Comment un hashtag islamophobe est devenu le sujet numéro 1 sur Twitter
Comment un hashtag islamophobe est devenu le sujet numéro 1 sur Twitter
Par William Audureau
Une étude révèle que les opposants aux discours haineux participent paradoxalement souvent à la diffusion de leurs mots-clés, à l’image de « #IslamHorsdEurope » le 15 juillet.
Sur Twitter, les internautes dénonçant les mots-clés haineux sont ceux qui, en réalité, participent le plus à leur donner de la visibilité. C’est, en substance, la conclusion à laquelle est arrivée le laboratoire belge ReputatioLab, qui a étudié la diffusion des mots-clés islamophobes et notamment « #IslamHorsdEurope », après l’attentat de Nice qui a coûté la vie à 84 personnes.
Le vendredi 15 juillet, vers 23 heures, le mot-clé anti-Islam était en tête des sujets de conversation sur le réseau social. Il avait été lancé dans le cercle des comptes d’extrême droite dans la nuit, mais, remarque ReputatioLab, n’avait pas rencontré d’audience au-delà de son cercle d’origine.
#IslamHorsdEurope
#IslamHorsdEurope
#IslamHorsdEurope
#IslamHorsdEurope
— ULYSSE888 (@ULYSSEisback)
En milieu de journée, il n’était déjà plus utilisé dans sa communauté d’origine. « Le hashtag aurait plafonné et serait mort de sa belle mort vers 16 heures s’il n’avait pas été repris par ceux qui s’y opposaient », souligne l’auteur de l’étude, Nicolas Vanderbiest, interrogé par Le Monde.
C’est notamment une série de tweets d’indignation d’un internaute se revendiquant musulman et extrêmement suivi, vers 16 heures, qui lui a donné une large exposition, et relancé son usage.
#IslamHorsDEurope c'est possible d'etre aussi con que ça quand meme? Quel imbécile a crée se hastag encore?
— 1tomatefraiche (@le gang des tomates)
C’est à partir de 16h que l’utilisation du hashtag se démocratise, surtout pour le condamner. | ReputatioLab
Dès lors, relève ReputatioLab, ce sont essentiellement les messages de condamnation du hashtag qui vont paradoxalement contribuer à le faire monter, à la faveur des algorithmes de Twitter, qui ne distingue pas les contenus positifs des négatifs.
Le cas n’est pas inédit. En janvier 2015, rappelle le laboratoire belge, le hashtag « #JeSuisKouachi », né d’un tweet au second degré, avait été repris d’abord par des djihadistes hors de France, puis par l’extrême droite, avant d’être propulsé trending topic (sujet de conversation à la mode) suite à une vague d’indignation.
Plus de 90 % de tweets anti-islamophobie
Sur les vingt tweets mentionnant le hashtag « #IslamHorsdEurope » les plus partagés, tous sont hostiles à celui-ci. Deux des trois les plus retweetés rappellent que certaines victimes de l’attentat étaient musulmanes. Mais comme le souligne Nicolas Vanderbiest, « sur Twitter, il est impossible de lutter contre un hashtag sans le faire monter » dans le classement des sujets de conversations.
Les tweets reprenant le terme « IslamHorsdEurope » étaient à l’immense majorité hostile au discours islamophobe. | ReputatioLab
Le réseau social utilise des algorithmes au fonctionnement secret pour établir les trending topics. Plus encore que le nombre de tweets, qui n’est pas pris un compte s’il est élevé mais stable, c’est la variation du niveau de mention, l’étendue géographique et le nombre des utilisateurs qui en parlent, et enfin le relais de comptes influents qui sont les principaux facteurs de mise en avant des hashtags, explique l’auteur de l’étude.
En tout, le samedi 15 juillet, faute d’autre sujet de conversation important, il s’en est suffi de 3 000 tweets pour que « #IslamHorsdEurope » devienne le sujet numéro 1 à 23 heures.
Les limites de Twitter
Il faut donc prendre la visibilité de ce hashtag avec précaution. D’une part, il faut se garder d’y voir une photographie de la pensée en France, avertit Nicolas Vanderbiest :
« Twitter ne représente pas la France, d’autant que l’électeur du Front national est plutôt dans les campagnes. Par ailleurs, comme on le voit avec les sondages, qui doivent chaque fois être redressés, on sait qu’il y a des écarts entre ce que les gens pensent et ce qu’ils déclarent. Ces 8 % représentent seulement ceux qui s’annoncent antimusulmans. »
D’autre part, partage ne signifie pas adhésion, et le sujet de conversation le plus discuté ce 15 juillet au soir était loin de révéler l’explosion de la parole islamophobe. Sur 36 410 mentions recensées de « #IslamHorsdEurope », 92 % des utilisateurs appartenaient au contraire à des sphères anti-islamophobie.
L’étude des interactions sur le réseau social révèle d’ailleurs que le compte le plus influent dans la diffusion du hashtag n’appartient pas à la sphère d’extrême droite (en bleue sur le schéma), mais au journaliste de Clique TV, Mouloud Achour, dont le message a été retweeté plus de 5 000 fois.
Carte des interactions autour du mot-clé IslamHorsDEurope : l’extrême-droite, en bas à droite en bleue, est isolée et minoritaire. | ReputatioLab
En utilisant des trucs aussi débiles que #IslamHorsDEurope vous servez la cause des assassins. Ils veulent diviser, vous les aidez.
— mouloudachour (@MOULOUD ACHOUR)
Moralité : sur Twitter, pour ne pas participer à la diffusion d’un mot-clé que l’on désapprouve, la solution est de ne pas en parler.