Au Bénin, des entreprises pharmaceutiques trempent dans le trafic de faux médicaments
Au Bénin, des entreprises pharmaceutiques trempent dans le trafic de faux médicaments
Par Hermann Boko (contributeur Le Monde Afrique, Cotonou, Bénin)
Des sociétés de vente en gros de produits pharmaceutiques profitent de la faiblesse des lois contre le trafic de faux médicaments pour alimenter un marché parallèle.
Des révélations de vente illicite de médicaments au profit du marché parallèle ont créé l’émoi fin juin au sein de la corporation des pharmaciens du Bénin. Elles accablent l’Union béninoise des pharmacies (UB PHAR). Une des plus anciennes sociétés de vente en gros de médicaments dans ce pays d’Afrique de l’ouest.
Une livraison de produits pharmaceutiques pour le compte d’une trafiquante de faux médicaments a été interceptée dans la commune de Kétou à 150 km au nord de Cotonou, la capitale. La marchandise qu’a malencontreusement livrée un conducteur de taxi dans une des rares pharmacies de la ville a permis de mettre la main sur un des circuits illicites de vente de médicaments contrefaits. La facture de livraison datée du 28 juin 2016 renseigne toutes les informations liées à la transaction et informe davantage sur le mode opératoire des grossistes qui alimentent le marché illicite.
Une quarantaine de produits pharmaceutiques d’un montant de 275 000 francs CFA (423 euros) ont été livrés par l’entreprise pharmaceutique à une trafiquante qui répond au nom de Clémence Ahlonon. Un compte écran au nom d’une pharmacie burkinabé, Lafia Sarl Bobo Dioulasso, a été utilisé pour faire l’opération. Dans le processus d’achat des médicaments, les pharmacies qui payent souvent à crédit doivent ouvrir des comptes clients auprès des fournisseurs. « Mais ces comptes peuvent être rapidement détournés pour livrer le marché parallèle si la pharmacie est à l’étranger et l’utilise peu », explique un pharmacien.
Soupçons de ventes illicites
En l’occurrence, Dindane Inoussa, le propriétaire de ladite pharmacie, dément avoir passé commande auprès d’UB PHAR ces derniers mois. Cependant, il confirme que sa structure y a bel et bien un compte depuis plusieurs années qui est inactif depuis plusieurs années. « C’est du flagrant délit », affirme Docteur Louis Koukpémédji, président du Syndicat des pharmaciens du Bénin (Syphab) qui lutte depuis plusieurs années contre le trafic de faux médicaments. C’est lui qui a mis la main sur le livreur des produits pharmaceutiques.
Plusieurs fois soupçonnée de ventes illicites, la société UB PHAR n’a néanmoins jamais été épinglée. Contactée vendredi par téléphone, l’entreprise pharmaceutique n’a pas souhaité réagir. Ghislain Agonsanou, son directeur commercial, a préféré garde le silence pendant l’appel. Il n’a pas été non plus possible de joindre la trafiquante. Lundi, sa ligne sonnait occupée. Cette dernière est propriétaire d’un dépôt pharmaceutique dans la ville de Pobè à 107 km à l’est de Cotonou, mais dont la licence a expiré en 2015.
Réglementation peu coercitive
Présenté au procureur début juillet, la trafiquante a été libérée faute d’une réglementation très peu coercitive en matière de lutte contre le trafic de faux médicaments. « Ce n’est pas normal, s’indigne le docteur Louis Koupkémédji. La trafiquante est dans l’illégalité d’avoir un dépôt pharmaceutique. Ses documents ne sont pas à jour. C’est de l’exercice illégal de la profession de pharmacie. Cela est mentionné dans les textes et puni. Même si les peinent semblent être ridicules, il faut les appliquer ».
Les dépôts pharmaceutiques sont de petites officines accréditées par le ministère de la santé dans les régions reculées et souvent dépourvues de points de vente de médicaments de première nécessité. Peu contrôlées, ces officines sont des portes ouvertes à la prolifération du trafic de faux médicaments. « Les dépôts pharmaceutiques n’ont pas le droit de s’approvisionner directement chez les sociétés grossistes. Ce sont les pharmacies qui doivent assurer leur fourniture en médicaments », précise un cadre du ministère de la santé qui a requis l’anonymat.
Selon les textes, le contrevenant encourt six mois de prison au plus et une amende qui varie de 100 000 à un million de francs CFA. Des sanctions insignifiantes au regard des milliards de chiffres d’affaires que peuvent brasser les trafiquants.
Saisie du dossier sur instruction du ministère de la santé, la direction des pharmacies a lancé une inspection dans les locaux de la société pharmaceutique. Mais les inspecteurs n’y ont rien trouvé.
De son côté, l’opiniâtre docteur syndicaliste a déjà déposé une plainte contre UB PHAR auprès de la commission disciplinaire de l’ordre des pharmaciens. Un collectif de pharmaciens a appelé les professionnels à boycotter les fournitures de cette entité.
Le Bénin, pays pauvre d’Afrique de l’ouest est réputé être une plaque tournante du trafic de faux médicaments. Tous les jours un marché de vente de faux médicaments s’anime en plein centre de Cotonou en toute impunité.