Le long périple de deux lamantins invités à repeupler la Guadeloupe
Le long périple de deux lamantins invités à repeupler la Guadeloupe
Par Martine Valo
Le zoo de Singapour a donné à la France deux mâles dans le cadre d’un programme de conservation de ces mamifères marins disparus de Guadeloupe au début du XXe siècle.
Les lamantins peuvent mesurer jusqu'à 4 mètres de long et peser environ 600 kg. | Ramos Keith, U.S. Fish and Wildlife Service / Wikimedia commons
Ils sont arrivés bien avant l’aube, mardi 9 août. Nul ne sait ce que Junior et Kai ont pensé de leurs trente-quatre heures de voyage à bord d’un avion-cargo, sur un vol commercial en provenance de Singapour, mais il est sûr que ces deux lamantins étaient attendus avec impatience en Guadeloupe. Voilà des années que l’archipel antillais espère accueillir quelques-uns de leurs congénères.
Agés de 6 et 7 ans, ces deux mâles d’au moins 400 kilos chacun sont nés au zoo de Singapour. L’établissement, qui n’en est pas à son premier don pour la conservation d’animaux dans le monde, les a cédés au Parc national de la Guadeloupe, car celui-ci espère voir, à terme, ces grosses bêtes placides repeupler les rivages de l’archipel.
Junior et Kai sont censés jouer leur rôle de reproducteur lorsque dix femelles et deux mâles les auront rejoints dans le tout nouveau centre d’élevage de Blachon, créé à leur intention dans la commune bien nommée de Lamentin.
Une espèce classée vulnérable
Le lamantin des Caraïbes (Trichechus manatus manatus) occupe une grande place dans la culture guadeloupéenne. Il apparaît dans de nombreuses légendes créoles sous le nom de Manman Dlo-la. Mais il a disparu de ces eaux au début du XXe siècle, victime de la convoitise des chasseurs.
L’idée de réintroduire ce mamifère marin herbivore de l’ordre des siréniens date des années 1990, et les premières recherches ont débuté dans les années 2000. Le projet a évolué au fil du temps : il avait d’abord été envisagé de faire venir des animaux sauvages.
Ses promoteurs ont connu quelques déboires aussi, en particulier lorsque le Brésil, officiellement d’accord pour confier à la Guadeloupe cinq des cinq cents à mille spécimens que les naturalistes suivent régulièrement le long de leurs côtes, s’est rétracté au dernier moment, en 2015. Brasilia a avancé des raisons techniques sans plus de détail. Plusieurs pays ont été sollicités avec constance : Colombie, Guyana, Mexique, Venezuela sans succès jusqu’à présent. Chacun espérant que le voisin se lance en premier.
Les lamantins sont un animal tropical que l’on trouve d’une rive à l’autre de l’Atlantique, des côtes de l’Afrique de l’Ouest à l’ Amazonie, tandis que leurs cousins dugongs fréquentent l’océan Indien et le Pacifique. Mais la pollution, les collisions avec les bateaux et les jet-skis, la destruction des mangroves et le braconnage menacent directement les siréniens, classés comme vulnérables dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Sur les côtes la Floride, il a tendance à à se rétablir grâce à des programmes de protection: les scientifiques en ont recensé 6 250 en 2016. Mais la génétique de la sous-espèce américaine ne correspond pas à celle des Antilles. Alors, pour obtenir enfin quelques spécimens, l’équipe du parc de Guadeloupe s’est rapprochée du réseau international des zoos par l’intermédiaire de ceux de Vincennes et de Beauval.
Relâchés dans le Grand Cul-de-Sac marin
« Comme c’est un dossier qui touche à la biodiversité, je savais donc que ce serait compliqué, que cela prendrait du temps et que nos voisins feraient preuve de prudence », confie Ferdy Louisy, président du parc national de Guadeloupe et maire (PS) de Goyave. « Je me suis beaucoup investi depuis une dizaine d’années, j’ai eu le temps de connaître deux directeurs à la tête du parc ; pour ma part, j’ai toujours gardé mon désir d’aboutir », assure-t-il.
L’élu, qui est aussi président de l’Etablissement public des parcs nationaux – ils sont une dizaine sur l’ensemble du territoire –, a obtenu en 2014 des fonds de la Commission européenne dans le cadre du programme Life consacré à la biodiversité, ainsi que de la part d’autres financeurs publics et de mécènes, soit 5 millions d’euros au total sur cinq ans. M. Louisy balaie d’un revers de la main les arguments des défenseurs de la nature qui verraient volontiers cette manne partagée avec d’autres emblèmes de la faune locale.
« Cette opération de conservation permet de dynamiser l’éducation à l’environnement dans la région, il ne s’agit pas de millions juste pour des lamantins, avance-t-il. A terme, ces derniers devraient faire travailler une équipe de sept personnes, avec des gardiens du parc, des agents d’entretien… Nous avons recruté des soigneurs que nous avons envoyés se former aux Etats-Unis, deux vétérinaires… et nous avons signé une convention avec les pêcheurs qui pourront à l’avenir emmener les touristes observer les animaux. Et nous allons lancer un programme de coopération avec la Guyane qui connaît mal sa propre population de lamantins.»
D’ici là, le centre d’élevage se donne cinq ans pour parvenir à faire naître suffisamment de petits lamantins, dont la gestation prend tout de même douze moi, puis deux ans supplémentaires avant de lâcher quelques jeunes adultes dans le Grand Cul-de-Sac marin, dont la quallité de l’eau a soigneusement été contrôlée. « Nous espérons bien que le lamantin deviendra une mascotte et un outil de promotion pour la Guadeloupe », conclut le président du parc.
Junior et Kai vont être gardés trois semaines en quarantaine, le temps de s’acclimater. Ils doivent néanmoins être présentés aux autorités guadeloupéennes jeudi 11 août, avec un cérémonial donc, mais en petit comité pour ne pas les perturber.