A Rio de Janeiro, le 4 août. | JEFF PACHOUD / AFP

Les cyniques diront que la scène avait toute sa place dans l’histoire du Brésil que doit conter la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, le 5 août. Les autres ne retiendront que provocation et mauvais goût.

Lors d’une répétition de la cérémonie au stade Maracana, ouverte à un public restreint, dimanche 31 juillet, les spectateurs, bien que soumis à des règles strictes de ­confidentialité, n’ont pu tenir leur langue en voyant la scène : le top-modèle brésilien ­Gisele Bündchen défile au son de la Garota de Ipanema, de Tom Jobim (« la fille d’Ipanema« , un quartier huppé de Rio), quand elle est soudain « agressée », racontera le quotidien Folha de Sao Paulo, par un garçon métis. La police intervient, la jolie blonde s’interpose. Peu importe que la scène se solde par une ­réconciliation, le symbole est là.

Les chorégraphes ont, dès la première ­demi-heure du spectacle, offert au monde entier la scène « typique » de la vie d’un ­Carioca. L’assalto (agression) d’une femme ­riche, forcément blonde, forcément belle, par un enfant, forcément pauvre, à la peau forcément colorée.

Le choc a occulté tout le reste. Le biplan ­14-bis de l’aviateur Santos-Dumont qui surgit dans le stade, suspendu à un câble ; le défilé des Indiens ; des colons portugais racontant l’histoire du Brésil, puis celle de Rio ; les défilés de plus d’une dizaine d’écoles de samba…

« Construction de la société »

La polémique enfle. Le cinéaste Fernando Meirelles (réalisateur de La Cité de Dieu), co­organisateur de la cérémonie, s’explique. Il ne s’agissait pas, dit-il, d’une agression mais d’un vendeur de bikinis qui abordait la jolie fille. Une version que corrobore Joan Royo Gual, journaliste espagnol, présent lors de la cérémonie. « C’est la police qui est accusée d’avoir des préjugés, considérant par erreur le petit comme un délinquant », dit-il. Conscient de la maladresse, le comité organisateur des JO a prévu de retirer la scène.

« S’il s’agit d’une simulation d’agression, c’est lamentable, soupire la sociologique Esther ­Solano, professeure à l’université fédérale de Sao Paulo. On reproduit les préjugés raciaux du Brésil comme s’il s’agissait de quelque chose de naturel, et non d’une pure construction de la société. S’il ne s’agit pas d’une agression mais d’une erreur de la police, le travers est aussi grand. »

Selon Mme Solano, cette scène quotidienne de Rio laisse penser que tout peut se terminer en happy end grâce aux explications d’une bourgeoise à la peau claire. Une adhésion implicite, poursuit-elle, à la thèse de la « démocratie raciale » au Brésil, la cohabitation harmonieuse des différentes ­« races » brésiliennes. Un mythe véhiculé par les travaux des sociologues du début du XXe siècle, menés par Gilberto Freyre, auxquels ont longtemps cru les Brésiliens.

La réalité est tout autre. Le racisme accompagné de terribles inégalités sociales est prégnant dans le pays. Et à la violence des gangs des favelas s’ajoute la violence policière. Amnesty International s’alarme de l’augmentation exponentielle des homicides commis par la police : 124 personnes tuées entre les mois d’avril et de juin, soit une hausse de 103 % par rapport à la même période en 2015. Selon Renata Neder, d’Amnesty, les Jeux ne feront qu’aggraver cette tendance en multipliant les opérations de police. Dans les favelas, les habitants ont, de fait, souvent plus peur de la police que des bandits.