Les critiques les plus virulentes viennent de là où on ne les attendait pas. La sortie le 28 juillet dans les salles égyptiennes du film Clash (Eshtebak, pour le titre arabe original) de Mohamed Diab a été certes précédée de pressions émanant des autorités et de tentatives de discrédit de la presse gouvernementale. Les jours qui ont suivi la sortie du film ont également été ponctués de critiques particulièrement cinglantes émanant de certains opposants au régime, insatisfaits par cette œuvre sur laquelle ils avaient projeté trop d’espoir. Clash n’est pas un film anodin. Pour la première fois, une des périodes les plus sensibles de l’histoire récente de l’Egypte se donne à voir sur grand écran.

Le chaos et le huis clos

Le Caire, 3 juillet 2013. Le président égyptien Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans élu démocratiquement un an auparavant, est renversé par l’armée au lendemain d’une manifestation massive contre la confrérie au pouvoir ayant débuté le 30 juin. Une autre révolution, après celle de 2011, aux yeux du régime actuel. Les jours qui suivent, les partisans du gouvernement déchu manifestent leur colère dans tout le pays exigeant le retour de leur président. Face à eux, la répression la plus féroce et sanglante sera la réponse principale de l’armée et de la police.

Ce chaos politique, cet antagonisme violent et parfois grotesque, Mohamed Diab ambitionne d’en rendre compte à travers un huis clos qui aboutit, pour l’essentiel, au « clash » le plus primaire entre partisans des Frères musulmans et leurs adversaires.

Arrêtés par la police pendant qu’ils manifestaient avant d’être entassés dans un fourgon minuscule, des hommes de tous âges et de tous tempéraments, une mère de famille infirmière, une toute jeune fille voilée et un journaliste américano-égyptien d’Associated Press se jaugent avant de passer aux querelles et aux menaces. Chahutée de temps à autre par des protestataires violents, la police joue là le rôle de régulateurs, ressemblant davantage à des fonctionnaires surmenés qu’à des oppresseurs sans scrupule.

Les vraies fausses pressions du gouvernement

« Après la révolution du 30 juin, les Frères musulmans ont provoqué des affrontements sanglants pour empêcher la transition pacifique du pouvoir ». L’Autorité nationale de la censure ne s’est certes pas embarrassée de nuance lorsqu’elle a imposé à Mohamed Diab d’inscrire ce message au tout début du film comme condition sine qua non à sa projection. A plusieurs reprises, le réalisateur a cru que son œuvre, qui a assuré l’ouverture d’Un Certain Regard au Festival de Cannes, ne serait jamais distribuée en Egypte à cause des menaces émanant de différents organes de l’appareil d’Etat.

Une partie de la presse gouvernementale s’en est également donnée à cœur joie, comme Amany Al-Khayat, présentatrice de l’émission Ana Misr (Je suis l’Egypte, en arabe). Déjà bien connue pour ses outrances, l’animatrice s’est fait de nouveau remarquer en diffusant un reportage accusant Mohamed Diab, qui a étudié le cinéma à New York, d’être un mercenaire à la solde de puissances étrangères qui veulent ternir l’image de l’Egypte. Un classique. Sur Internet, certains reprochent même au film de se livrer à une apologie du terrorisme dans la mesure où certains personnages incarnant des frères musulmans apparaîtraient trop sympathiques.

Critiques cinglantes de l’opposition

Du côté des contempteurs du régime, les avis sont tout aussi sévères, quoique moins grotesques. Le journaliste Ahmed Medhat a publié dans Masr Al Arabia un article condamnant ce qu’il qualifie de « mensonge ». Avec une ironie amère, Ahmed Medhat lance : « Tom Hanks [qui a félicité Mohamed Diab pour son film] ne sait pas que le film est un mensonge dans sa représentation des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants. La police ne les a pas seulement aspergés d’eau et tiré des gaz lacrymogènes en l’air. Les manifestations ont été matées à coups de munitions et de cartouches, et les gaz lacrymogènes n’ont pas été projetés en l’air mais tiré à l’horizontal ».

« Un officier a refusé de faire monter [une femme] dans le camion au début du film et lui a demandé poliment de quitter les lieux », s’amuse Sameh Farag sur le site Za2ed 18. « Un tel policier existe bien sûr, poursuit-il. Mais l’ériger en symbole s’apparente à une tentative évidente de laver l’image du régime ». Et de s’interroger sur le caractère révolutionnaire de ce film : « Qu’y a-t-il de révolutionnaire dans ce film qui livre un message superficiel digne d’un talk-show ? Qu’y a-t-il de révolutionnaire dans ce film qui demande à la victime et au criminel de se réconcilier en adressant une accusation à peine voilée au peuple. Lier ce film à la révolution avec tant d’insistance est une forme d’impudence ».

Eloges sur la forme, déception sur le fond

Des interrogations partagées par les spectateurs. A la sortie d’une séance diffusée par Cozmos, un cinéma du centre-ville du Caire, un jeune couple affiche une mine circonspecte. Rahma et Sherif ne cachent pas très longtemps leur déception. « Le film est parfaitement réussi sur le plan de la réalisation et de l’interprétation, concède Sherif. Ce film était important pour nous car c’est le premier à revenir sur cette période que l’on a vécue. Mais j’ai l’impression qu’il est passé à côté de son histoire ». Visiblement d’accord, Rahma réprime un petit rire à l’évocation du succès d’estime international du film : « Nous, Egyptiens, savons que les événements ne se sont pas tout à fait déroulés de cette manière. Il est clair que la police est bien pire que ce que nous venons de voir à l’écran, surtout à cette période. Je les ai vus à l’œuvre de mes propres yeux ».

Sans attente particulière avant le visionnage du film, Ahmed sort du cinéma avec l’air de celui qui vient d’accomplir une formalité nécessaire : « Je suis finalement assez surpris par tout le bruit qu’il y a eu autour du film, confie-t-il tranquillement. C’est un film sans problème qui est finalement sorti. Le plus gênant, c’est la phrase inscrite au début du film. Elle m’a mis mal à l’aise et je l’ai gardée à l’esprit tout au long. C’est très difficile de réussir un film qui commence de cette manière ».