Islam en France : « La question du financement des lieux de culte est accessoire »
Islam en France : « La question du financement des lieux de culte est accessoire »
Propos recueillis par Perrine Mouterde
Auteure d’un rapport sur l’organisation et le financement de l’islam en France, la sénatrice Nathalie Goulet réagit aux différentes propositions de responsables politiques.
Dans la mosquée de la Saint-Etienne-du-Rouvray, commune située près de Rouen où a été tué le père Jacques Hamel, le 26 juillet. | JEAN PIERRE SAGEOT / SIGNATURES POUR LE MONDE
Instaurer une « taxe halal » pour financer l’islam en France, suspendre temporairement les financements étrangers de mosquées… Depuis l’assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans une attaque revendiquée par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), plusieurs responsables politiques ont avancé des propositions pour réformer l’organisation et le financement de l’islam en France.
Pour Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne et rapporteure d’une mission d’information sur le sujet, dont le rapport a été publié le 5 juillet, la priorité est de mettre fin au principe des imams détachés et d’établir une fondation transparente afin de centraliser les financements de l’islam.
L’influence de pays étrangers dans l’organisation de l’islam de France est souvent dénoncée. Est-ce une réalité ?
Nathalie Goulet : Le poids de certains pays a été une grosse surprise au moment de la rédaction de notre rapport. Mais ce ne sont pas forcément ceux que l’on croit qui sont les plus influents. Les pays du Golfe sont bien moins présents que les « pays d’origine », l’Algérie, le Maroc et la Turquie. Ces trois Etats exercent une réelle influence par le biais du financement de bâtiments, d’écoles, de la formation d’imams et de l’envoi d’imams détachés – qui sont des fonctionnaires payés par leur pays d’origine –, et par le biais de la gouvernance du Conseil français du culte musulman (CFCM).
L’Arabie saoudite n’est pas le pays qui finance le plus l’islam en France. Et elle est traditionnellement très attentive à ce qu’elle finance, pour ne pas aggraver une réputation déjà mauvaise.
Manuel Valls s’est dit favorable à la suspension temporaire des financements étrangers des mosquées. Y êtes-vous également favorable ?
Le premier ministre parle de suspendre les financements étrangers, mais par quoi vont-ils être remplacés ? Par des financements du ministère de la fonction publique ? Il est souhaitable qu’il n’y ait plus de financements étrangers, mais c’est une imposture de laisser penser que le problème peut se régler comme ça.
La question du financement des lieux de culte est accessoire. Le Louvre ou l’Institut du monde arabe reçoivent bien des financements étrangers, de façon transparente. Avant tout, il faut travailler à mettre un terme au principe des imams détachés et à celui des imams français qui vont se former au Maroc.
D’autre part, cette proposition de Manuel Valls repose sur l’idée selon laquelle la radicalisation se fait dans les lieux de culte, ce qui n’est pas forcément le cas. Si on réduit la voilure pour la construction des mosquées, on va retourner à l’islam des caves où l’on peut prêcher n’importe quoi.
Il y a, selon votre rapport, 301 imams détachés en France pour environ 2 500 lieux de culte musulmans. En quoi est-ce un problème ?
Il y a 301 fois la possibilité, pour des citoyens français de confession musulmane, d’assister à des prêches dirigés par des imams qui ne sont pas français et sont payés par un Etat étranger. C’est plus problématique que les financements étrangers de mosquées. Là, il ne s’agit pas de pierres…
Les imams détachés turcs, par exemple, arrivent sous l’appellation d’assistants sociaux et non d’imams. Ils parlent à peine français, n’ont jamais vu un Arménien de leur vie, ne savent pas qu’en France on reconnaît le génocide arménien. La plupart des imams détachés n’ont jamais reçu d’éducation sur la Shoah, l’homophobie, la peine de mort… Ils n’ont pas ces éléments de contexte importants, or ils jouent un rôle dans les communautés.
Aujourd’hui en France, la formation des imams est éclatée et payante. Cela revient souvent moins cher d’aller se former au Maroc. Il faut mettre en place une formation qui soit homologuée, scientifiquement et religieusement.
Pourquoi cette question du financement est-elle cruciale ?
On considère que l’islam est une religion comme une autre, mais on ne lui donne pas les moyens de l’être. L’islam est une religion récente sur le territoire national, confrontée à un accroissement de sa population. Il y a un besoin de rattrapage par rapport aux autres religions. Les communautés musulmanes ont besoin d’avoir des structures, des écoles, des mosquées, des lieux associatifs. Il faut que les musulmans puissent exercer leur culte de façon décente.
Aujourd’hui, si une fille de 14 ans veut porter le voile, elle va chercher une école religieuse musulmane, mais il y en a très peu. Un enfant juif qui veut manger casher et porter sa kippa trouvera lui une école juive. Les crispations sont plus fortes dans les communautés musulmanes car elles ne disposent pas de tous les outils pour exercer leur culte.
Quelles sont les pistes pour un financement français de l’islam ? Que pensez-vous de l’idée de relancer une « fondation de l’islam de France », évoquée par M. Valls ?
Il faut réactiver cette Fondation pour les œuvres de l’islam de France [créée par décret en 2005] pour que tous les financements transitent par elle. Ceux de l’étranger, et ceux des communautés musulmanes françaises [ce sont elles qui financent, par leurs dons, l’essentiel des coûts de construction et d’entretien des mosquées – seule une vingtaine de mosquées ont été financées par des organisations ou des Etats étrangers].
Cette fondation doit avoir une gouvernance mixte avec un représentant du Conseil d’Etat, un comptable du Trésor. Il faut également mettre en place une comptabilité analytique pour que l’argent algérien soit utilisé pour des lieux de culte algérien, l’argent marocain pour les lieux de culte marocain… C’est nécessaire, si l’on veut que les communautés donnent leur accord à cette fondation. Les Algériens ne veulent pas payer pour les Turcs, et vice versa, même si l’idée d’un lieu de culte algérien n’a pas de sens en France. Si la mise en place de cette fondation a été un échec il y a dix ans, c’est pour des raisons de gouvernance.
Une fois que cette fondation sera établie et fonctionnera de façon transparente, les musulmans qui ont réussi pourront donner de l’argent et obtenir une déduction fiscale. Le premier à avoir mis de l’argent sur le compte de la fondation il y a dix ans, où il se trouve toujours, c’est Serge Dassault [sénateur de l’Essonne et chef d’entreprise].
Il y a urgence pour les communautés musulmanes à s’organiser et à se mettre d’accord sur cette gouvernance. C’est à elles de le faire. Je pense que des choses qui étaient inimaginables il y a dix ans paraissent évidentes dans le contexte actuel, pour des questions de sécurité et de cohésion de la société française. Ces musulmans sont avant tout des Français.
Julien Dray (PS), Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) ou François Bayrou (Modem) prônent l’instauration d’une « taxe halal » pour financer l’islam de France.
Légalement, il n’est pas possible d’instaurer une taxe sur une donnée religieuse [une « taxe halal » pourrait contrevenir au principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt. L’objectif de financement du culte musulman ne correspond pas à un objectif d’intérêt général permettant de justifier une différence de traitement entre produits halal et non halal]. Et techniquement, une « taxe halal » serait aussi impossible à mettre en œuvre, parce qu’il n’y a pas d’unité autour de la notion de halal.
Ce qui serait possible, c’est que les représentants du culte instaurent eux-mêmes une redevance privée pour services rendus au moment de l’abattage, qui serait fixée par la communauté, collectée et envoyée à la fondation.
Voyez-vous d’autres pistes pour améliorer le financement de l’islam de France ?
Il faut développer Tracfin, la cellule antiblanchiment rattachée au ministère des finances, même si elle fonctionne déjà. Si un versement anormal arrive sur le compte d’une association, quelle qu’elle soit, cela envoie immédiatement un signal. Vous ne pouvez pas recevoir 100 000 euros sans que Tracfin le sache.
Les communautés musulmanes pourraient aussi améliorer le contrôle de la « zakat » (l’aumône), en instaurant un guide de bonne conduite selon lequel l’argent devrait être versé directement aux associations homologuées. Pendant le mois de ramadan, une mosquée moyenne de banlieue parisienne peut récolter près d’un million d’euros.
Au-delà du financement, y a-t-il un problème de représentation de l’islam ?
La mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM) était une nécessité, il fallait un interlocuteur à l’Etat. Mais depuis des années, cet organe n’a jamais réussi à être représentatif. Si j’étais présidente du CFCM, j’ouvrirais un grand débat, je mettrais en place une assemblée constituante pour revoir les statuts, j’appellerais les jeunes et les membres d’associations qui peuvent se sentir exclus à participer aux travaux, je mettrais en place le principe un homme ou une femme égale un vote… Mais cela doit venir des musulmans eux-mêmes. Peut-être qu’un jour, de jeunes musulmans lanceront une pétition en ligne et créeront une grande association concurrente.