Ahmed Al-Mahdi devant la Cour pénale internationale à La Haye, lundi 22 août 2016. | Patrick Post / AP

Au premier jour de son procès devant la Cour pénale internationale (CPI), lundi 22 août, à La Haye, Ahmed Al-Mahdi a plaidé « coupable ». « J’ai le regret de vous dire que tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent est véridique », a déclaré le Touareg malien. Oui, en juillet 2012, devenu chef de la brigade des mœurs, la sinistre police chargée de faire appliquer la charia dans son interprétation la plus rigoriste, il a fait détruire neuf des mausolées de la ville aux « 333 saints » et enfoncer à la hache la porte de la mosquée Sidi Yahia, au cœur de Tombouctou.

L’ancien membre du groupe armé Ansar Eddine, devenu l’un des conseillers en matière islamique des chefs djihadistes de la ville occupée, s’est présenté devant la Cour « plein de remords et de regrets ». Fils de cette ville où, dans sa jeunesse, il avait usé ses tuniques sur les bancs de l’école coranique, il a demandé aux habitants de Tombouctou et aux Maliens de pardonner « un fils qui s’est perdu en chemin ».

Un djihadiste s'excuse pour la destruction de mausolées au Mali
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« Influencé par des personnes déviantes »

Lunettes rectangulaires, courte barbe en bataille, l’ancien enseignant a glissé que pardonner était une responsabilité des Maliens devant Dieu. Pardonner son « erreur » : celle d’avoir participé au saccage de la ville, alors qu’il avait conseillé aux émirs d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Eddine de ne pas détruire les mausolées « illégaux », car rien dans le Coran ne le préconisait.

« J’ai été influencé par des personnes déviantes d’Al-Qaida et d’Ansar Eddine », s’est-il justifié devant la Cour. En échange de cet aveu, l’accusation a promis de requérir une peine maximale de onze ans de prison. Les juges ne sont néanmoins pas liés par cette transaction, et Ahmed Al-Mahdi risque jusqu’à trente ans de réclusion.

Mais la version publique de l’accord de sept pages entre le procureur et la défense ne dit rien de l’essentiel : l’étendue de la coopération de l’accusé, qui, du printemps 2012 à son arrestation dans un convoi d’armement au Niger en octobre 2014, a fréquenté de nombreux djihadistes du Sahel. Or, cette coopération pourrait aider l’accusation dans son enquête sur les crimes commis au Mali depuis janvier 2012.

D’autant que des organisations de défense des droits de l’homme reprochent au procureur de n’avoir formulé que des accusations partielles contre cet ancien d’Ansar Eddine. En mars 2015, une plainte a été déposée à Bamako contre Ahmed Al-Mahdi et ses coauteurs pour des viols, des tortures et des persécutions. Mais le Touareg malien ne répondra pas de ces accusations devant la CPI, qui a placé la question des destructions du patrimoine de l’humanité au cœur de son affaire.

« Ville défigurée »

Dans une solide déclaration, la procureure générale de la CPI a tenté de contrer les critiques. Fatou Bensouda a décrit « une ville défigurée au point que la population a été meurtrie au plus profond de son âme ». Puis elle a évoqué ces mausolées, qui sont « les reliques d’un grand chapitre de l’aventure intellectuelle et spirituelle de l’homme sur le continent africain qui a fait la renommée de cette ville dans le monde ».

Ce patrimoine culturel, a déclaré la magistrate gambienne, « façonne l’esprit et l’identité de notre propre génération et des générations à venir. Il constitue avec le temps l’archétype de la mémoire sociale qui permet aux individus de se construire et de grandir ». Mais « tout cela a été réduit en poussière dans le cadre d’une opération de destruction menée par l’accusé ».

Mme Bensouda a enfin déploré un XXIe siècle jalonné d’attaques, dénonçant les destructions de Palmyre et, plus récemment, celles de mosquées au nord de Bagdad par l’organisation Etat islamique. Il faut lutter pour préserver le patrimoine, a-t-elle conclu, parce que « l’histoire elle-même, dont les symboles physiques sont en péril, ne nous pardonnera pas notre indifférence ou notre manque de fermeté ». Le procès devrait durer une semaine, les juges entameront ensuite leur délibéré.

Une mosquée à Tombouctou gardée par un soldat français, le 31 janvier 2013. | ERIC FEFERBERG / AFP