Qu’y a-t-il au-delà de ce pré carré qui tourne et qu’on nomme la Terre ? L’amour et la mort qui s’enlacent ? L’insondable mystère de l’Univers ? Une tortue rouge ? Le diable probablement ? Dieu, peut-être ? Pour le savoir, les cinq meilleures options cinématographiques de la semaine se partagent entre comédie testamentaire, odyssée de l’espace, dessin animé en ligne claire, rétrospective d’un maître de l’horreur familialiste, bréviaire du doute polonais.

DU LOUFOQUE DES SENTIMENTS : « L’Effet aquatique », de Solveigh Anspach

L'EFFET AQUATIQUE - Bande annonce
Durée : 01:46

Montreuil, Samir (Samir Guesmi) le prend de haut. Il est grutier, ce qui permet un beau panorama sur la ville. On a fait sa connaissance dans Queen of Montreuil, une comédie de Solveig Anspach sortie en 2013. La filmographie de la réalisatrice fonctionne sur le principe du marabout, bout de ficelle. On retrouve dans un film un élément du précédent, mais tout le reste change. Si Samir a gardé son emploi de grutier, Agathe (Florence Loiret-Caille) a changé de métier. Elle était cinéaste, il y a trois ans, la voilà maître-nageuse. Samir, qui l’a remarquée au comptoir d’un rade montreuillois à sa façon d’éconduire un fâcheux, en tombe amoureux au point de prendre sa carte à la piscine Maurice-Thorez. Là, il prendra des cours de natation pour débutants alors qu’il est comme un poisson dans l’eau. La jeune femme, plus furieuse d’avoir été trompée quant aux talents natatoires de son soupirant qu’heureuse d’avoir été aimée, s’envole pour l’Islande où se tient un congrès de maîtres-nageurs. L’Effet aquatique est un film généreux, vif et serein. Exceptionnel aussi, pour la pire des raisons. C’est le dernier réalisé par Solveig Anspach, morte le 7 août 2015. Thomas Sotinel

Film français de Solveig Anspach avec Florence Loiret-Caille, Samir Guesmi, Didda Jonsdottir, Philippe Rebbot (1 h 23).

UN SPACE OPERA EN MODE MINIMALISTE : « Cosmodrama », de Philippe Fernandez

Cosmodrama - trailer (Philippe Fernandez, Cannes 2015)
Durée : 02:48

Il s’agit d’une épopée de l’espace en chambre, d’un récit de science-fiction philosophique. Quelque part dans le cosmos, un vaisseau progresse avec dedans sept hommes et femmes qui, tirés d’un sommeil artificiel, ne savent visiblement plus pourquoi ils sont là. Leur but, et partant celui du film, consistera à retrouver le sens de leur mission. Vertigineux, et en même temps d’une simplicité biblique, puisque rien n’empêche de penser que le vaisseau est la Terre, que les hommes sont les hommes et que la question dernière que se posent les seconds est de savoir ce qu’ils font sur la première, qui tourne elle-même dans l’espace. Imaginons « La croisière s’amuse » scénarisée par Leibniz et tournée par Jacques Tati. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Telle est la question, auquel le film prend le temps de ne pas répondre en quatorze tableaux chapitrés comme autant de stations du chemin de croix. Jacques Mandelbaum

Film français de Philippe Fernandez avec Jackie Berroyer, Bernard Blancan, Emilia Derou-Bernal, Ortès Holz, Serge Larivière, Sascha Ley, Emmanuel Moynot, Stefanie Schüler (1 h 52).

UNE ROBINSONNADE ENTRE DEUX CONTINENTS : « La Tortue rouge », de Michael Dudok de Wit

LA TORTUE ROUGE Bande Annonce (Animation - Cannes 2016)
Durée : 01:45

Un homme, seul, face aux puissances mystérieuses de la nature. Voilà l’idée, toute simple, du premier long-métrage de Michael Dudok de Wit. Agé de 63 ans, ce cinéaste d’animation néerlandais, dont le style radicalement épuré fait depuis des années l’objet d’un culte fervent, ne s’était jamais aventuré, jusqu’à présent, au-delà des limites du format court. Pour qu’il saute le pas, il aura fallu l’intervention d’Isao Takahata, réalisateur de chefs-d’œuvre comme Le Tombeau des lucioles ou Le Conte de la princesse Kaguya et cofondateur, avec Hayao Miyazaki, du studio Ghibli. Entre le minimalisme narratif du Batave et l’animisme débridé du studio Ghibli, la photosynthèse a opéré. Sans qu’y soit prononcé le moindre mot, cette robinsonnade se déploie miraculeusement en un récit palpitant, qui vous cloue à votre siège du début à la fin. Isabelle Regnier

Film d’animation français, belge, japonais de Michael Dudok de Wit (1 h 20).

L’HORRIFIQUE ENNEMI DE LA FAMILLE : la rétrospective Wes Craven

A Nightmare on Elm Street (1984) Official Trailer - Wes Craven, Johnny Depp Horror Movie HD
Durée : 01:55

Moins d’un an après sa disparition, le 30 août 2015, l’œuvre de Wes Craven bénéficie d’une reconnaissance officielle, grâce à la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque française. Chose inattendue, mais ô combien méritée, pour cette figure de l’épouvante longtemps cantonnée à des productions de niche, qui a pourtant légué plusieurs de ses créations à la culture populaire, tels le célèbre croque-mitaine aux griffes d’acier Freddy Krueger des Griffes de la nuit (1984), ou encore le tueur au masque « munchien » de la saga Scream. Wes Craven fut, avec John Carpenter et George Romero, l’un des principaux artisans du dernier âge d’or du cinéma horrifique, né aux marges d’Hollywood dans les années 1970, nourri par l’économie ingénieuse et féconde de la série B, puis peu à peu récupéré par les studios au mitan de la décennie suivante. Les modalités de la peur, de la hantise et du cauchemar offraient alors les outils appropriés pour décrire cette séquence désenchantée de l’histoire américaine, qui liait par pertes et fracas la sortie militaire de la guerre du Vietnam au libéralisme triomphant d’un Ronald Reagan. Son œuvre a cela de particulier que, prenant le contre-pied de toute une tradition du récit américain, elle ne perçoit pas la menace comme venant de l’extérieur du corps social, mais la déplace à l’intérieur de celui-ci, au sein de cette cellule fondamentale qu’est la famille. Mathieu Macheret

Cinémathèque française. Du 29 juin au 31 juillet.

DIX RAISONS DE CROIRE OU DE DOUTER : « Le Décalogue », de Krzysztof Kieslowski

LE DÉCALOGUE - VERSION RESTAURÉE EN 2K - Krzysztof Kieslowski
Durée : 00:56

Toute sa vie, Kieslowski aura douté – de Dieu, des hommes –, et toute sa vie, il aura cherché des réponses. En témoigne « Le Décalogue » (1988-1989), série en dix volets d’une heure environ conçue pour la télévision polonaise, qui ressort aujourd’hui en salles. Construites par destins croisés, les dix histoires sont unies par un lieu (une cité HLM au nord de Varsovie, parmi les moins laides, mais plus triste à mesure que son manteau neigeux des premiers volets fond) et des visages. On y croise toujours les mêmes personnages, au point qu’ils nous deviennent familiers, sans être familiers les uns des autres. Beaucoup habitent ensemble sans échanger plus qu’un regard occasionnel et pourtant, nous montre le cinéaste à chaque histoire, chacun influe sans le savoir sur l’existence des autres, même en silence. La grande beauté de ce « Décalogue » tient à cet entêtement à feindre le sentiment d’une force motrice – l’espoir, peut-être l’espérance – parce qu’il y a plus à y gagner qu’au contraire. Kieslowski est un Pascal cloué au sol par des semelles de plomb. Sa marche lente et soucieuse du plus discret de tous ces beaux visages qu’il filme n’en est que plus inspirante. Noémie Luciani

Série TV polonaise en dix volets (1987-1989) de Krzysztof Kieslowski avec Maja Komorowska, Wojciech Klata, Henryk Baranowski (9 h 32).