A Paris, les spectacles sont au coin de la rue
A Paris, les spectacles sont au coin de la rue
Par Rosita Boisseau
Jusqu’au 7 août, Paris Quartier d’été essaime ses artistes à travers la capitale et en banlieue pour une centaine de représentations dont beaucoup gratuites.
« Smashed », de la compagnie Gandini Juggling, au parc de Belleville. | Photo : NKWC
Des pommes, des tasses et des assiettes qui volent. Au sens propre, ça jongle à tout-va et même en croquant un morceau de fruit au passage. Au sens figuré aussi, ça décolle sec et ça se crashe, les soucoupes filant comme des volantes arrêtées par un coup de batte de papier ou la main rageuse d’un basketteur à la sauvage. Avec Smashed (2009), qui porte bien son titre – la vaisselle qui reste est distribuée à la fin aux spectateurs et c’est la ruée des enfants –, la fameuse troupe anglaise Gandini Juggling fait vibrer son jonglage aiguisé mais blagueur, direct et sophistiqué à force de haute virtuosité et d’inventions sans limites.
A l’enseigne de Paris Quartier d’été, « l’estival et festif festival », Smashed, présenté jusqu’au 29 juillet au Centre culturel irlandais, glisse aussi un hommage à Pina Bausch (1940-2009), avec ses parades d’interprètes mais aussi son jeu de massacre entre les hommes et les femmes, le fruit défendu servant à tous les usages entre la balle, l’œuf, la poule et bien d’autres choses encore. Le spectacle clôt une série de dix représentations en plein air et gratuites dans des espaces tous plus insolites les uns que les autres comme la place René-Clair, à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), ou le parvis du cinéma UGC, dans le 12e arrondissement de Paris.
« C’est l’un des axes forts de la manifestation depuis sa création en 1990, précise Patrice Martinet, fondateur et directeur, qui signe son ultime édition. D’emblée, l’idée était d’alterner entre le centre et la périphérie, les lieux fixes et éphémères, le payant et le gratuit. Les spectateurs passent de l’un à l’autre et suivent les artistes qui jouent le jeu. »
Parcours fléché
Porte-drapeau éclatant de ces circulations tous azimuts, la danseuse et chorégraphe Johanne Saunier, en duo avec Ine Claes, a investi depuis le 15 juillet plus d’une dizaine de lieux, entre le Musée Picasso et Villetaneuse Plage. Certains jours, elles enchaînent différentes performances au gré d’un parcours fléché pour le public. « Et c’est incroyable comment les spectateurs nous suivent d’un endroit à l’autre, s’enthousiasme cette figure de la danse contemporaine, interprète historique d’Anne Teresa De Keersmaeker. C’est un marathon mais j’adore. Je découvre des endroits que je n’aurais jamais imaginés ». Avec ces Ballets confidentiels, tendance pop-up allant de 5 minutes à 45 minutes, sur des musiques de Miles Davis ou de Georges Aperghis, Johanne Saunier renoue avec le plaisir direct et le sens plein de son métier au contact « sans filtre » avec le public. Et la météo n’a qu’à bien se tenir.
Pour cette édition spéciale intitulée C’est tout ? par Patrice Martinet, également directeur du Théâtre de l’Athénée, vingt-huit lieux en plein air sont investis pour soixante-quatre représentations sur quatre-vingt-douze au total. 70 % sont gratuites. Lorsque en 1990 Jack Lang, alors ministre de la culture, lui demande d’imaginer en moins de trois mois un festival d’été à Paris, il pense à « ceux qui restent ».« A l’origine, il y avait la volonté de proposer des spectacles à un public qui n’avait pas accès aux lieux de culture repérés et donc on est allé dans les parcs, dans les jardins, mais aussi dans les hôtels et les cimetières, les lieux de culte, rappelle Patrice Martinet. Il faut se rappeler qu’en 1990 Paris était un désert culturel, alors qu’environ 40 % de Franciliens ne partent pas en vacances. Mais pas question de programmer des animations avec accordéons par-ci par-là, comme on me l’a suggéré à l’époque. J’ai voulu concevoir un vrai festival, ambitieux, pluridisciplinaire puisqu’il n’y avait rien d’autre à l’époque, avec des têtes d’affiche mais aussi des artistes moins connus ».
« Smashed », de la compagnie Gandini Juggling, au parc de Belleville. | Nans KONG WIN CHANG
Un programme toujours solide et excitant
Ambition concrétisée avec une force de pénétration inentamée depuis 1990. Non seulement Paris Quartier d’été a comblé le vide culturel – qui s’est beaucoup rempli depuis avec les théâtres prolongeant désormais leur programmation jusqu’au 15 juillet –, mais il a pris de l’ampleur, succès oblige. En vingt-sept ans, il a glissé de trente représentations à plus d’une centaine, croisant spectacles de théâtre, danse, cirque, concerts et performances débarqués de tous les pays, de la Colombie à la Corée. Grand public avec classe et à la pointe de l’expérimentation avec modestie et générosité, il rassemble 40 000 spectateurs en moyenne et affiche un taux de remplissage dépassant parfois les 100 % !
Les exploits et les souvenirs de ce festival se télescopent régulièrement insolite en inventant un programme toujours solide et excitant. Deux cents Tsiganes au Palais Garnier et des bals musette à La Villette en 1992. Six organistes pour jouer du Bach à Saint-Eustache et Achille Tonic sur les bords de la Seine en 1996. Les tambours du Burundi à Versailles et un orchestre andalou à Choisy en 1998. Mais encore Pierre Boulez, Pierre Henry, Bartabas, Natalie Dessay, les machines de François Delarozière et la pelleteuse avec danseur de Dominique Boivin… Le bilan de Patrice Martinet explose.
Un désir d’art partagé
Cette force exponentielle, blindée par un désir d’art partagé, a exigé de la part de l’équipe de Paris Quartier d’été, une lutte permanente pour dénicher les lieux et les conserver. Les spectacles prévus aux Tuileries du 1er au 7 août viennent, pour des raisons de sécurité, d’être déplacés au parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge.
L’itinérance a des vertus mais entraîne aussi des stratégies lourdes et une énergie décuplée. Avoir un espace fixe permet de mieux gérer le nomadisme. Localisé au Palais-Royal depuis 1992, avec une scène et des gradins mobiles, le festival a perdu cet affichage de premier plan en 2010.
Un an après, il décroche une autre adresse prestigieuse, pour une édition seulement, celle de la Cour d’honneur des Invalides. Patrice Martinet en rêvait et a convaincu le ministère de la défense. Pour l’édition 2016, Paris Quartier d’été a élu domicile au Centre culturel irlandais. Encore une découverte pour un menu qui maintient haut la barre de la diversité et du populaire en soufflant sur les frontières comme par magie.
Paris Quartier d’été. Jusqu’au 7 août. Tél. : 01-44-94-98-00. www.quartierdete.com/