A Saint-Etienne-du-Rouvray, « il n’y a qu’une porte » entre chrétiens et musulmans
A Saint-Etienne-du-Rouvray, « il n’y a qu’une porte » entre chrétiens et musulmans
Par Perrine Mouterde
Après l’assassinat du père Hamel, lors de la prière du vendredi à la mosquée Yahya, à laquelle ont assisté des chrétiens, les responsables des deux communautés ont appelé à préserver les liens tissés depuis des années.
Le président du Comité régional du culte musulman Mohamed Karabila, les prêtres catholiques Pierre Belhache et Auguste Moanda et le président du Conseil français du culte musulman, Anouar Kbibech, pour la grande prière, le 29 juillet, dans la mosquée Yahya de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). | JEAN-PIERRE SAGEOT/SIGNATURES POUR "LE MONDE"
Antoinette n’a plus l’âge pour s’asseoir sur la moquette verte. Alors elle s’est installée sur une chaise en plastique. Dans la salle réservée aux femmes de la mosquée Yahya, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), une vingtaine de chrétiennes pratiquantes sont venues assister à la grande prière du vendredi, en voisines. Leur église, Sainte-Thérèse-du-Madrillet, se trouve de l’autre côté du mur.
Leila, 48 ans, voile blanc et robe noire, est « touchée ». « Ça fait plaisir de les voir là, il y a une bonne entente entre nous, dit-elle. Ça fait tellement mal ce qui s’est passé. » « Il y a toujours eu de bons échanges entre les communautés, confirme Antoinette. On s’invite pour célébrer les fêtes, il y a des activités pour les enfants… La mort du père Hamel ne nous empêchera pas de continuer. Au contraire. »
Devant la petite foule de fidèles, ce sont deux prêtres qui prennent d’abord la parole. Pour partager leur douleur. Rappeler la solidarité entre les deux communautés, exhorter à ce que la fraternité perdure. « Nous devons construire des ponts, pas des murs, rappelle Auguste Moanda, le curé de Sainte-Thérèse. Il n’y a qu’une porte entre nous, que nous pouvons considérer comme un pont. »
A Saint-Etienne-du-Rouvray, chrétiens et musulmans se recueillent et prient ensemble
Un portail « très souvent ouvert »
Cette porte, c’est un portail vert. Un portail « très souvent ouvert », insiste Mohamed Karabila, le président du Comité régional du culte musulman (CRCM). « Entre chrétiens et musulmans, on se voit tous les jours. Ici, c’est l’incarnation du vivre ensemble. Avant même de construire la mosquée, on avait réfléchi au fait que l’on voulait qu’elle soit au milieu de la ville et à côté de l’église. » La mosquée Yahya, la seule de la commune, a été inaugurée en 2000. Avant, les prières se tenaient dans la salle paroissiale. La parcelle qui permet d’accéder au terrain, depuis la route, a été cédée par le diocèse pour un euro symbolique.
François Bayrou, le président du Modem, a, lui, décrit un tout autre tableau. Le 26 juillet, il dénonçait l’existence, à Saint-Etienne-du-Rouvray, d’une « mosquée salafiste » et d’une « communauté fanatisée ». Des propos qui ont choqué. « Dans toutes les mosquées, vous pouvez trouver une dizaine d’individus qui se disent salafistes, explique Mohamed Karabila. Mais ils ne prennent pas le micro, ne donnent pas de cours… On ne peut pas les empêcher de venir prier ! »
Adel Kermiche, l’auteur de l’attentat qui vivait dans la commune, M. Karabila ne l’a jamais rencontré. Il le connaissait de nom, depuis que le père d’Adel Bouaoun – un habitant de la ville, âgé de 26 ans, ayant rejoint la Syrie avec la carte d’identité d’Adel Kermiche – était venu lui signaler le départ de son fils pour la Syrie. « On était sûr qu’Adel Kermiche était surveillé par la police, on était tranquille. Je ne peux pas dire s’il est parfois venu prier ici. Mais nous, on préfère que les jeunes viennent à la mosquée plutôt qu’ils écoutent l’imam Google… »
Devant la mosquée, une dizaine d’hommes se présentant comme « un groupe de frères salafis », distribuent un tract dans lequel ils condamnent « de façon claire » le meurtre du père Hamel, un « acte terroriste lâche ». Dans la mosquée, l’imam insiste, s’adressant aux assassins : « Vous voulez semer la discorde dans une communauté paisible, mais vous ne nous connaissez pas, notre fraternité vivra. »
Après la grande prière du vendredi, les musulmans de Saint-Etienne-du-Rouvray ont déposé une gerbe de fleurs et fait une minute de silence devant l’église où a été tué le père Hamel le 26 juillet. | JEAN-PIERRE SAGEOT/SIGNATURES POUR "LE MONDE"
« On ne sait pas ce qu’il peut se passer »
Pendant le prêche, Abdel a eu les larmes aux yeux. « Etre unis dans ces moments-là, c’est important. » Il vit depuis dix-sept ans à Saint-Etienne-du-Rouvray, à quelques mètres de l’église où a été tué le prêtre. Depuis mardi, sa fille de 3 ans ne parle que de ça. Les tirs, les minutes passées sans pouvoir sortir de chez eux. Jamais il n’aurait pensé qu’un tel drame aurait pu se passer ici, où « il n’y avait jamais eu un problème ». Où les liens étaient « incroyables ».
Mais mercredi, Abdel est ressorti. Et il assure que déjà, des regards ont changé. « Après un tel événement, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il y a des gens qui le comprennent, d’autres non. » A 44 ans, ce Franco-Algérien se prend à songer à quitter la France. « Je suis propriétaire, je suis salarié… J’ai tout ce qu’il faut ici. Mais certains sont en train de gâcher tout cela. »
Comme Abdel, beaucoup redoutent désormais les amalgames. Les envies de « vengeance ». « On ne sait pas ce qu’il peut se passer, souffle tristement Mohamed, 39 ans. Il y a des extrémistes des deux côtés. » « Ce drame ne sera pas sans conséquences, estime aussi le président du CRCM, Mohamed Karabila. Les gens entendent qu’un prêtre français est assassiné par quelqu’un qui se revendique de l’islam… Forcément, pour certains, il y a un problème avec les musulmans. »
Devant l’église Sainte-Thérèse, ouverte pour un temps de recueillement, Moreno, 51 ans, confesse que « la colère domine sur son côté religieux ». Cet électeur du Front national s’est forcé à jeûner, vendredi, à l’appel du président de la conférence des évêques. A venir se recueillir. Il ne mettra pas, en revanche, les pieds dans la mosquée. « J’aurais peur qu’ils aient une idée derrière la tête », annonce-t-il.
Sous le choc, Nicole et sa fille Sabine ont peur, elles aussi. Même si elles refusent les amalgames. « Cela va mettre du temps à cicatriser. Il faut vivre, sortir, travailler… Mais nous avons peur », répètent-elles. Eliane, le visage lumineux, se dit, elle, un peu « lasse des gens qui cherchent toujours la bagarre ». A 91 ans, ses yeux bleu pâle assortis à son imperméable ne voient toutefois rien de commun entre « les musulmans et les voyous ».