Djakarta s’offre le Petit Poucet du pétrole français Maurel & Prom
Djakarta s’offre le Petit Poucet du pétrole français Maurel & Prom
LE MONDE ECONOMIE
L’entreprise d’Etat Pertamina a annoncé lundi 1er août une OPA sur la compagnie bordelaise, en difficulté depuis plusieurs années.
Un dépôt de stockage de Pertamina, la compagnie pétrolière publique indonésienne, à Djakarta en 2010. | © Beawiharta Beawiharta / Reute / REUTERS
C’est sans doute la première OPA indonésienne à la Bourse de Paris. Pertamina, la compagnie pétrolière détenue par Djakarta, s’apprête à lancer une offre publique d’achat sur Maurel & Prom, une petite société française du même métier. Principal groupe indonésien tous secteurs confondus, Pertamina espère ainsi récupérer à bon prix quelques gisements intéressants, surtout en Afrique, alors que ses propres réserves déclinent. L’opération, annoncée lundi 1er août, valorise l’entreprise entre 797 millions et 892 millions d’euros, hors dettes.
Jean-François Hénin, son président, confie :
« Depuis quelques années, avec la crise, nous savions que Maurel et Prom n’avait pratiquement aucune chance de survivre comme acteur isolé. Quand Pertamina est venu me voir, j’ai donc choisi de vendre. Cela redonne un avenir à la société et à l’équipe. »
La transaction marque la fin d’une histoire vieille de plus de cent quatre-vingts ans, durant laquelle Maurel & Prom n’a cessé de déployer le drapeau français loin de l’Hexagone. Fondée en 1831 par deux marchands, Hilaire Maurel et Hubert Prom, la société est l’une des dernières survivantes des maisons de commerce bordelaises qui ont pris au XIXe siècle le relais de la traite négrière et développé tout un négoce avec l’Afrique. Longtemps, Maurel et Prom eut pour spécialité le commerce de l’arachide à partir du Sénégal. « L’entreprise a été l’un des leaders du négoce en Afrique de l’Ouest pendant presque un siècle et un acteur-clé de l’économie girondine, avant de s’effondrer dans les années 1960 », raconte l’historien Hubert Bonin.
Petite et agile
Elle ne disparaît pas pour autant. A la fin des années 1990, elle est reprise par Eaux et Electricité de Madagascar, la société de M. Hénin. A l’époque, ce dernier traîne une réputation sulfureuse, liée à son passage à la tête d’Altus, filiale du Crédit lyonnais. Le « Mozart de la finance » est considéré comme l’un des responsables des déboires de la banque.
Sous la houlette de M. Hénin, Maurel et Prom connaît une deuxième vie. Tablant avec succès sur une hausse des cours de l’or noir, le nouveau dirigeant transforme la vénérable société bordelaise en une « junior pétrolière », l’une de ces petites entreprises agiles, capables de découvrir et d’exploiter du pétrole là où les mastodontes sont trop lourds pour être efficaces. C’est le cas au Congo, avec le gisement de M’Boundi, que M. Hénin revend au bout de six ans à l’italien ENI pour 1,1 milliard d’euros. Puis, au Gabon, un pays qui assure aujourd’hui l’essentiel de sa production.
Des comptes dans le rouge
Mais l’aventure connaît assez vite ses limites. Dans le monde du pétrole, Maurel et Prom n’arrive pas à sortir de son statut de Petit Poucet. Alors que des dizaines d’entreprises du même type sont cotées à Londres, la Bourse de Paris n’apprécie guère cette société unique en son genre en France, et dont le sort se joue sur une poignée de gisements seulement. Des tentatives ont lieu pour coter l’affaire à la City ou la faire grossir par acquisition. Sans succès.
A partir de 2008-2009, la crise rend la situation de plus en plus délicate. « Pour une maison comme la nôtre, l’accès au crédit dans des conditions raisonnables a été coupé, nous privant presque de toute possibilité d’expansion », relate M. Hénin. Surtout, la chute des cours du pétrole plonge Maurel et Prom dans les difficultés. En 2015, les comptes basculent dans le rouge, avec une perte nette de 98 millions d’euros, l’équivalent de 35 % du chiffre d’affaires. La direction stoppe alors toutes les dépenses possibles, arrête l’exploration et le forage, pour se concentrer sur les gisements déjà exploités. « Un mouvement logique pour réduire les coûts, commente Baptiste Lebacq, analyste chez Natixis. Mais cesser d’investir dans le futur ne fait pas rêver. » En Bourse, l’action Maurel est tombée ainsi ces derniers mois à moins de 3 euros, alors qu’elle avait frôlé les 20 euros en 2006.
4,20 euros par action
Pour sortir de l’ornière, M. Hénin aurait rêvé d’un mariage avec une autre « junior ». Il n’y parvient pas. Quand Pertamina – avec qui il avait déjà mené des discussions au début des années 2010 – se présente de nouveau, le président de Maurel et Prom ne ferme pas la porte. A 72 ans, il préfère négocier le meilleur prix possible, tant pour les 24,5 % du capital qu’il détient personnellement que pour les parts des autres actionnaires.
A l’issue de ces pourparlers, le groupe indonésien accepte de verser 4,20 euros par action. Rien à voir avec ce qu’a valu l’entreprise il y a cinq ou dix ans. Mais c’est tout de même 47 % de plus que le dernier cours. Et si le baril remonte au-delà de 65 dollars pendant plus de trois mois en 2017, Pertamina paiera 0,50 euro de plus par action. « Pour les actionnaires, avec les difficultés qui s’annonçaient à court terme, c’est la meilleure solution », juge l’analyste Lionel Thérond, qui a suivi la valeur chez Standard Bank.
Ex-champion du commerce colonial, Maurel et Prom devrait ainsi intégrer dans quelques mois le giron de Pertamina, l’un des groupes nés, justement, de la décolonisation – la compagnie d’Etat a repris des gisements autrefois exploités par les Hollandais. Un joli retournement de l’histoire.