Après Nice, Cazeneuve dans la tourmente
Après Nice, Cazeneuve dans la tourmente
Par Gilles Rof, Matthieu Goar, Julia Pascual
Le ministre de l’intérieur se voit reprocher par la droite son manque de transparence sur le dispositif de sécurité
Un dispositif de sécurité mis en cause. | Le Monde.fr
Bernard Cazeneuve est peut-être en train d’abîmer un de ses plus précieux atouts politiques : le flegme et le sérieux qui ont contribué à faire de lui un poids lourd du gouvernement, populaire auprès de l’opinion et se démarquant favorablement de ses prédécesseurs Place Beauvau. Ce flegme et ce sérieux, le ministre de l’intérieur s’est appuyé dessus après l’attentat du jeudi 14 juillet, quand Christian Estrosi, adjoint au maire chargé de la sécurité et président de la région, a accusé le gouvernement de « mensonge d’Etat » au sujet notamment des effectifs de police nationale présents sur la promenade des Anglais le soir de l’attaque.
Une semaine après, le ministre de l’intérieur est désormais au cœur de la polémique. Si François Hollande et Manuel Valls ont au départ concentré les foudres des ténors de l’opposition, ce temps de grâce est révolu après que le journal Libération a titré en une « Des failles et un mensonge ». Et révélé, a minima, un réel manque de transparence des autorités de l’Etat sur le dispositif de sécurité niçois. Contrairement à ce que le ministère de l’intérieur a d’abord dit et laissé dire, le point bloquant la circulation sur la promenade des Anglais n’était pas tenu par des policiers nationaux au moment de l’attaque terroriste, ni même par plusieurs véhicules.
Jeudi, les députés Les Républicains Eric Ciotti (Alpes-Maritimes) et Guillaume Larrivé (Yonne) ont demandé à la commission des lois de l’Assemblée nationale d’effectuer des auditions publiques. M. Cazeneuve a quant à lui annoncé l’ouverture d’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale, dont les conclusions devraient être connues la semaine prochaine.
« Si certains ont menti, il y a une chaîne de commandement et les responsabilités doivent être engagées », explique au Monde Eric Woerth, secrétaire général du parti Les Républicains. Georges Fenech, député du Rhône et président de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, a été plus direct : « Désormais, la question de la démission du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est inévitablement posée. » De leur côté, les responsables du Front national se sont déchaînés. « Gouverner c’est prévoir : Bernard Cazeneuve n’a pas su le faire, il doit démissionner », a affirmé sur RMC David Rachline, maire de Fréjus et sénateur du Var, reprenant les propos de Marine Le Pen tenus cinq jours auparavant.
Le président de la République et le premier ministre se sont au contraire mobilisés pour défendre l’action du ministre de l’intérieur. « Bernard Cazeneuve (…) a fait preuve de sang-froid, de rigueur, de compétence, qui, à mon sens, ne devraient pas laisser place à la polémique mais simplement à la demande de vérité et de transparence », a déclaré François Hollande en visite à Dublin. En déplacement en Savoie, Manuel Valls a lui aussi contre-attaqué : « Le mensonge, la bassesse du débat public, les accusations infamantes sont ce qu’il y a de plus éloigné de Bernard Cazeneuve, un homme d’une très grande qualité politique, professionnelle et morale. » Invité de RTL vendredi matin, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, s’est carrément indigné : « Si aujourd’hui un certain nombre de journalistes, de commentateurs, de responsables politiques, mettent en cause le fonctionnement de la justice, des services administratifs de l’Etat, alors c’est une thèse qui est extrêmement dangereuse pour la démocratie. »
Reste que les révélations du journal Libération portent un sérieux coup de canif à la communication gouvernementale. Dans un communiqué diffusé samedi 16 juillet au sujet du « dispositif de sécurité mis en œuvre pour le 14 juillet », la préfecture des Alpes-Maritimes assurait que « la mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d’équipages de la police municipale. C’était le cas notamment du point d’entrée du camion, avec une interdiction d’accès matérialisée par le positionnement de véhicules bloquant l’accès à la chaussée. Le camion a forcé le passage en montant sur le trottoir ».
Relayant cette information, M. Cazeneuve déclarait samedi 16 juillet que la police nationale « était présente, et très présente, sur la promenade des Anglais (…) Quant au franchissement du barrage par le camion, là aussi les choses ont été indiquées (…) mais des véhicules de police rendaient impossible le franchissement de la promenade des Anglais et c’est par les trottoirs et de façon très violente que ce camion a réussi à pénétrer ».
Assumer des failles
Des assertions qui comportent plusieurs inexactitudes. Les effectifs de police nationale n’étaient pas présents au point d’entrée du camion sur la zone piétonne au moment du passage du tueur. Et il n’y avait pas plusieurs véhicules entravant la chaussée. C’est pourtant cette version que les autorités de l’Etat, de même que la municipalité de Nice, ont diffusée et, à tout le moins, laissé se diffuser. Parce que le gouvernement ne peut se permettre d’assumer des failles à l’heure où la France vit sous une menace terroriste qui a coûté la vie à 250 personnes depuis un an et demi ? « Je ne laisserai jamais dire qu’il y a des failles là où il n’y en a pas ! », martelait avec vigueur Manuel Valls mardi 19 juillet, en ouverture du débat à l’Assemblée sur la prolongation de l’état d’urgence.
Dans les faits, à l’endroit où le tueur a pénétré dans la zone piétonne de la promenade des Anglais, c’est la police municipale qui était présente, après avoir relevé la police nationale à 21 heures. Elle disposait de deux policiers municipaux, de barrières Vauban, de glissières en plastique et d’un seul véhicule, positionné, selon Christian Estrosi, « en travers de la chaussée », qui comporte six voies. C’est environ 400 mètres plus loin, tel que l’a précisé jeudi la préfecture des Alpes-Maritimes, que six fonctionnaires de la police nationale tiennent un « point de contrôle et de protection », avec deux voitures garées dans le sens longitudinal. Ce point vise le contrôle du flux des personnes. C’est à cet endroit que les premiers échanges de tirs ont eu lieu avec le tueur.
Ce dispositif est tel qu’il avait été prévu et conçu par la préfecture à l’occasion des réunions préparatoires. Pas sûr qu’un dispositif plus ambitieux aurait empêché l’attentat. Mais il aura fallu une semaine pour que les détails soient finalement révélés par la presse.
Jeudi midi, le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, s’est présenté, raide, devant la presse pour apporter ses éclaircissements : « Y a-t-il eu mensonge des autorités, comme l’affirme le journal Libération ? Non, à aucun moment. » A l’issue de la conférence de presse, le représentant de l’Etat a toutefois refusé toute question des journalistes. Egalement présent, le directeur départemental de la sécurité publique, Marcel Authier, a rappelé que le dispositif du 14 juillet « était centré sur les individus armés ou porteurs de ceintures explosives ».
Christian Estrosi a fustigé l’attitude du préfet et des responsables locaux de la police : « C’est parce qu’ils comprennent qu’ils ont chaud aux fesses qu’ils commencent à dire la vérité. » L’ex-maire de Nice a également révélé avoir reçu une lettre lui demandant d’effacer les images des caméras de surveillance prises le soir du 14 juillet, sur la promenade des Anglais et aux environs. La demande de destruction, arrivée le 20 juillet, émane de la sous-direction antiterroriste. Il s’agit d’une « réquisition judiciaire urgente », les enregistrements étant par ailleurs déjà en possession des magistrats instructeurs.
L’avocat de la municipalité, Me Philippe Blanchetier, a toutefois fait savoir que la ville n’entendait pas, en l’état, satisfaire cette réquisition. « La loi et notre serveur prévoient toutefois une destruction automatique des données au bout de dix jours, soit le 24 juillet », précise toutefois la mairie. Mais Me Blanchetier compte saisir le procureur de Nice et le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés d’une demande de conservation de ces données au-delà de la durée légale.
Cazeneuve s'exprime sur les dispositif de sécurité à Nice
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