Attentat de Nice : « J’ai dit à mon mari “mais regarde, qu’est-ce qu’il fout sur le trottoir ?” »
Attentat de Nice : « J’ai dit à mon mari “mais regarde, qu’est-ce qu’il fout sur le trottoir ?” »
De son 6e étage, surplombant la promenade des Anglais à Nice, Jackie Lacour a vu le camion foncer dans la foule, jeudi soir.
Georges Pellet et Jackie Lacour, au balcon de leur appartement qui surplombe la promenade des Anglais, à Nice. | FRANCE KEYSER/MYOP POUR "LE MONDE"
Jackie Lacour repose fébrilement un pied sur sa terrasse. Elle a bien jeté un œil ce matin, mais les corps étaient encore là. Du haut de son 6e étage, la retraitée a une vue imprenable sur la promenade des Anglais, quasiment au milieu des 1 700 mètres parcourus par le camion qui, jeudi 14 juillet dans la soirée, a tué 84 personnes (selon le dernier bilan). L’horreur avec vue sur mer.
Vendredi 15 juillet, en ce début d’après-midi ensoleillé du « jour d’après », le barrage est encore en place sur la zone de l’attentat. Les serviettes bleues et les draps blancs laissent imaginer le cauchemar de la nuit passée. « On a entendu comme une clameur et poum, poum, poum », raconte son mari, Georges Pellet. A peine le temps de se pencher, le camion avait déjà parcouru la moitié de sa mortelle route, fonçant droit dans la foule.
Jackie, elle, n’a pas réalisé tout de suite. « J’ai dit à mon mari, “mais regarde, qu’est-ce qu’il fout sur le trottoir ?” » Puis, il a bien fallu se rendre à l’évidence. « Un monsieur a volé en l’air. » Des milliers de personnes se sont mises à courir dans tous les sens, jusqu’à se réfugier dans la mer. Et les cris ont résonné toute la nuit dans le studio du couple, ceux de la peur faisant place à la douleur.
« Il avait l’air si seul »
Jusqu’au petit matin, Jackie jure avoir entendu les pleurs d’un homme qui veillait un corps, en bas de chez elle. Elle, elle n’est pas descendue. Les secours étaient déjà en route, alors qu’est-ce qu’elle pouvait faire de plus, à 68 ans ? « Plus je vieillis et plus j’ai peur. »
Son sourire cache à peine ses yeux embués. A quelques dizaines de mètres, des psychologues accueillent témoins, victimes et proches qui ont besoin de se décharger. Jackie secoue la tête. « Ce n’est pas pour moi. »
Elle a encore du mal à imaginer sortir de son refuge en hauteur, et ne peut quitter des yeux cette trace, là, juste derrière un fauteuil roulant renversé. Elle y voit encore cet homme, allongé sous son drap. « Il avait l’air si seul. »
Jackie ravale une nouvelle fois ses larmes en avouant que si elle n’y va pas, au centre de soutien, c’est qu’elle a peur d’y croiser la douleur des autres. Même si, elle le sait, « il va bien falloir qu’[elle se] laisse craquer. »