L’interface « habitat-forêt », une zone à risque pour les incendies
L’interface « habitat-forêt », une zone à risque pour les incendies
Par Rémi Barroux
A Aix-en-Provence, l’Irstea étudie la propagation des feux de forêt aux zones d’habitat. En cause, les haies et de nombreuses plantes ornementales très inflammables.
Zone urbanisée en pleine pinède, à Cavalaire, dans le Var. | IRSTEA
Anne Ganteaume aime bien les vignes, ces parcelles qui, au cœur de la végétation méditerranéenne, ouvrent des espaces dégagés, offrant des coupe-feu utiles contre les incendies. Par contre, la chargée de recherche sur le risque incendies à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) ne goûte guère les « interfaces habitat-forêt », ces zones où la proximité de la végétation permet aux flammes de pénétrer dans les quartiers résidentiels ou de s’approcher des maisons isolées.
Avec une quinzaine de collègues, sur la centaine de salariés qui travaillent au centre Irstea d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Anne Ganteaume travaille sur ces interfaces qui sont définies par l’espace inscrit dans un rayon de cent mètres autour des bâtis résidentiels. Là où débute un grand nombre de feux dus aux négligences, aux travaux domestiques. Selon l’Irstea, « 92 % des feux de cause connue, en région méditerranéenne française, sont dus à des actions humaines (53 % par négligence, 39 % par malveillance, ces proportions variant d’un département à l’autre) ».
L’étude de ces interfaces est d’autant plus nécessaire que 2016 s’annonce comme une année à risque pour les incendies. Selon la base de données Prométhée (qui surveille quinze départements de l’arc méditerranéen), mise en place par la préfecture de la Zone de défense et de sécurité Sud, entre le 1er janvier et le 11 août 2016, 4 762 incendies ont été comptabilisés, dont 1 101 feux de forêts – le reste étant recensé comme « Aferpu » (autres feux espace rural et périurbain). Sur l’ensemble de l’année 2015, 7 702 incendies avaient été décomptés, dont 1 772 feux de forêts. Mais ce qui inquiète le plus Anne Ganteaume, c’est la surface consommée par ces incendies : déjà 4 078 hectares de forêt, soit plus que pour l’ensemble de l’année 2015, 3 052 ha, sans compter les 3 300 ha brûlés près de Marseille mercredi 10 août et alors que l’été est loin d’être terminé.
Plus de biomasse végétale disponible
La grande référence pour les incendies, en France comme en Europe, c’est 2003. Tout l’arc méditerranéen avait flambé : l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce. Et la France, qui a connu, cette année-là, 11 418 incendies, dont 3 490 feux de forêt, qui avaient consommé 61 424 hectares de végétation. « Depuis cette année 2003, il n’y a pas eu d’incendie catastrophique et on a perdu une certaine culture du feu », estime Mme Ganteaume. « Depuis vingt ans, on a perdu des surfaces agricoles et la forêt est plus dense, résultat, il y a plus de biomasse végétale disponible », ajoute-t-elle. Sans oublier le réchauffement climatique qui se traduit par des sécheresses plus intenses et plus fréquentes.
Depuis dix ans, l’Irstea s’est penché sur la thématique des interfaces urbanisme-forêt. « On avait de plus en plus de retours des pompiers qui nous expliquaient que les haies et la végétation brûlaient facilement autour des maisons, les menaçant directement », raconte Mme Ganteaume. Plantées pour protéger l’intimité des habitants, pour décorer ou encore couper du vent, les haies se révèlent être des propagateurs de feux. Assurant une continuité végétale entre un quartier résidentiel et la forêt voisine, la haie permet les échanges entre espèces, d’assurer gîte et couvert à de nombreux petits animaux mais, explique l’Irstea, elle « peut facilement propager un incendie sur plusieurs centaines de mètres à l’intérieur d’un lotissement pourtant éloigné du front de flamme ».
Une brochure commandée en 2012 par le conseil général du Gard, avec le concours notamment de l’Office national des forêts (ONF) et de partenaires espagnols et portugais, avait déjà recensé « la sensibilité des haies face aux incendies de forêt sous climat méditerranéen ». En implantant des haies denses de thuya ou de cyprès dans les lotissements, on a créé « de fortes turbulences qui peuvent aggraver la situation autour de l’habitation en cas d’incendie de forêt », écrivent les auteurs de la brochure. « Sans compter que ces espèces acidifient durablement le sol et empêcheront le développement d’autres espèces moins sensibles au feu. » La moitié des dix-sept plantes ornementales étudiées y était caractérisée comme présentant une sensibilité au feu forte ou très forte.
Cartographie des risques
L’Irstea étudie aussi les différents types de végétation, leur inflammabilité et leur combustibilité, c’est-à-dire la quantité de végétaux dans une plante disponible pour brûler. Dans son laboratoire, ce 26 juillet, les essais se font sur le laurier-amande. Les techniciens présents, Mathieu Audouard, Christian Travaglini et Fabien Generra, ont rassemblé plusieurs feuilles. Il faut mesurer le délai d’ignition, le temps que mettra le végétal à s’embraser. Un brandon est allumé et projeté sur la feuille, « comme une saute de feu » explique Mme Ganteaume. Les tests, enregistrés sur ordinateurs, se font sur trente échantillons de la même espèce et du même âge. Tout est calculé, l’apparition de la flamme, sa disparition, la durée du feu.
Etude de l'inflammabilité de végétaux. | Irstea
Un peu plus tard, les expériences sont menées sur la propagation du feu de la litière (les feuilles, humus et débris se trouvant sous les haies) aux végétaux. Sont alors chronométrés les délais d’ignition de la litière, puis celui, éventuel, de la branche attachée trois centimètres au-dessus. On mesure la hauteur et la durée de la flamme, sans oublier de prendre en compte le vent – un petit sèche-cheveux remplaçant le mistral fréquent dans la région.
L’Irstea cartographie aussi le risque, un outil précieux pour déterminer les plans locaux d’urbanisme (PLU) et définir les plans de prévention du risque incendie de forêt (PPRIF), explique Christophe Bouillon, ingénieur spécialisé sur les risques incendie et les politiques publiques. Quatre catégories de bâtis sont distinguées : habitat isolé (une habitation par hectare), habitat diffus, habitat groupé dense et habitat très dense (plus de trois bâtis par ha). Ces éléments sont alors croisés avec des données sur la structure végétale : pas de végétation, végétation éparse et végétation dense.
Soit, au total, douze scénarios qui permettent « de comprendre la vulnérabilité des zones et d’affiner la notion de zone à défendre », avance M. Bouillon. Ces régions méditerranéennes à risque se caractérisent en effet par l’importance du combustible disponible et un nombre élevé d’habitats. « Il y a aussi souvent beaucoup de touristes, une circulation difficile, peu d’axes, et si on a affaire à un gros feu, la zone devient difficile à évacuer », constate l’ingénieur de l’Irstea.
Un logiciel a été développé proposant cette méthodologie de cartographie des interfaces habitat-forêt, utilisé notamment par les services départementaux d’incendie et de secours. Une version européenne a été finalisée en 2014 (Rural-Urban Interfaces map, RUImap), avec une précision de 100 mètres – la version locale française est précise à 2,5 mètres près.