Après le traçage de la viande, vient celui du lait. L’expérimentation lancée en France, avec l’accord de Bruxelles, durera deux ans et démarrera le 1er janvier 2017. A cette date, toutes les étiquettes sur les emballages de lait et des produits laitiers transformés (fromage, yaourts, beurre…) devront indiquer l’origine de leur production. Si le bilan s’avère positif, cette obligation pourra être étendue à l’ensemble des pays membres de l’Union.

Dans cette perspective, un projet de décret « relatif à l’indication de l’origine du lait et des viandes utilisées en tant qu’ingrédient » est à l’étude au Conseil d’Etat, dont l’avis est attendu pour septembre. A priori une telle mesure devrait faire l’unanimité en contribuant à plus de transparence après le scandale des lasagnes à la viande de cheval voici trois ans.

Ce n’est pas le cas. Si les consommateurs l’accueillent favorablement, tout comme les éleveurs laitiers espérant ainsi mieux valoriser leur production, les industriels y sont hostiles. Outre le surcoût qu’entraînera l’étiquetage, ils dénoncent le côté contre-productif de cette décision. Ce dispositif pourrait, selon eux, nuire aux exportations, un des atouts de la filière qui écoule hors de France 40 % de sa production sous forme de lait, de fromage et de beurre. « Ce n’est pas la transparence qui nous gène mais le côté protectionniste de la mesure », estimait mardi 19 juillet Olivier Picot, président de la Fédération nationale des industries laitières (FNIL).

Surproduction européenne

En réaction à l’initiative française, d’autres pays seront tentés de faire de même en réduisant leurs importations, tout en jouant à leur tour sur la fibre du nationalisme. « Je ne vois pas les Italiens accepter d’utiliser du lait français pour faire leur mozzarella », remarque M. Picot, estimant que dans les douze prochains mois d’autres pays vont s’engouffrer dans la brèche. L’Italie qui pourtant importe du lait a déjà engagé le processus, tout comme la Lituanie. Cela pourrait aussi avoir comme conséquence d’augmenter la production locale dans une Europe déjà en surproduction. La mesure est d’autant plus inadaptée à la France que « nous sommes loin de connaître une invasion de lait étranger », relativise le patron de la FNIL. les importations représentent à peine 10 % de la consommation.

Si chacun se retranche derrière ses frontières « vous imaginez tout le lait qui va rester en France… », prévient-il. Mais, plus grave pour les industriels, cette expérimentation française va à l’encontre des principes fondamentaux du marché européen sur la libre circulation. « On recrée des marchés nationaux », regrette M. Picot. « C’est la cohérence européenne qui est détricotée en particulier tout ce qui permet la fluidité », insiste Jehan Moreau, le directeur de la FNIL. Pour lui, un marché unique veut dire même règles pour tous.

L’étiquetage n’est pas la seule source d’inquiétude des industriels. Ils s’interrogent sur les conséquences de la loi Sapin II, si le texte est voté dans sa version actuelle le 26 septembre. Cette loi sur la transparence de la vie économique impose en particulier aux industriels de mentionner le prix du lait prévisionnel moyen qu’ils comptent payer à leurs producteurs dans les contrats de vente établis sur cinq ans. Une charge que n’auront pas les coopératives. « Ce serait bien sur un même marché d’avoir les mêmes réglementations », suggère M. Picot, tout en déplorant ce nouveau « carcan réglementaire Français ». Or les industriels laitiers privés « ne demandent qu’une seule chose, rappelle-t-il, avoir les mêmes règles du jeu que leurs concurrents européens ».