Jazz Campus en Clunisois cultive l’art de la transmission
Jazz Campus en Clunisois cultive l’art de la transmission
Par Francis Marmande
Le festival conçu par Didier Levallet fait la part belle aux artistes créatifs comme le Marc Ducret Trio + 3.
A sa double formation (rare) d’élève du conservatoire et de l’école de journalisme de Lille, son jeu (contrebasse leader), ses initiatives (groupes, rencontres, stages, festival), Didier Levallet a toujours ajouté un sens du groupe et de l’entreprise collective parfaitement étranger à la gloriole et au profit personnel. Son festival se veut créatif (ils ne le seraient pas tous ? Non, il s’en faut…), formateur (stagiaires depuis le début, mais aussi un des meilleurs publics de festivals), convivial, sérieux, amical.
« Sideman », émule de Mingus, Levallet a beaucoup donné, et aux côtés des plus grands Américains de passage : notamment Mal Waldron, le pianiste dont on n’est pas près d’oublier les adieux et l’élégante séparation sur scène, en duo avec la chanteuse Jeanne Lee, le 27 août 1999, comme l’ultime note d’un opéra sublime.
Tout cela pour dire que Perception, Confluence, le Swing Strings System, l’ONJ 1997-2000, c’est Levallet ; mais l’ADMI (Association pour le développement de la musique improvisée, 1972), Jazz à Cluny ou la direction de la scène nationale de Montbéliard (Allan), c’est toujours Levallet.
Ceci, qui dira tout : en 2008, dépossédé de son festival (il gagnera cinq procès consécutifs, avec ce que cela représente de temps et d’énergie), il se replie, sans un rond, en campagne avec Jazz Campus en Clunisois : tous les musiciens, les plus notoires, s’y produisent et remettent leur cachet à l’association.
Jazz Campus en Clunisois a retrouvé sa juste place au Théâtre de Cluny, dans les haras et les châteaux avoisinants, mais le temps n’est pas vraiment aux soutiens enthousiastes des nouvelles municipalités pour festivals singuliers, militants et fidèlement suivis.
Didier Levallet présente Jazz Campus 2016
Durée : 13:07
Dentelle inflammable
En scène jeudi 18 août, parfaitement dans le type du festival et de son idée, le Marc Ducret Trio + 3 : Ducret, guitare, Chevillon, contrebasse, Echampard, batterie + Christophe Monniot (sax), Fabrice Martinez (trompette), Samuel Blaser (trombone). Le projet s’intitule Métatonal. On n’a pas la moindre idée de ce mot-valise que l’on comprend pourtant de suite. Un enregistrement porte ce titre (Ayler Records Orkhestra).
Les six musiciens sont placés en demi-lune. Métal, métalepse, atonal, tonneau (figure de voltige aérienne), tonneau tonal, métal hurlant, électricité des Danaïdes, mordant, griffures, éclats éblouissants, fulgurances, jamais de demi-mesure, les récitals concoctés par Marc Ducret ne font que dans la dentelle inflammable.
Inflammable, c’est la deuxième pièce en scène, avec sa routine (figure de tape-dance) sur deux doigts (contrebasse) et batterie, un chef-d’œuvre. Trois façons de reconnaître Ducret dans le noir : sa dégaine de punk athlétique à lunettes noires, son exquise courtoisie vis-à-vis des autres musiciens, une énergie qui pourrait – férocité du son et de l’inhabituel – soulever des armées.
Plus ce délicieux détail. A chaque entrée, il compte et démarre d’un rien d’anacrouse vite bue par le groupe en fusion. Comme une étincelle qui dure. Le trio, au choix, le plus smart des groupes punk ou le plus punk de l’avant-garde en jazz, pourrait figurer sur les scènes où il faut faire bonne figure (ils sont beaux gosses), dans les festivals où l’on ne sort pas du gros rock qui tâche (ils en sortent), sur les plus grandes scènes officielles auxquelles ils font peur (ils ne font pas peur, ils jouent).
Le guitariste Marc Ducret. | JAZZ CAMPUS EN CLUNISOIS
Un défi aux conventions
D’eux trois, la fiche des benêts tout fiers de rédiger leur encyclopédie eux-même dit : « Comme si Boulez rencontrait Jimi Hendrix. » Pas mal trouvé… Si bien trouvé qu’un super benêt a cru devoir avertir (mais qui donc fera un bêtisier de Wikipédia ? Personne ? Parce que c’est un boulot de Titan ?) : [Interprétation personnelle]. En effet…
Dialectes, Kumiho, Times Are Changing (Bob Dylan revisité par Vulcain), un rappel en quartet au bugle, subliminal, inconscient de vérité des virtuosités et autres fredaines, tout concert du Marc Ducret Trio, + 3, + 9, + 12 et ce que vous voudrez, est une fête absolue, un défi aux conventions, même les conventions du bizarre, surtout elles, irrécupérable.
Une des forces de Jazz Campus en Clunisois, c’est que chaque concert ressemble au festival. Chaque concert a l’air de son manifeste, avec les filles, toujours en nombre : Hélène Labarrière, contrebasse, Sylvaine Hélary (flûte traversière et voix), Anne-Laure Bourget (la percussionniste du oudiste Mohamed Abozekry), Patricia Dallio (électro), Eve Risser et son White Desert Orchestra, etc.
A suivre, vendredi 19 août, on y reviendra, avec le Brotherhood Heritage, coproduction de festivals créatifs pour recréer la musique du Brotherhood of Breath : la « Fraternité du souffle ». Big band multiracial venu d’Afrique du Sud aux temps de l’apartheid, conduit par Chris McGregor et Dudu Pukwana avec qui Levallet a joué, l’orchestre a représenté un des énormes moments des fêtes politiques et des délires scéniques. On y reviendra, parce que, vu l’éblouissement que le Brotherhood Heritage a suscité à Coutances (création) et au Mans (sept rappels, la foule danse avec l’orchestre), il est attendu partout comme un orage désiré.