Le Tour de France du cycliste masqué : manageur et contre tout
Le Tour de France du cycliste masqué : manageur et contre tout
Par Antoine Vayer (ex-entraîneur de Festina)
Pendant la Grande Boucle 2016, notre chroniqueur Antoine Vayer fait parler le cycliste masqué, 15 grands Tours dans la musette. De la course et des mœurs du peloton…
Jim Ochowicz (au centre, acroupi), le manageur de l’équipe BMC Racing, au milieu de ses coureurs, jeudi 7 juillet, avant le départ de la 6e étape du Tour de France. | Lionel Bonaventure/AFP
Quel est l’âge du capitaine ? C’est une question célèbre posée à la fin d’un problème ubuesque énoncé de telle manière qu’il ne puisse avoir aucune réponse mathématiquement possible. Les capitaines des équipes, ce sont les manageurs. Les coureurs, forts en watts et en algèbre, eux, ont la réponse. Ils comptent. Pendant la journée de repos, ce sont avec ces manageurs qu’ils ont signé, ou pas, leurs contrats précaires pour la saison suivante, voire les deux à venir dans le meilleur des cas. Cela dépend de leur comportement et de leur capacité d’asservissement.
D’Unzué, de l’équipe Movistar, à Lefevere, d’Etixx, en passant par Lavenu, d’AG2R, Bernaudeau, de Direct Energie, Ochowicz, de BMC, ces piliers historiques du cyclisme sont sexagénaires. Bien d’autres, parmi leurs collègues, ne sont pas loin non plus de l’âge de la retraite, Hinault compris, qui continuent à travailler sur le Tour pour l’organisateur, ASO.
Beaux parleurs
Ils ont tout vu, entendu, couvert, mais pas tout lu. Ils n’aiment pas lire. Formés sur le tas, avec un diplôme d’ancien coureur, ils se gargarisent d’être « chefs d’entreprise ». Ce sont des beaux parleurs qui ont convaincu des investisseurs en quête de notoriété. A beau parleur, la flatterie est le vernis du mépris pour ses employés. Le coureur, sauf s’il est jeune, n’est pas dupe et rentre dans le jeu par intérêt vénal. Car le cyclisme est d’abord un métier, toute l’année et pendant une carrière qui peut durer de deux ans de contrat jusqu’à quinze, pour ceux qui comprennent les codes du relationnel à entretenir avec les manageurs. Le cyclisme cesse d’être une passion dès la fin de la première année professionnelle. Quand vous savez cela, la lecture de la course et les réactions hors course s’expliquent mieux.
Sur les 198 coureurs alignés au départ du Tour, une quinzaine seulement peuvent prétendre être à l’abri du besoin après leur carrière s’ils ont fait de bons placements et ne divorcent pas. Une trentaine auront payé leur maison quand ils pendront le vélo au clou et auront rapidement à réfléchir où ils investiront leurs économies pour vivre. Les trois quarts restant devront repartir à zéro sans pouvoir se loger avec leur famille en vacances dans les hôtels où ils ont fait étape.
La carrière du manageur, elle, est longue, et c’est quasiment le mieux payé de l’équipe, puisqu’il tient la boutique. De l’ère amphétamine-bonne mine quand il a commencé à celle de l’EPO-transfusion, en passant par la cortico-anabo, il a pu mesurer toutes les évolutions du vélo, sans jamais être vraiment inquiété ni avoir à s’expliquer, contrairement à la foultitude d’employés coureurs qu’il a vu disparaître. On appelle « miraculés » ces vieux manageurs qui utilisent des armes non conventionnelles et seraient, avec les scorpions, les seuls êtres vivants à pouvoir survivre à tous les cataclysmes nucléaires des scandales qu’ils ont parfois eux-mêmes déclenchés.
Les coureurs vieillissent vite. Parmi les têtes brûlées qui font, dit-on, les champions, ceux qui ont supporté les différents stades de l’irradiation, qui survivront aux attaques à neutrons dans les Alpes ces trois jours à venir, qui arriveront à se faire un nom au travers de leurs résultats, quelques-uns vont déclarer vouloir monter une équipe et devenir manageur. Aucun n’y parviendra, ou bien de manière éphémère, pour courir en deuxième division.