Tour de France : « On a trop dit aux Français qu’on avait le temps »
Tour de France : « On a trop dit aux Français qu’on avait le temps »
Propos recueillis par Clément Guillou (Berne, Suisse)
Romain Bardet, sixième du classement général avant d’aborder les Alpes, veut encore croire au podium final.
Romain Bardet, lundi 11 juillet, en Andorre. | Bernard Papon/Presse Sports
Dans la pittoresque vieille ville suisse de Morat, que des tambours sillonnent les jours de votation afin de rappeler les habitants à leur devoir civique, Romain Bardet s’est presque reposé. « Si vous n’étiez pas là, on pourrait se croire en vacances », a-t-il lancé sur un ton badin aux journalistes rassemblés, mardi 19 juillet, pour écouter le seul Français qui peut encore monter sur le podium du Tour de France à Paris, après l’abandon de Thibaut Pinot.
Les congés attendront. Avant d’entamer, mercredi 20 juillet, la traversée des Alpes, marquée par trois étapes de haute montagne et un contre-la-montre en côte, le leader d’AG2R-La Mondiale était sixième (son meilleur classement final en 2014), « à proximité immédiate du podium », comme il le fait lui-même remarquer. Depuis le départ, Romain Bardet a couru à rebours de son caractère, offensif, risque-tout. Le plaisir est rare, mais c’est pour mieux le faire ressurgir plus tard, vendredi ou samedi, promet-il : « J’essaye de garder mon énergie, de me raisonner, en me disant que la fenêtre va se présenter et que quand elle arrivera, il faudra que je sois prêt. Ce n’est pas de l’attentisme : on compte nos forces car on sait qu’une journée où on se donne à 100 %, on a quasiment la certitude de la payer cash le lendemain. »
L’efficacité y gagne ce que le romantisme y perd. Romain Bardet a atteint l’âge de raison (25 ans) et veut prouver dans cette dernière semaine, qui lui a toujours réussi, qu’il a franchi un nouveau palier. C’est la quête perpétuelle de cet obsédé de la performance, de ce maniaque du détail, comme il l’expliquait au Monde avant le départ du Tour.
Comment se vit une journée de repos sur le Tour de France ?
Elle est plus épuisante qu’une étape. J’ai beaucoup de sollicitations, je vois mes proches en un quart d’heure, j’ai toujours une montre en main, le téléphone qui sonne… Il faut que j’arrive à mieux me reposer, à prendre mon temps. Pendant le Tour, on croise ses proches sans les voir. Ce n’est pas un cadre propice pour prendre du temps, mais leur soutien peut tenir en un regard, un geste. C’est une présence.
C’est votre quatrième Tour. Vous semblez avoir changé votre façon de courir cette saison, en restant davantage sur la défensive…
Le cyclisme est un sport de court terme, mais aussi de patience. Or j’ai tendance à faire le jeu des autres, pas le mien, car mes adversaires ont cerné mon côté offensif, qui aime durcir les courses. C’est peut-être une faiblesse. Mais je refuse toujours d’envisager la course comme un résultat brut. Je veux garder ma spontanéité. Ce qui me plaît dans le métier, c’est d’aller chercher les pistes d’amélioration, de rester toujours en éveil. Pour moi, c’est stimulant de voir les pistes d’évolution de mon profil et comme coureur. C’est ce qui me pousse à me lever tous les matins : la perspective de m’améliorer.
Quelle part prend la dimension psychologique dans la performance des coureurs ?
On fait un sport difficile, contraignant, et on a besoin d’énormes ressources mentales. Les niveaux physiques sont de plus en plus homogènes et la différence se fait vraiment sur la fatigue psychologique qu’on peut avoir, qui nous empêche de nous exprimer à 100 %. Avec l’expérience, je suis plus conscient de ce levier-là. Cela implique non pas des entorses mais certains aménagements à une politique de rigueur, à la maison par exemple, où il faut pouvoir profiter de la vie de famille.
Est-il possible d’apprécier les bonnes choses lorsqu’on est, comme vous, dans la chasse aux grammes jugés superflus ?
Je n’ai jamais été dans une quête de maigreur. Je suis un faux maigre ; je renvoie une image assez erronée parce que je suis grand, élancé. Il y a une nécessaire cohabitation entre les exigences d’une vie d’homme et une vie d’ascète. Je me félicite d’avoir trouvé cet équilibre ces dernières années.
Et à 28 ans, quand vous aurez peut-être atteint votre apogée physique ?
Je ne sais pas comment je réagirai à ce moment-là. Tant que ton épanouissement personnel est assuré, tu t’engages à fond dans la démarche. Le jour où il l’est moins, ton comportement devient un sacrifice. Pour moi, ce qui est stimulant, c’est de me dire : « Tiens, cette année, je pourrais faire ça, partir ici, faire tel calendrier, faire bouger les plans. » Si l’on tombe dans une certaine routine, il n’y a plus rien de stimulant.
Je vais arriver à un plafond, mais il n’y a pas de fatalisme. C’est un sport multifactoriel : à un même niveau physique, en bénéficiant de circonstances de courses et avec l’expérience, on peut faire un meilleur résultat. On sait que la progression ne va pas être éternelle, ce qui me pousse à m’investir davantage car dans cinq, six ans, où en seront mes performances, ma motivation, le contexte du cyclisme ? Il y a beaucoup d’incertitudes, donc il ne faut jamais se dire qu’on a le temps. On nous a trop dit qu’on avait le temps. Mais on n’a jamais trop de temps.
Pensez-vous que votre progression est freinée par la permanence de la prise de corticoïdes dans le peloton, vous qui évoluez dans une équipe régulièrement sujette à des contrôles de cortisolémie au sein du Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) ?
Je suis persuadé qu’on a une réglementation trop permissive là-dessus. Mais je préfère ne pas savoir ce qui se passe dans les équipes. J’ose espérer que le vélo a assimilé qu’il n’aura pas une troisième chance. Le MPCC a créé des garde-fous. Je m’interroge sur la teneur et la pertinence de la politique de l’Union cycliste internationale, qui n’a pas élargi à tout le peloton ces règles plus restrictives. Cependant, le dopage n’est pas une chose à laquelle je pense. Je ne suis pas suspicieux de nature et ce serait contre-productif vis-à-vis de mes ambitions et du coureur tel que je m’affirme. Pourquoi engager tous ses efforts et organiser sa vie autour d’un sport si on a ces considérations en tête ? Ce ne serait pas sain.