Groupe d’athlètes s’entraînant à Iten, dans la vallée du Rift au Kenya, en janvier 2016. | SIMON MAINA / AFP

C’est un nouveau coup porté à la crédibilité de l’athlétisme kényan, premier au tableau des médailles lors des derniers championnats du monde de Pékin : le directeur de la délégation aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro a été filmé, en caméra cachée, se vantant de pouvoir prévenir les athlètes de contrôles supposément inopinés.

Cette pratique, qui ôte toute efficacité à la lutte contre le dopage, était couramment employée en Russie, comme l’ont montré les enquêtes des mêmes journalistes de la chaîne allemande ARD et de l’hebdomadaire britannique Sunday Times. Les scandales russes ont permis jusqu’ici à l’athlétisme kényan de passer sous les radars, mais de récentes investigations journalistiques ont démontré la facilité qu’éprouvaient les sportifs des hauts plateaux à se doper sans être contrôlé de manière rigoureuse.

Le Kenya, dont plusieurs ­dizaines d’athlètes ont été contrôlés ­positif ces derniers mois, a été déclaré « non conforme au code mondial antidopage », le 12 mai.

Dans le court reportage diffusé par ARD dans la nuit du samedi 6 août au dimanche 7 août, prolongé par un article du Sunday Times, le futur directeur de la délégation d’athlètes kényans, Michael Rotich, est filmé avachi dans le canapé d’un bar luxueux.

Le journaliste se fait passer pour l’entraîneur d’athlètes européens s’entraînant dans la région d’Iten, qui souhaiteraient être prévenus d’éventuels contrôles inopinés. Michael Rotich indique que cela est possible, même si les inspecteurs antidopage qu’il connaît sont un couple de Britannique.

« - Ils ont une liste, où il est écrit qui ils vont contrôler.

- Ils peuvent vous le dire ?

- Oh oui ! », répond Rotich.

Le couple britannique – qui n’a pas répondu – pourrait facilement annoncer les contrôles au moins 12 heures avant, afin que les sportifs puissent faire disparaître la substance dopante de leurs corps. Les journalistes ne précisent pas pour qui travaille ce couple britannique, dont la culpabilité n’est pas attestée, mais la quasi-totalité des contrôles pratiqués au Kenya sont dirigés par l’Agence mondiale antidopage et la fédération internationale d’athlétisme.

Pour jouer les intermédiaires quelques mois, Michael Rotich réclame 10 000 livres. Après avoir visionné la caméra cachée, il a affirmé aux journalistes qu’il se vantait afin de mettre son interlocuteur en confiance. Avant de rapporter ces éléments à la fédération nationale d’athlétisme. Plusieurs semaines plus tard, pourtant, ceux-ci n’étaient pas revenus aux différentes fédérations et comités olympiques.

« Tu cours contre des mecs sans savoir s’ils sont dopés ou pas »

« Ce sont des accusations très graves et nous ne pouvons pas travailler avec ce genre de personnes. Nous ne pouvons mettre la poussière sur le tapis », a réagi Evans Bosire, porte-parole de la fédération kényane d’athlétisme.

Ces accusations ne surprendront toutefois personne. Ni Kyle Barber, membre depuis 2012 du département antidopage de l’IAAF (fédération internationale d’athlétisme), qui déclarait devant les enquêteurs français dans le scandale de corruption touchant l’institution : « Pour différents cas (en Afrique), on est plus ou moins sûrs qu’il y a eu des preuves qu’on a fait disparaître. »

Pas plus que le seul adversaire des Kényans sur le 3 000 m steeple, le Français Mahiedine Mekhissi, qui faisait part au Monde en juillet de sa colère contre le système mondial antidopage :

« Ce sont les meilleurs coureurs de la planète, il faut les contrôler. Nous ne sommes pas à armes égales. Tu cours contre des mecs sans savoir s’ils sont dopés ou pas. Je ne dis pas qu’ils se dopent mais ce n’est pas normal qu’ils ne soient pas contrôlés. Je dois dire où je suis tout le temps, pourquoi eux ne le feraient pas ? »