Catherine Martin, costumière de la série « The Get Down ». | Jules Tahan

Quel est le profil des personnages que vous avez habillés ?

La série suit un groupe d’adolescents issus de milieux populaires. Il y a Shaolin Fantastic, un enfant des rues qui court plus vite que son ombre, Ezekiel Figuero, dont la mère a disparu, Mylene Cruz, une gamine latino élevée dans une famille ultrareligieuse, et qui rêve de devenir une star du disco. Ces mômes ont peu de vêtements, et sûrement pas des fringues de marques, à l’exception peut-être d’une paire de baskets. On peut imaginer qu’ils ont une tenue plus chic pour la messe du dimanche. Le reste de leur garde-robe est très « DIY » (« do-it-yourself »).

La bande annonce de « The Get Down »

The Get Down | Main Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:27

C’est le système D qui règne : ils achètent toujours leurs vêtements dans deux couleurs, pour pouvoir assortir leurs tennis à leur tee-shirt et à leur casquette. La personnalisation est primordiale : leur veste en jean, ils la peignent à la main (une pratique héritée de la culture graffiti naissante) ; leur manteau, ils le décorent avec des boutons volés à leur mère. Ils détournent la culture du rafistolage et se la réapproprient.

Quelles étaient les règles du chic dans le Bronx des années 1970 ?

Il fallait montrer qu’on avait fait un effort. Prouver qu’on appartenait à un groupe à l’identité visuelle marquée. La mode avait un pouvoir transcendantal dans ces milieux, on disait : « Dress like a star. Be a star » (« Habille-toi comme une star. Sois une star »). Pour convaincre les autres qu’on était riche, on portait des vêtements dits « fresh », comme une paire de baskets blanches étincelantes, tout juste sortie de sa boîte. Ce culte de la chaussure impeccable pouvait aller très loin : certains jeunes se rendaient en boîte de nuit avec des sacs en plastique autour de leurs chaussures, pour ne pas les salir pendant le trajet en métro. D’autres se promenaient avec une brosse à dents dans la poche pour nettoyer la moindre tache.

Fin 1970, les jeunes du Bronx se fabriquaient un style avec ce qu’ils trouvaient, costumisaient leur veste en jean, la peignaient à la main… | Netflix

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Quelles recherches avez-vous menées pour ce projet ?

Cela fait presque dix ans que je travaille sur cette série. J’ai commencé par lire l’autobiographie de Grandmaster Flash, virtuose du scratch et pionnier du hip-hop, avec qui j’ai passé beaucoup de temps. J’ai aussi rencontré le DJ Afrika Bambaataa et l’auteur spécialiste du R’n’B Nelson George – des témoins de l’époque. Et j’ai étudié des photographies prises par des adolescents du Bronx dans le cadre d’un projet mené par la ville, pour canaliser leur énergie et éviter qu’ils ne traînent dans la rue.

De quelle façon l’émergence du hip-hop a-t-elle fait évoluer la mode ?

Baskets immaculées, coupes afro… Un look pour affirmer l’appartenance à un groupe. | Netflix

Au début des années 1980, le sportswear 70’s est resté, car c’était le miroir du succès des sportifs afro-américains, les seules icônes noires de l’époque. Les coupes ont néanmoins changé, pour devenir XXL. L’extralarge renvoyait directement à une esthétique carcérale – avec le trafic de crack, les cellules étaient pleines à ras bord. En prison, les ceintures étaient confisquées, de peur que les prisonniers ne se pendent. Les uniformes, trop grands, tombaient sous les fesses. Pour montrer qu’ils avaient de bonnes connexions à l’extérieur, les détenus laissaient apparaître un caleçon en soie. C’était une façon de dire qu’ils étaient traités comme des rois, même derrière les barreaux. Cela avait une incidence sur leur place dans la hiérarchie de la prison. On les craignait davantage. Cette nouvelle codification du luxe a vite été adoptée par la rue – et par les jeunes héros de la série.

Pour  créer l’univers et les codes stylistiques des jeunes héros de la série « The Get Down », la costumière Catherine Martin a rencontré des témoins de l’époque. | Netflix