Le compte personnel de formation se déploie timidement
Le compte personnel de formation se déploie timidement
Par Gaëlle Picut
A ce jour, seuls 3,3 millions de comptes ont été activés pour plus de 16 millions de salariés. Les entreprises ont rarement fait la pédagogie nécessaire au succès du dispositif. Et les formations éligibles restent difficiles à identifier.
TO GO WITH AFP STORY BY CONSTANCE DE CAMBIAIRE Students work on computers at the 42 school campus in Paris on November 24, 2014. Known simply as 42, the private computer programming school was created by French entrepreneur Xavier Niel, who hopes to "train the Bill Gates of the future". AFP PHOTO/MARTIN BUREAU / AFP / MARTIN BUREAU | MARTIN BUREAU / AFP
Successeur du DIF (droit individuel à la formation) depuis le 1er janvier 2015, le CPF (compte personnel de formation) commence à être davantage utilisé par les salariés, après des débuts poussifs. La complexité du dispositif demeure.
Selon le dernier bilan publié par le gouvernement, 3,3 millions de Français ont activé leur compte au 1er août 2016 (pour rappel, il y a plus de 16 millions de salariés dans le privé). Mais seul le financement de 470 000 formations a été validé.
Le compte personnel de formation peut être ouvert dès l’âge de 16 ans et suit la personne en cas de changement d’employeur ou de perte d’emploi. Un site dédié a été créé (www.moncompteformation.gouv.fr). Le compte est crédité chaque année, à hauteur de 150 heures maximum sur 9 ans. Au-delà, des abondements peuvent être effectués par l’employeur, le salarié, Pôle emploi ou encore les conseils régionaux. Il permet d’accéder à des formations certifiantes ou qualifiantes, visant à acquérir des compétences attestées en lien avec les besoins de l’économie.
Les formations les plus demandées
Son objectif est d’inciter les salariés à prendre en main leur formation et à progresser professionnellement. Dans la même optique, la réforme de la formation mettait l’accent sur un entretien professionnel obligatoire tous les deux ans durant lequel le salarié évoquerait ses envies de formation. Mais dans les faits, tous les salariés n’en ont pas encore eu un.
Les formations « CPF » les plus demandées sont les suivantes : le CléA (socle de connaissances et compétences de base en français et en mathématiques), les tests d’anglais (TOEIC et BULATS), les stages de préparation à l’installation (SPI) destinés aux futurs artisans, l’accompagnement à la VAE et le diplôme d’aide-soignant.
Le dispositif est encore loin d’être optimisé. Selon le dernier baromètre Cegos de la formation professionnelle paru en mai, seuls 23% des salariés interrogés pensent que le CPF contribuera « très certainement » au maintien de l’employabilité des salariés les plus fragiles dans leur entreprise et qu’il sera un levier de qualification des salariés (versus respectivement 37 % et 42 % des DRH-Responsable de formation). « La réforme ne semble donc toujours pas avoir trouvé ses publics prioritaires » analysait Mathilde Bourdat, experte Cegos du management de la formation, lors de la présentation du baromètre.
L’ensemble des acteurs, et en premier lieu l’entreprise, doit encore faire un travail conséquent de pédagogie. D’ailleurs, la première source d’information des salariés sur le CPF reste les médias (77%), très loin devant l’entreprise elle-même !
Le principal reproche concerne les difficultés à identifier les formations éligibles « CPF » sur des listes contraintes et leur nombre relativement faible. Régis Stéphant travaille dans le référencement web et webmarketing au sein d’une PME. « Auparavant, j’avais accès à beaucoup de formations par le DIF concernant mon métier, de tous les niveaux, prix et qualités. Aujourd’hui, je n’ai accès à aucune formation CPF » regrette-t-il.
La complexité de prise en main
Mathieu Marquer, responsable de compte dans le secteur des télécommunications, fait état d’un maquis d’informations indémêlables : « Le portail CPF est une accumulation de milliers de formations, parmi lesquelles la navigation est assez peu aisée. Si je réduis la recherche aux formations qui correspondent à ma situation selon le portail, j’arrive à... 787 formations. Chaque formation possède une fiche descriptive, parfois fournie, parfois très sommaire. Mais aucune ne semble indiquer la durée ou le(s) lieu(x) de formation. Si je sélectionne une formation dans le catalogue, c’est à moi de renseigner toutes ces informations, mais aussi les dates ou le nom de l’organisme de formation, qu’il semble donc que je doive rechercher encore ailleurs ! Parmi mes collègues, je ne connais personne qui ait suivi une formation sur le compte du CPF pour l’instant. On a vraiment l’impression d’être lâché dans le bain, presque sans explication » explique-t-il.
La complexité de prise en main dissuade un grand nombre de salariés (créer son compte, saisir son reliquat d’heures de DIF, identifier une formation-certification, trouver un organisme, identifier l’OPCA auquel doit être adressé la demande financière, tenir compte des plafonds dans le choix de la formation…). « Pour le salarié lambda, je doute déjà qu’il se connecte à son compte en ligne. La fracture numérique existe encore souvent » analyse Régis Stéphant. « Le fonctionnement du site internet, cœur du dispositif, rend pour moi son utilisation très difficile sans l’assistance d’un professionnel, à moins d’être extrêmement motivé » renchérit Mathieu Marquer.
Aymeric Vincent, DRH dans le secteur de l’édition, a ainsi réussi à se faire financer une formation de 40 heures en langue étrangère en passant par son OPCA (Afdas) et qui aboutira au passage du test d’anglais business BULATS. « Selon moi, la réelle difficulté est de trouver sa formation éligible CPF, reconnaît-il. Ensuite le processus est relativement facile. Sinon on peut se faire aider par les OPCA, les équipes RH (si ce n’est pas confidentiel) ou par un collègue. »
Savoir solliciter son OPCA
Tous s’accordent à dire que si l’on veut se former et si l’on est motivé, on peut trouver des moyens de le faire, mais il faut déjà avoir une bonne connaissance des dispositifs (CPF, CIF, période de professionnalisation, sans oublier bien sûr le plan de formation mis en place par les entreprises…), savoir utiliser et mobiliser ses réseaux, ne pas hésiter à solliciter son OPCA ou son responsable RH.
Benoît Lacoste, ingénieur dans une PME bordelaise, a ainsi réussi à se faire financer un mastère spécialisé à l’ESSEC pour une durée de deux ans dans le cadre du CPF (pour un montant de près de 30 000 euros), réalisé en à raison de 2 à 3 jours tous les 15 jours. « Ayant été délégué du personnel, je connaissais le DIF et donc sa transformation en CPF. Ce que j’ignorais, c’est qu’on pouvait déposer des demandes de financement CPF en autonomie et en toute confidentialité de son employeur ». Le responsable de recrutement de l’ESSEC l’a aiguillé sur le FAFIEC (l’OPCA des métiers du numérique, de l’ingénierie et du conseil, des études). « J’ai eu la chance d’être bien conseillé, de bénéficier d’une interlocutrice efficace à la FAFIEC et de conditions généreuses de financement en 2016. Au final, j’ai utilisé l’intégralité de mes heures DIF et CPF pour une formation diplômante et la FAFIEC a abondé les heures manquantes de façon exceptionnelle » ajoute-t-il.
Son conseil pour obtenir une formation ? « Pensez au Fongecif, aux OPCA, sans oublier les alumni (anciens élèves des écoles) qui sont des mines de conseils ! Quand on veut, tout est possible. Mais il faut avoir de la détermination et une volonté de fer pour se former aujourd’hui.»
Les entreprises restent assez frileuses concernant les formations. Se former aujourd’hui est devenu effectivement compliqué à cause du marché de l’emploi atone, les problèmes de rentabilité des entreprises, et donc la peur de ces dernières de perdre leurs meilleurs employés... Un employé formé est un employé qui pourra partir du jour au lendemain. « C’est ce que j’ai entendu en ce qui me concerne, témoigne Benoît Lacoste. Et pourtant, un employé heureux est un employé fidèle selon moi ».
« Ce sont les gens déjà qualifiés qui utilisent davantage le CPF que les publics les plus fragiles. C’est dommage… Il y a néanmoins de bonnes initiatives, comme OpenClassrooms en lien avec Pôle Emploi, destinées aux chercheurs d’emploi » note-t-il.
L’aménagement de la loi travail
Sans doute consciente de ses travers, la loi travail adoptée fin juillet aménagé le CPF. En créant le nouveau compte d’engagement citoyen, elle permet aux salariés qui mènent des activités bénévoles d’obtenir des droits à CPF de 20 heures par an. Par ailleurs, la loi prévoit de majorer l’alimentation du CPF des personnes sans diplôme ou des jeunes en décrochage scolaire (40 heures par an) avec un plafond à 400 heures afin de faciliter leur accès à une qualification. De nouvelles formations devraient être intégrées dans les listes de CPF : les prestations de bilans de compétences pour les demandeurs d’emploi et les salariés sans ancienneté, les formations des créateurs d’entreprise… Enfin, le CPF sera aussi ouvert aux non salariés, dont les travailleurs indépendants, les professions libérales, avec une liste des formations éligibles spécifique.
« Les débuts du CPF ont été difficiles et compliqués et le site n’a pas été pensé pour l’utilisateur final, à savoir le salarié. Mais je pense que l’offre et les démarches vont s’améliorer », conclut Aymeric Vincent.