Yohann Diniz lors des championnats d’Europe de Zürich, en 2014. | MICHAEL BUHOLZER / AFP

Qu’il aille chercher son pain ou qu’il se rende au travail, un être humain de constitution normale ne marchera probablement jamais à plus de 6 ou 7 km/h. Le réflexe naturel, en cas de retard à un rendez-vous, par exemple, est de se mettre à courir. Un seul pied en contact avec le sol le moins longtemps possible, un mouvement de jambes en alternance : la course est le moyen naturel, pour des êtres bipèdes, qui permet d’aller le plus vite.

Pourtant, si la discipline reine du fond est le marathon (42 km), ce n’est pas la plus longue des distances olympiques. La plus longue course olympique, c’est bien le 50 km marche, dont le Français Yohann Diniz, recordman du monde en 3 h 32, tente de décrocher sa première médaille olympique à partir de 13 heures, vendredi à Rio. Sur les cinquante bornes de l’épreuve olympique, le marcheur français atteindra une vitesse moyenne d’environ 14 km/h. Et ce pendant plus de trois heures. Bien loin du rythme de croisière d’un randonneur expérimenté ou d’un joggeur débutant. De quoi en faire la plus difficile des disciplines d’endurance ?

Une discipline d’abord technique

Si la marche athlétique pâtit d’un déficit de visibilité, c’est parce qu’elle est considérée comme peu télégénique. Nombreux sont les stéréotypes qui pèsent sur les marcheurs qui avanceraient « en canard », ou qui n’avanceraient d’ailleurs tout simplement pas avec ce mode de déplacement considéré comme lent. Pour Gérard Lelièvre, ancien recordman du monde du 20 km, trois Jeux olympiques à son actif et aussi marathonien, « la marche, par les contraintes techniques et réglementaires, est beaucoup plus difficile que la course à pied ».

En effet, outre les exigences physiques, la marche est une discipline technique, qui demande une réalisation gestuelle parfaite, sous peine pour l’athlète d’être sanctionné, voire disqualifié en cas de fautes à répétition. Le marcheur doit… marcher. S’il se rapproche d’une gestuelle de coureur, il écope de cartons. Trois rouges valent une disqualification. Imaginons un instant un marathonien disqualifié parce qu’il court trop vite ou parce qu’il ne touche pas assez le sol. C’est le lot des marcheurs. Ils doivent toujours « appliquer un contact avec le sol avec le talon d’abord et en déroulant le pied ensuite, avec au moins une jambe tendue le plus possible », explique Gilbert Belin, triple champion de France du 50 km et du 100 km dans les années 1970, et entraîneur de Gabriel Bordier, champion de France junior du 10 000 m. « Aujourd’hui, avec la vitesse que les marcheurs ont acquise, la réalisation du geste est très limite. Le contact obligatoire au sol est très flottant, réduit à son minimum. Si le marcheur n’est pas en ligne, ou commence à plier la jambe, il doit être sanctionné par les juges », poursuit-il.

Les deux marcheurs s’efforcent d’avoir toujours un pied en contact avec le sol. | REUTERS/© Lee Jae Won / Reuters

Sur une épreuve olympique, les juges sont positionnés tous les 100 m, sur le circuit, afin de surveiller au mieux le style des athlètes. Aux Mondiaux de Daegu, en 2011, Yohann Diniz avait été disqualifié du 50 km après avoir reçu trois cartons. « Si vous êtes fatigués, si le rendement musculaire est en baisse, le geste est altéré et cela peut poser des problèmes sur la technique, et les juges peuvent rapidement vous sanctionner », explique Gérard Lelièvre, lui-même disqualifié à Moscou en 1980 et à Los Angeles en 1984. Une rigueur dans le jugement qui fait de la marche une discipline plus exigeante que le marathon.

« L’économie du geste »

Pour tenter de concilier au mieux l’exigence technique et la difficulté physique, les marcheurs doivent procéder à une épure de leur mouvement. Selon Gérard Lelièvre, la marche, c’est « l’économie du geste » :

« Tout est mobilisé en marche et cela accroît l’arrivée de la fatigue. Un 50 km dure environ 3 h 40 pour quelqu’un comme Yohann Diniz, la durée de l’effort est beaucoup plus grande qu’en marathon, par exemple. La marche est une discipline de souplesse du bassin et de coordination et de dissociation, selon les mouvements, des épaules par rapport au bassin, qui accompagne les jambes.
L’importance des bras est cruciale : ils permettent de maintenir l’équilibre et d’entraîner le corps vers l’avant. De même, l’engagement du coude vers l’arrière facilite le mouvement de la hanche. Tout cela en développant de la puissance et de la fréquence au niveau des jambes. Le 50 km, c’est l’économie du geste. »

Si, en marathon, les fondeurs peuvent se permettre de s’évader, de penser à autre chose pour échapper à la souffrance, en marche, l’esprit aussi est mobilisé. Toute déconcentration peut conduire à la faute technique. Impossible, donc, de penser à autre chose qu’à sa gestuelle ou à la tactique de course. « Ceux qui ont des problèmes techniques vont focaliser leur concentration, pour éviter la faute, sur la position des juges… Ceux qui ont moins de soucis vont se concentrer sur la tactique de course, le rythme à mettre, la position des adversaires, la gestion des trajectoires, et oublier la présence des juges », estime Gérard Lelièvre, qui a travaillé plusieurs années au sein de la Direction technique nationale.

De même, l’adrénaline et l’ambiance peuvent déconcentrer les marcheurs. « Il faut essayer d’être le plus raisonnable possible sur ces épreuves olympiques et ne pas se laisser griser. Savoir accepter de ralentir est crucial pour éviter la sanction. Il ne faut pas rentrer dans le jeu des adversaires, qui peuvent vous pousser à la faute », conseille Gilbert Belin.

Finalement, l’un des seuls points communs entre le marathon et la marche réside dans les scandales de dopage qui touchent les deux disciplines. Récemment, le Français Bertrand Moulinet, spécialiste du 20 km, a été suspendu quatre ans après avoir été contrôlé positif à une substance qui facilite la production d’EPO. Pas pour faire une petite randonnée.