Nouvelles révélations autour de la Dépakine
Nouvelles révélations autour de la Dépakine
Par Emeline Cazi, Juliette Garnier
Des milliers de femmes enceintes ont pris de 2007 à 2014 cet anti-épileptique à l’origine de malformations chez les enfants, selon « Le Canard enchaîné ».
A la maternité de l’hôpital d’Argenteuil, dans le Val-d’Oise, le 22 juillet 2013. | FRED DUFOUR / AFP
Les chiffres révélés par Le Canard enchaîné, mercredi 10 août, sur le nombre de femmes qui ont consommé de la Dépakine – un anti-épileptique du laboratoire Sanofi – pendant leur grossesse donnent le vertige. Selon l’hebdomadaire satirique, qui s’appuie sur une étude menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAMTS), près de 10 000 femmes enceintes ont pris du valproate de sodium entre 2007 et 2014.
Ce chiffre n’a pas été confirmé par le ministère de la santé. Les services de Marisol Touraine ont toutefois précisé que le premier volet de l’étude serait présenté le 24 août à l’association des victimes de ce médicament, l’Apesac (Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant).
Lorsque l’on connaît le pourcentage de malformations (10 % des naissances touchées) et de troubles du développement chez les enfants (chez entre 30 et 40 % d’entre eux) qui seraient liés à la prise de ce médicament commercialisé depuis 1967, ces révélations sont alarmantes. Les enfants victimes des effets secondaires de cet antiépileptique pourraient se compter par centaines, voire par milliers.
Des risques connus depuis longtemps
Les risques liés à la prise de ce médicament par les femmes enceintes sont pourtant connus depuis longtemps. Les malformations congénitales ont commencé à être détectées dans les années 1980. L’impact sur le développement a été repéré, lui, plus tardivement, au détour des années 2000.
Sanofi assure avoir alerté les autorités en 2003 pour demander une modification de la notice d’information aux médecins (c’est-à-dire via la publication dans le Vidal) et aux malades (via le mode d’emploi). Mais il faudra attendre trois ans pour que cette notice – précisant que la prise de valproate de sodium est incompatible avec une grossesse – soit modifiée, explique au Monde un haut cadre de l’ANSM.
Que s’est-il passé entre 2003 et 2006 ? « Pendant trois ans, ni les autorités, ni Sanofi n’ont pris la mesure de la gravité de la situation. Qui a manqué de réactivité ? C’est la question », poursuit ce cadre. Le fabricant se défend, lui, de tout retard. « La doctrine des autorités de Santé était de ne pas trop alarmer les femmes, compte tenu du risque mortel encouru à ne pas prendre le dit médicament contre l’épilepsie », avance une porte-parole de Sanofi.
Réponses incomplètes
Dans son rapport publié en février dernier sur le sujet, après une enquête de six mois, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), a clairement mentionné un retard d’information des patientes et dénoncé le « manque de réactivité » des autorités sanitaires et du laboratoire Sanofi sur le sujet. Selon elle, la Dépakine serait responsable de 450 cas de malformations.
Quelles données avaient les patientes sur les risques liés à la prise de ce médicament, quand ont-elles été informées ? Les médecins l’étaient-ils également ? Dans quel degré d’urgence les décisions ont-elles été prises ? Les réponses à ces questions sont pour le moment encore incomplètes.
« Si le RCP [résumé des caractéristiques du produit] actuel de l’acide valproïque mentionne d’ores et déjà qu’il ne doit être utilisé qu’en dernière intention chez la femme enceinte et les femmes en âge de procréer, (…) le niveau de connaissance des prescripteurs est très certainement insuffisant, relevait toutefois le 11 mars 2014, le groupe de travail « reproduction, grossesse et allaitement » de l’ANSM.
Selon les experts, qui avaient listé les effets tératogènes (c’est-à-dire qui produisent des malformations) du produit chez le nouveau-né, les troubles du développement chez l’enfant, avaient rappelé que même faible dose, il n’était pas possible de prouver l’innocuité du produit et insistaient sur « la nécessité de la réévaluation du rapport bénéfice risque », il apparaissait « essentiel que des mesures supplémentaires de minimisation du risque soient prises, afin d’aboutir à un réel changement des pratiques ».
Plainte pour « tromperie aggravée »
Un an plus tard, le 26 mai 2015, l’ANSM annonçait officiellement que la Dépakine et ses génériques ne pouvaient plus être prescrits aux femmes en âge d’avoir des enfants, « sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuses ». Dans ces rares cas où le médicament serait prescrit, les neurologues, psychiatres et pédiatres, seuls habilités à le faire désormais, devraient obtenir l’accord écrit de la patiente certifiant qu’elle avait été informée de la nécessité de prendre une contraception.
De leur côté, les familles d’enfants nés sous Dépakine se constituaient en association, l’Apesac. En 2011, une poignée de parents a décidé de saisir la justice. Une quinzaine d’expertises sont en cours dans le cadre de procédures au civil, précise leur avocat Me Charles Joseph-Oudin. Certaines, terminées, ont démontré le lien de causalité entre la prise du médicament et les malformations et les retards du développement chez les enfants.
En 2015, quatre familles ont par ailleurs déposé une plainte contre x pour « tromperie aggravée » et « blessures involontaires ». L’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris de ces mêmes chefs et confiée aux gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), spécialistes des affaires sanitaires, est toujours en cours. De nombreux actes doivent être encore réalisés. Me Joseph-Oudin, sollicité par de nombreuses autres familles, n’exclut pas de déposer de nouvelles plaintes à la rentrée.
D’ici là, le ministère de la santé leur aura communiqué officiellement les données de la nouvelle étude. Ils en sauront peut-être aussi davantage sur les modalités du fonds d’indemnisation qui leur a été promis. Deux magistrats ont également été missionnés au printemps dernier. L’ANSM rappelle au Monde l’importance de patienter jusqu’à la publication du rapport définitif, fin août, pour que « l’évaluation du nombre de victimes soit rigoureuse ». La version remise au ministère de la santé n’est pas « conclusive », insiste un représentant de l’Agence.