Un enfant kamikaze commet un carnage en Turquie
Un enfant kamikaze commet un carnage en Turquie
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Le président Erdogan attribue l’attentat de Gaziantep, qui a fait 51 morts samedi, à l’organisation Etat islamique.
Lors de funérailles de victimes de l’attentat de Gaziantep, le 21 août 2016. | ILYAS AKENGIN / AFP
Gaziantep, la grande ville commerçante du sud de la Turquie, située à soixante kilomètres de la frontière syrienne, a été la cible d’une attaque dans la soirée de samedi 20 août, perpétrée par un jeune kamikaze – entre 12 et 14 ans selon la police – au beau milieu d’un mariage kurde. « Des éléments attestent de ce que l’attaque a été perpétrée par l’organisation Etat islamique. Un garçon âgé de 12 à 14 ans s’est fait exploser. Nous savons que l’EI cherche à s’implanter à Gaziantep depuis longtemps », a souligné le président Recep Tayyip Erdogan lors d’une rencontre avec la presse à Istanbul, dimanche. L’attaque a fait 51 morts, dont 22 enfants de moins de 14 ans ; 69 personnes étaient toujours hospitalisées dimanche.
Samedi soir, à Gaziantep, comme le veut la tradition, les familles étaient venues nombreuses des villes et villages alentour pour participer aux noces célébrées en plein air dans le quartier de Sahinbey, majoritairement peuplé de Kurdes. Alors que les festivités battaient leur plein, un adolescent a déclenché la charge explosive qu’il portait autour de la taille. La police a annoncé avoir retrouvé les lambeaux du gilet. Des témoins ont raconté qu’il était arrivé à la fête en compagnie de deux hommes qui ont ensuite quitté les lieux, le laissant seul au milieu des convives. « Ceux qui ont fait ça ont transformé une fête heureuse en bain de sang », déclare Hisyar Özsoy, député du parti de la Démocratie des peuples (HDP, prokurde), joint par téléphone sur le lieu de l’attentat.
Cellules dormantes
Cet attentat est le plus meurtrier cette année en Turquie, qui en a connu beaucoup depuis l’été 2015, soit de la part des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste), en guerre contre les forces turques dans le Sud-Est, soit de la part de l’organisation Etat islamique (EI), dotée de cellules dormantes partout dans le pays.
Le 28 juin, un triple attentat-suicide a fait 45 morts à l’aéroport international Atatürk à Istanbul. Attribué à l’EI, il n’a jamais été revendiqué. L’organisation, qui jouit de relais dans de nombreuses villes de Turquie, rechigne à signer ses méfaits, de crainte de perdre ses sympathisants sur place.
Proche de la Syrie, Gaziantep, peuplée de près de 2 millions d’habitants, dont de nombreux réfugiés du conflit syrien, est réputée pour abriter des groupes djihadistes. A plusieurs reprises ces derniers mois, des manifestations – en un cortège de quelques voitures – favorables à l’EI ont eu lieu dans la ville. Par ailleurs, des opposants syriens y ont été tués à bout portant et en plein jour par des militants de l’EI, notamment le journaliste Mohammed Zahir Al-Cherqat, tué en avril 2016, ainsi que le documentariste Naji Al-Jerf, assassiné en décembre 2015.
Semer la division
Le président turc a déclaré dès samedi que l’attentat avait été perpétré par l’EI pour semer la division et la haine entre différents groupes ethniques de Turquie – Arabes, Kurdes, Turkmènes. Selon lui, il n’y a aucune différence entre le PKK, la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’être l’instigateur du putsch raté du 15 juillet, et l’EI. « Ces organisations assoiffées de sang et les forces qui les soutiennent ne pourront pas faire taire les appels à la prière, abaisser le drapeau, diviser le pays ni briser la nation », a dit M. Erdogan, quelques heures après l’attentat.
A Gaziantep, les familles endeuillées du quartier de Sahinbey sont gagnées par l’inquiétude. Les Kurdes favorables au HDP se sentent visés, car la famille du marié était connue pour ses sympathies envers cette formation, qui est aussi la vitrine politique du PKK, interdit par les autorités. Les Kurdes disent que le mode opératoire et les personnes visées, des civils kurdes, rappellent les attentats-suicides perpétrés à Diyarbakir, à Suruc, puis à la gare d’Ankara entre juin et octobre 2015, quand des militants de gauche et des Kurdes étaient pris pour cibles. Une branche de l’EI active dans le Sud-Est avait alors été désignée comme l’instigatrice de ces massacres. Le HDP déplore aujourd’hui qu’aucune investigation sérieuse n’ait été menée.
Rôle « plus actif » en Syrie
L’attaque de Gaziantep est intervenue le jour même de l’annonce par le premier ministre, Binali Yildirim, lors d’une table ronde avec la presse étrangère à Istanbul, que la Turquie souhaitait jouer un rôle « plus actif » dans la résolution du conflit syrien. Hormis le rapprochement en cours avec la Russie, les diplomates turcs ont récemment multiplié les contacts avec leurs homologues iraniens. Une rencontre tripartite entre l’Iran, la Russie et la Turquie est en préparation, et le président Erdogan devrait se rendre à Téhéran sous peu.
La Turquie, qui soutient la rébellion au régime syrien, va-t-elle trouver un terrain d’entente avec Moscou et Téhéran qui défendent Bachar Al-Assad ? Jusqu’alors, leurs vues divergeaient sur le sort du président syrien, que M. Erdogan voulait voir partir, contrairement à ses homologues russe Vladimir Poutine et iranien Hassan Rohani.
La position turque se serait assouplie au point d’accepter que Bachar Al-Assad reste aux affaires le temps d’organiser la transition politique. Soumise aux attaques incessantes du PKK dans le Sud-Est, la Turquie prend plus que jamais au sérieux le risque qu’émerge une vaste région autonome kurde dans le nord de la Syrie. Ce souci est devenu plus lancinant que la question du sort du président syrien.