause contre l’Islande, remplacé par Jack Wilshere, talent gâché par les blessures qui n’a joué que deux bonnes heures durant toute la saison avec Arsenal. S’il peut dire merci à l’Argentin de lui avoir fourni autant de bons joueurs du cru, Roy Hodgson n’a pas réussi à enlever l’étiquette de loser qui colle aux basques des Spurs. Et son équipe a épousé le plan islandais en jouant dans les airs au lieu de combiner au sol.

Aussi choquante soit-elle de par l’écart supposé entre les deux équipes, l’élimination anglaise ne change pas tant que ça l’ordre établi. Après tout, l’Angleterre n’a jamais gagné un seul match à élimination directe dans un Euro puisque sa seule qualification pour une demi-finale, en 1996, s’était faite aux tirs au but. En Coupe du monde, il faut remonter à 2006 et un huitième de finale contre l’Équateur. Est-ce à dire que les Anglais sont médiocres ?

Le gardien Joe Hart, le 27 juin, à Nice. | VALERY HACHE / AFP

Evidemment que non, et le manque de résultats sur la durée est lié à trop de facteurs pour accuser uniquement l’afflux d’étrangers dans le championnat national. Mais la fragilité mentale d’un collectif qui semblait bien huilé interpelle. Sans rien faire d’exceptionnel et en défendant bien plus haut que prévu pendant près d’une heure, l’Islande a réussi à semer le doute chez son adversaire.

Elle a marqué deux buts rapprochés, le deuxième sur une erreur de Joe Hart, puis a conservé son avantage presque sans trembler dans une deuxième mi-temps où elle s’est procurée les meilleures occasions. Son 4-4-2 à plat est peu inventif mais fonctionnel alors que le 4-3-3 anglais doit permettre les envolées. Mais confrontés à un bloc loin de certaines fantaisies défensives de la Premier League et au besoin de marquer, c’est comme si les Three Lions n’avaient plus d’idées. Celles qu’apporteront Conte et Guardiola la saison prochaine pourraient bien être la meilleure nouvelle pour le football anglais...