La Question iranienne
La Question iranienne
Par Alain Vivien
Le régime d’Hassan Rohani n’est pas devenu plus modéré, contrairement à ce qu’espérait la communauté internationale.
Beaucoup ont misé sur une modération du régime après l’accession d’Hassan Rohani à la présidence en Iran, oubliant qu’un régime théocratique est par essence difficilement réformable. Mais en Occident on a voulu y croire. Les délégations politiques et économiques se sont succédé en Iran pour sonder le terrain avec, comme gage de bonne volonté, le désir de renouer des relations interrompues par les sanctions internationales. La société civile a pour sa part espéré en Iran le début de la fin de cette dérive totalitaire qui l’étouffe depuis plus de trois décennies.
Ces espoirs peinent à se concrétiser. La communauté internationale est plus que jamais perplexe face à l’instabilité politique qui règne en Iran. Depuis la conclusion de l’accord de juillet, la politique de Téhéran ne cesse de surprendre par son caractère erratique. Le récent accès de tensions au sein des différentes composantes du régime peut servir d’indicateur pour appréhender les contours de la crise iranienne. Ali Khamenei, le Guide suprême à vie, ne parvient plus à maintenir la cohésion du système. L’un de ses principaux contradicteurs, Mehdi Karoubi, un vétéran du régime placé en résidence surveillée – vient de publier une lettre ouverte, (rapportée par la BBC), confirmant la fracture visible au sein du cercle des dirigeants. Khamenei y est désigné comme « un personnage égocentrique, ambitieux et avide de pouvoir qui pense que les sorts des nations musulmanes et des pays de la région sont entre ses mains ; un personnage qui pour ses intérêts politiques commet des sacrilèges et ne respecte aucune limite. » Une virulence de ton inédite en République islamique à l’égard du Guide, qui témoigne du déficit de crédibilité grandissant de celui qui détermine, au final, la politique intérieure et extérieure du régime.
Cette faiblesse se manifeste aussi dans des décisions incohérentes du Guide. Elles déroutent notamment les milieux d’affaires qui avaient misé sur la perspective d’une modération du régime. Mettant en garde contre « l’infiltration étrangère » et le danger de « dénaturer la République islamique », le Guide a tenu des propos particulièrement durs le 30 mars dernier, au lendemain des essais controversés de tirs de missiles de longue portée (1400 km) par les gardiens de la révolution (pasdaran) : « Les ennemis de la révolution (islamique) utilisent le dialogue, le commerce, les menaces militaires et tout autre moyen contre nos intérêts. Ceux qui affirment que l’avenir est dans les négociations, et non pas dans les missiles, sont soit ignorants, soit des traîtres (…) Notre économie doit être celle de l’économie de résistance. » L’« économie de résistance » dans le jargon des mollahs signifie la continuité de la politique de crispation et de fermeture face à un monde perçu comme « ennemi ». L’observateur étranger est à la fois médusé par la violence de ton du numéro un iranien, et inquiet quant à la perspective des relations avec un pays dont les dirigeants n’ont que trop déçu par le passé.
Un dilemme mortel paralyse aujourd’hui le régime : doit-il s’enfermer encore sur lui-même dans l’espoir de préserver l’idéologie politico-religieuse et le pouvoir des mollahs ; ou doit-il s’ouvrir au reste du monde et rendre à l’Iran la place éminente qui devrait être la sienne dans le concert des nations ? Mais s’ouvrir signifierait renoncer au « principe de la suprématie du Guide suprême » et à l’emprise des pasdaran sur la société et l’économie iranienne. Une telle perspective serait un aveu de faiblesse que le régime cherche à tout prix à éviter. Il sait que la population, désenchantée, n’attend que la première occasion pour exprimer sa colère, comme elle l’a fait en 2009.
La confiance des entrepreneurs européens pour le marché iranien est également entamée par le contexte économique particulier au pays. Les pasdaran, qui à la fois servent d’armée et de police du régime, contrôlent de nombreux secteurs économiques notamment dans le commerce international et l’énergie. La mainmise des pasdaran et des institutions liées au Guide suprême sur l’économie, dont ils contrôlent plus de la moitié de l’activité (plus de 50 % du PIB du pays, estimé à 400 milliards de dollars, selon Reuters), est un handicap majeur pour le développement du pays. Elle conduit d’une part à la dilapidation des ressources (dans la mésaventure nucléaire, le soutien aux mouvements islamistes et terroristes, l’intervention armée dans le conflit syrien, etc.). D’autre part elle sape la confiance des investisseurs qui ne souhaitent pas faire affaire avec des entités qui, malgré la levée partielle des sanctions, restent classées parmi les organisations terroristes listées par l’ONU ainsi que par les États-Unis.
Le Comité français pour un Iran démocratique, que nous avons fondé en 2007 avec François Colcombet et Jean-Pierre Michel, estime que dans la conjoncture actuelle, l’Occident ne peut pas se contenter de la seule conclusion d’un accord nucléaire. Or la politique tant interne qu’externe du régime est caractérisée par une crispation grandissante, et sur tous les fronts. Ni la répression, ni les exécutions n’ont eu de trêve en Iran. Les militantes féministes sont emprisonnées, de même que les syndicalistes, les intellectuels de gauche, les Moudjahidines du peuple, et même certains représentants des minorités religieuses et ethniques. Les condamnations à mort et les exécutions atteignent des niveaux records et inédits depuis la nouvelle présidence. Est-ce à dire que Rohani lui-même ne peut rien contre la « Justice » du Guide suprême ?
Par ailleurs, le régime reste tout aussi intransigeant dans sa politique d’ingérence au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban et ailleurs. Il faut exiger de l’Iran le respect de ses engagements internationaux et qu’un terme soit mis à une stratégie impérialiste néfaste pour la région et notamment pour la Syrie. Il faut pour l’Iran accepter le moratoire proposé par les O.N.G. sur la peine de mort. La communauté internationale ne doit pas baisser la garde sur les fondamentaux. Elle peut et doit prendre des mesures concrètes pour aider les démocrates iraniens qui œuvrent pour un changement démocratique dans leur pays.
Alain Vivien, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, co-fondateur du Comité Français pour un Iran démocratique.