La crise du lait en quatre questions
La crise du lait en quatre questions
Par Dominique Gallois
Lactalis, numéro un mondial du secteur, est accusé d’être le plus mauvais payeur de lait en France, fragilisant un peu plus une filière affectée par la chute des cours et la surproduction.
Le groupe Lactalis est le numéro un mondial du secteur laitier. | LOIC VENANCE / AFP
Venus de Bretagne, des Pays de la Loire et de Normandie, les producteurs de lait de l’Ouest de la France sont appelés à manifester, lundi 22 août, devant le siège de Lactalis, à Laval (Mayenne), par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA). Une initiative qui a d’ores et déjà fait réagir le groupe laitier qui dénonçait, jeudi 18 août, un « dénigrement contre-productif ».
Le numéro un mondial du secteur, plus connu pour ses marques comme Lactel, Bridel ou Président, est accusé d’être le plus mauvais payeur de lait en France, fragilisant un peu plus une filière en difficulté affectée par la chute des cours et la surproduction. La contestation vise les 257 euros pour 1 000 litres que paye le groupe aux éleveurs, soit 10 euros à 30 euros de moins que ses concurrents, comme Bongrain, Sodiaal, Bel, Danone ou même des PME du secteur.
- Pourquoi la crise du lait s’installe dans le temps ?
Voilà deux ans que la situation en Europe s’est dégradée, avec la fin des quotas laitiers le 1er avril 2015, le coup de frein aux importations chinoises et l’embargo russe, décrété mi-2014. Il s’en est suivi une surproduction, la demande interne n’ayant pas augmenté. Après avoir atteint 365 euros la tonne en 2014, les cours du lait sont tombés à 305 euros en 2015, avant de glisser autour de 275 euros actuellement.
Mais, comme le rappelle Thierry Roquefeuil, le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), les coûts de production sont estimés en France à 350 euros. « Une catastrophe pour de nombreux producteurs, notamment pour les jeunes », affirme-t-il. De fait, le taux de cessation d’activité dans les 60 000 exploitations françaises, qui emploient 110 000 éleveurs, devrait doubler cette année pour avoisiner les 9 %. Or un éleveur génère « six à sept emplois » allant du chauffeur qui vient collecter le lait au vétérinaire.
- Pourquoi la colère des éleveurs se focalise sur Lactalis ?
Le géant laitier est souvent pointé du doigt pour son manque de transparence, ne communiquant aucune donnée financière, et pour ses relations parfois conflictuelles avec les éleveurs. Ainsi, en avril, lors du congrès du syndicat agricole FNSEA, Emmanuel Besnier, le très secret patron de Lactalis a été pris à partie. Des syndicalistes ont accusé l’entreprise familiale de bâtir un empire en sous-payant les éleveurs laitiers.
Déjà, en juillet 2015, le leader du secteur, qui collecte plus de 20 % du lait français auprès de 17 000 producteurs, pour la grande majorité dans le grand Ouest, avait vu son siège bloqué par 500 tracteurs et un millier de manifestants réclamant une revalorisation.
« Grosso modo, le lait est payé 10 % moins cher que l’an dernier, qui avait également enregistré un recul de 10 % », évalue Dominique Barrau, secrétaire général de la FNSEA. Pour lui, la démarche de Lactalis incite « les autres industriels à tirer les prix vers le bas et à payer moins qu’ils pourraient ».
« En tant que numéro un, il pourrait être du côté des producteurs et les aider », insiste M. Roquefeuil, qui souhaite une revalorisation des prix. Pour le patron de la FNPL, « c’est l’illustration de la politique libérale : il s’agit d’acheter le moins cher possible et de gagner des parts de marchés ». Cela permet de faire des promotions dans les grandes surfaces : « Quand vous achetez six packs de laits pour le prix de trois, c’est sur le dos du producteur. Le consommateur devrait en prendre conscience, insiste-t-il. On est en train de détruire une profession. »
- Quelle est la position du géant laitier français ?
Lactalis réfute l’ensemble de ces critiques rappelant qu’il s’agit avant tout d’une crise de surproduction nécessitant une restructuration.
En réponse à une lettre envoyée le 4 août à Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis, par Xavier Beulin, le patron de la FNSEA, lui demandant une rencontre pour débloquer la situation, le groupe rappelle qu’il ne négocie pas les prix avec les syndicats. Les discussions se font avec son réseau de producteurs avec qui le dialogue n’a jamais été rompu. De plus « on ne peut pas à la fois proposer de se mettre autour d’une table et être sur le pied de guerre en organisant des manifestations », affirme Michel Nalet le directeur de la communication du groupe.
A l’approche de la manifestation, Lactalis dénonce le « discours irresponsable » du « syndicalisme agricole », qui « refuse la réalité du marché et s’en prend à une entreprise en particulier ». Déplorant ce « dénigrement contre-productif », le groupe s’interroge : « Quel modèle souhaite la FNSEA et la FNPL ? Une France laitière en dehors du marché avec une forte réduction des volumes et du nombre de producteurs, ou une agriculture qui essaie de rester parmi les leaders européens ? »
- Que fait Bruxelles ?
La crise touche l’ensemble de l’Europe où les cours, tous à la baisse depuis deux ans, n’évoluent pas de la même façon. La France est le pays où le prix du lait est le plus élevé, supérieur d’environ 15 % à ceux des grands concurrents comme l’Allemagne.
Pour enrayer cette surproduction, la Commission européenne a fait sienne une proposition française en décidant, en juillet, d’y consacrer 500 millions d’euros pour aider les agriculteurs à réduire les volumes. Ces financements seront répartis dans deux enveloppes. La première, de 150 millions d’euros, doit permettre d’inciter les producteurs de lait à réduire leurs volumes, avec un objectif d’une diminution de 1,4 million de tonnes de lait. Les agriculteurs seront rémunérés au prorata des litres non produits (soit environ 10,7 centimes d’euro le kilo de lait).
La seconde tranche, de 350 millions d’euros, sera versée aux vingt-huit Etats membres, selon une clé de répartition liée notamment à la quantité de petites exploitations qu’ils comptent. La France devrait percevoir 49,9 millions. Les capitales pourront ajouter jusqu’à 100 % des sommes reçues, pour venir en aide à leurs agriculteurs.
Un conseil des ministres de l’agriculture est prévu à Bruxelles le 25 août pour définir les modalités d’applications.