Mercredi 3 août se dérouleront en Afrique du Sud des élections municipales. À cette occasion, 26.3 millions de Sud-Africains sont attendus aux urnes, pour renouveler les mandats des maires et conseils municipaux des 278 villes du pays. Le scrutin sera un test pour le parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), du président Jacob Zuma, en difficulté depuis quelques mois. Quatre questions pour comprendre le scrutin.

1. Pourquoi l’ANC est en danger ?

Ce n’est qu’un scrutin « local », mais il s’inscrit dans un contexte où l’ANC est confrontée à deux difficultés majeures. D’une part, une crise interne, avec des tensions entre factions, qui ont été mises en veilleuse le temps du scrutin. Mais aussi une érosion de l’électorat traditionnel du parti au pouvoir. Ces deux facteurs conjugués vont-ils permettre à l’opposition de réaliser une percée en remportant certaines municipalités (en dehors de la région du Cap oriental, son bastion) ? Ce serait une première, si cela devait arriver, mais cela aurait surtout une valeur de test. Ce n’est pas un séisme qu’il faut attendre, mais un moment de vérité cruelle

Qui va-t-on élire ? Les représentants au niveau des municipalités, des agglomérations urbaines, et des plus petites unités administratives, les wards (secteurs). Ce sont des élus en lien direct avec la population, qui peut donc manifester son irritation vis-à-vis de l’ANC en choisissant dans ce cadre local d’élire des candidats d’opposition. La principale opposition est représentée par l’Alliance démocratique (DA), qui se situe vers le centre et insiste sur ses capacités de gestionnaire. Le parti d’opposition critique la corruption de l’ANC et de l’EFF (Combattants de la liberté économique), ce dernier étant bien plus radical puisque son programme inclut d’importantes vagues de nationalisations (notamment des banques et des mines), la saisie des terres des Blancs pour les redistribuer, etc.

Il est vraisemblable que ces deux partis, le DA et l’EFF, bien que diamétralement opposés, envisagent de cogérer des municipalités puisque aucun des deux, séparement, n’y obtiendrait de majorité. C’est une forme de « tout sauf ANC », qui a ses limites. Au sein du parti au pouvoir, on a tenté de faire taire les divisions le temps du scrutin. Le secrétaire général de l’ANC, Gwede Mantashe, a même déclaré lors d’un service dans une église de la région du Cap, que « Dieu a donné à l’ANC sa bénédiction pour diriger l’Afrique du Sud. »

Mais si les résultats sont mauvais, l’assaut contre Jacob Zuma reprendra. Certains de ses ennemis semblent déterminer à le faire tomber. Si l’ANC perd plusieurs municipalités, cela pourrait aider à ce petit coup d’état (légal) en interne « On en est arrivé au point où le pays est en pilote automatique », a déclaré dans une interview, malgré la trêve, Khalema Mothlante, ex-président par intérim du pays, « sage » respecté et éjecté du pouvoir par l’équipe Zuma.

2. L’opposition va-t-elle sortir transformée de ces élections ?

L’Alliance démocratique (DA) de Mmusi Maimane et les Combattants de la liberté économique (EFF) de Julius Malema se sont chauffés au parlement, ces derniers mois, où ils ont mené des attaques permanentes contre le président Zuma, en se focalisant sur les questions de corruption ou d’abus de pouvoir, comme dans le cas des travaux de sa résidence à Nkandla.

Ils espèrent à présent capitaliser sur ce travail de sape. Le DA, au passage, s’est donné un mal fou pour convaincre que son créneau économique de centre droit pouvait plaire à plus qu’une minorité de Noirs. Les Blancs, son électorat de base, ne représentant que moins de 10 % de l’électorat, il faut au parti briser ce schéma racial s’il veut sortir de sa niche. Le DA a progressé à chacun des derniers scrutins, mais va-t-il atteindre un plafond ? Cette élection servira de test aussi pour cette question.

À ce stade, on est très loin d’attendre un tsunami bleu (la couleur du DA) ou rouge (couleur de EFF) capable de l’emporter à l’échelle nationale - les prochaines élections étant prévues en 2019. En revanche, localement, des basculements importants sont possibles. À l’échelle du pays, le DA ne contrôle pour l’instant qu’une grande municipalité, Le Cap. Mais l’ANC est apparue en difficulté dans d’autres communautés urbaines : celle de Nelson Mandela Bay (autour de Port Elizabeth), surtout, mais aussi, dans une moindre mesure, celle de Tshwane (autour de Pretoria), et de Johannesburg.

Plus l’élection approche, plus l’avantage de l’opposition semble diminuer dans les sondages. Aucun des partis n’obtenant de majorité, des cohabitations vont devoir être organisées. Le DA a fait campagne sur le thème du « changement », qui est le mot exact qui présidait à l’immense transition du pays lors des premières élections démocratiques multiraciales de l’histoire du pays, en 1994, qui avaient porté Nelson Mandela au pouvoir. Il n’y a naturellement aucune commune mesure d’enjeux entre ces deux scrutins.

3. Est-ce que Nelson Mandela (décédé en 2013) a cessé d’inspirer le pays ?

Au contraire, on se dispute même pour savoir qui peut légitimement se draper dans l’évocation de sa pensée. Le mythe n’est pas mort, même s’il devient un peu flou. Le DA a utilisé un enregistrement de sa voix, et tenté de capter en somme son héritage, dans un spot publicitaire lors de la campagne. Cette tactique a suscité une émotion importante. Sans doute parce que cela signifie la tentative du DA de se défaire de son histoire originelle, celle d’un « parti de Blancs ». En somme, une tentative pour se déracialiser.

On a vu partout les militants du DA avec beaucoup de Noirs : c’est une référence à l’ANC multiraciale de Nelson Mandela, d’une certaine façon. Un héritage qui est néanmoins remis en cause par les responsables de l’ANC.

4. Faut-il redouter des violences ?

Il y avait eu avant les élections, en mai 2016, des débordements au sein même du Parlement.

Violente bagarre au Parlement en Afrique du Sud
Durée : 00:44

Le climat politique n’est pas serein, même s’il ne s’agit pas de violences directes entre partisans de partis différents, mais d’une expulsion musclée des députés de EFF. Toutefois, des violences politiques, une vingtaine de cas au total, incluant plusieurs tentatives d’assassinats, et un meurtre, ont pu être recensées au cours des six derniers mois. La plupart, cependant, semblent relever de rivalités entre candidats du parti au pouvoir. En dépit de quelques échauffourées sans gravité, notamment entre partisans de l’ANC et ceux de EFF, il n’y a pas eu d’événements graves. Une inquiétude demeure : pourrait-il y avoir des contestations de résultats au terme du scrutin ?

La chose s’est produite, de manière très circonscrite lors des élections nationales de 2014. Cette fois, les tensions pourraient être plus vives. L’ANC a déjà dénoncé des tentatives de « déstabilisation » du pays, ce qui semble très exagéré. Les dernières violences politiques, notamment, à Tshwane (Pretoria), ont été causées par des luttes internes au sein de l’ANC et le refus d’une partie de la population de se voir imposer par leur propre hiérarchie un candidat non désiré. Les autorités ont renforcé le dispositif policier, et même mobilisé des unités de l’armée pour être certain que soient maîtrisés les dérapages éventuels.

Affiches de l’ANC et de l’EFF dans les rues de Johannesburg, le 28 juillet 2016. | MUJAHID SAFODIEN / AFP