« Civic Tech » : des applis pour doper la démocratie participative
« Civic Tech » : des applis pour doper la démocratie participative
Par Claire Legros
Les plateformes se multiplient pour proposer aux municipalités de renforcer le dialogue avec leurs habitants. Quels enjeux pour la démocratie locale ? Premier volet de notre série sur les « Civic Techs ».
Sabrina veut ouvrir un « supermarché de produits en vrac pour réduire les déchets », Amor propose « un marché estival nocturne » tandis que Nicolas aimerait « bâtir des murs pour laisser les jeunes (et les moins jeunes) faire du street art et du graffiti ». Depuis dix jours, les habitants de Vernon (Eure) peuvent proposer directement sur leur smartphone des idées pour améliorer leur quartier. Une consultation lancée dans le cadre du budget participatif, et soumise aux votes des habitants sur l’application Fluicity.
A Voisins-le-Bretonneux (Yvelines), c’est sur la localisation des stations de vélos en libre-service que les habitants ont été sollicités par le biais d’un site et de l’appli mobile Neocity. Tandis que ceux de Bougival (Yvelines) ont été consultés sur les horaires de fermeture de la mairie via l’application Vooter.
Elles s’appellent Vooter, City2Gether, Fluicity, ou Neocity… Créées par de jeunes entrepreneurs, ces start-ups ont pour ambition de renouveler la vie démocratique locale. Alors que 40 % des citoyens se détournent des urnes aux élections municipales, elles veulent les inciter à donner leur avis, alerter sur d’éventuels dysfonctionnements des services publics ou proposer des pistes d’améliorations pour leur ville. « La vie politique a besoin d’outils de retour citoyen et de décision pour les élus », estime Stéphane Béquin, co-créateur de Vooter, lancée en 2015 et actuellement testée par la municipalité de Bougival (Yvelines).
Start-ups « citoyennes »
La multiplication de ces plateformes s’inscrit dans le mouvement de la « Civic Tech » en fort développement ces dernières années, et qui regroupe les initiatives au service d’une participation plus large des citoyens à la vie politique, à l’échelle locale ou nationale. « Il ne se passe pas une semaine sans que je reçoive une proposition de ce type », s’exclame Pierre-Louis Rolle, coordinateur des projets numériques et citoyens à la ville de Nanterre (Hauts-de-Seine).
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Anne Hidalgo, maire de Paris, vient d’ailleurs d’annoncer la création d’un nouvel incubateur dédié aux start-ups « citoyennes » au cœur de la capitale, un centre d’innovation sur le modèle du Civic Hall de New York. « Un maire a du mal à gouverner aujourd’hui parce qu’il manque d’informations qui remontent des quartiers. Ces outils vont lui permettre de mieux connaître ce que les gens pensent sur le terrain », explique Julie de Pimodan, ancienne salariée de Google, qui a lancé en 2015 Fluicity, l’appli utilisée par Vernon et par la mairie du 9e arrondissement de Paris.
Capture d'écran Fluicity
Au-delà de l’effet d’annonce, jusqu’où ces outils peuvent-ils renouveler le dialogue démocratique local ?
Les différentes plateformes visent le même public de jeunes actifs connectés qui s’intéressent à la vie de leur quartier, mais n’ont ni le temps ni l’envie de participer aux réunions municipales. Selon un sondage réalisé auprès d’élus en mars dernier par le think tank Décider ensemble, seul un tiers des municipalités qui ont déployé ces outils estiment toucher des publics nouveaux, et la moitié est satisfaite du nombre de citoyens impliqués. À Vernon, « ce sont surtout des personnes déjà impliquées dans la vie urbaine qui ont adopté l’appli », constate Alexandre Huau-Armani, maire adjoint à Vernon en charge de la ville numérique.
Réseau social local
Pour Christophe Boissonnade, adjoint au maire de Voisins-le-Bretonneux, la plateforme numérique vient « compléter une démarche plus large » qui vise à promouvoir la participation des habitants aux décisions municipales. Un sondage sur la création d’une mutuelle locale a suscité près de 500 réponses, en majorité positives, et a joué selon l’élu « un rôle déterminant pour convaincre le conseil municipal ». L’expérience a aussi valeur de test pour la ville. « Avec un millier d’utilisateurs réguliers sur une population de moins de 12 000 habitants, c’est une première étape avant de développer un réseau social local pour les habitants, dont le lancement est prévu en octobre prochain. »
A charge pour l’équipe municipale de prendre en compte les disparités d’usages numériques entre les populations, dans les réponses qu’elle apporte aux demandes. « Le risque de ségrégation lié au numérique est bien documenté aujourd’hui, estime Michel Briand, ancien membre du conseil national du numérique et acteur de la démocratie participative à Brest. Les municipalités doivent veiller à ne pas privilégier certaines catégories de population plus à l’aise que d’autres sur ce type d’outils. »
Gratuit pour l’usager, l’accès à ces plateformes de consultation est facturé aux municipalités sous forme d’un forfait mensuel, de quelques centaines à 1 000 euros selon les prestations fournies : utilisation des tableaux de bord des consultations, possibilité de communiquer avec la base de données, de gérer aussi l’accès aux menus des cantines… Une solution clé en mains séduisante pour les villes moyennes qui ne disposent pas des budgets suffisants pour développer leur propre plateforme.
Dynamique verticale
Même discours bien rodé, même modèle économique. A y regarder de plus près pourtant, on s’aperçoit que ces jeunes entreprises développent des stratégies différentes. A côté de la participation citoyenne, certaines se positionnent aussi comme des vecteurs de communication municipale, comme Neocity et Fluicity : les élus peuvent s’y adresser directement à leurs administrés, les informer des projets en cours dans leur quartier, leur envoyer des notifications tout en ciblant la communication pour qu'elle soit plus efficace. « Jusqu’à présent, c’était aux habitants d’aller sur le site de la ville pour s’informer. Dorénavant chacun pourra recevoir directement les infos de son quartier sur son smartphone », explique Victor Perraud le fondateur de Neocity.
Une stratégie qui répond à la demande des élus. L’enquête du think tank Décider ensemble montre que les motivations des collectivités s’inscrivent souvent dans une dynamique verticale et descendante, plutôt que réellement participative. Interrogées sur leurs besoins, les municipalités citent d’abord la mise à disposition d’informations (70 %) loin derrière l’objectif de « faire émerger des idees, éclairer la décision » (30 %).
Application Neocity | Neocity
Les start-ups se distinguent aussi par leur politique en matière de gestion des données. Un sujet sensible dans le domaine de la démocratie locale. Neocity ouvre sa base aux municipalités qui peuvent accéder à l’identité des participants à un sondage, et même les géolocaliser sur une carte. « Chaque commune peut décider ce qu’elle demande au citoyen, l’identité complète ou seulement l’email », précise Victor Perraud.
Gestion des données
Au contraire, Fluicity ne livre aux mairies que des métadonnées et prévoit de se développer comme un réseau social à l’échelle des quartiers. « La confidentialité des données, c’est la condition du contrat de confiance avec nos utilisateurs », précise sa fondatrice Julie de Pimodan. « La présence d’un tiers de confiance entre les habitants et les élus garantit la pertinence des infos et la confidentialité, estime aussi Stéphane Bequin. L’idée est de développer un système vertueux où donner son avis n’entraîne pas de désagréments. »
Faut-il confier les clés du débat public à des plateformes privées ? Tous les acteurs n’en sont pas persuadés. « Une start-up peut être rachetée par un groupe plus important qui croisera les données avec d’autres, ce qui ne sera pas le cas si la plateforme est conçue comme un bien commun qui respecte des règles fixées ensemble », constate Michel Briand.
Quant à la maîtrise des programmes informatiques, elle joue aussi un rôle important. La ville de Nanterre a choisi d’utiliser un logiciel libre, Democracy Os, mis au point en 2012 en Argentine, pour développer sa plateforme de consultation des habitants. Le programme informatique est en accès libre. Une « logique d’ouverture qui renforce la confiance dans le procédé démocratique, estime Virgile Deville, président de Democracy OS France, l’association qui a accompagné Nanterre et diffuse le logiciel en France. La transparence du logiciel, c’est-à-dire la façon dont les votes sont pris en compte, comment ils remontent sur le site, l’utilisation qui est faite des données, tous ces enjeux sont fondamentaux et ne doivent pas être cachés quand on veut améliorer la démocratie locale. »
Le programme informatique de la plateforme de Nanterre peut être réutilisé gratuitement par d’autres villes. « D’un point de vue économique aussi, nous avons intérêt à travailler ensemble dans une démarche d’innovation ouverte qui peut enrichir le voisin », constate Pierre-Eric Rolle, coordinateur des projets numériques et citoyens à la ville de Nanterre, qui y voit la possibilité de « créer une base d’outils qui serait un bien commun pour les villes, et la démocratie locale en général. » L’équipe de Nanterre a été contactée par la ville d’Annemasse qui étudie la possibilité de répliquer la plateforme des Hauts-de-Seine. Horizontalité, représentation de tous et transparence dans la gestion des données et des outils… A l’heure numérique, la gouvernance et la participation à l’échelle locale restent à inventer.