Candidature de Nicolas Sarkozy : « sa fragilité, c’est la primaire de la droite »
Candidature de Nicolas Sarkozy : « sa fragilité, c’est la primaire de la droite »
Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », répond aux questions que pose le retour de l’ex-chef d’Etat.
Les questions que pose la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy
Durée : 18:55
Un livre paru le 24 août, un passage dans la grand-messe de 20 heures le même jour sur TF1, l’inauguration d’un nouveau QG parisien : Nicolas Sarkozy est de nouveau en campagne en vue de l’élection présidentielle de 2017. Pour analyser ce retour de l’ex-chef d’Etat, Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde, a répondu en direct aux questions d’internautes sur Facebook.
Dans quelle mesure Nicolas Sarkozy pourra-t-il être rattrapé par ses problèmes judiciaires durant la campagne ?
Françoise Fressoz : C’est effectivement la grande question, puisqu’il est de tous les candidats l’homme qui est le plus mis en examen. Si son nom a été cité dans une multitude d’affaires, concrètement il y a deux mises en examen. L’une dans l’affaire Bygmalion : un dépassement énorme du seuil maximal des dépenses électorales, de 18,5 millions d’euros. L’instruction est terminée, il peut théoriquement être jugé, mais il reste une période de recours. Et surtout il existe une sorte de jurisprudence qui fait que les juges, dans les affaires politiques, font en général une trêve pendant la campagne présidentielle. Donc il y a effectivement un grand suspense sur la tenue ou non du procès.
Il y a une deuxième grande affaire, de corruption et de trafic d’influence : l’affaire de la fausse identité, quand Nicolas Sarkozy téléphonait à son avocat en se faisant appeler Paul Bismuth. Là aussi l’affaire est en train d’être jugée, mais il est peu probable qu’il y ait un procès avant l’élection présidentielle.
Cela dit, il y a une fragilité pour Nicolas Sarkozy : c’est la primaire de la droite. Tous les compétiteurs jurent qu’ils seront extrêmement courtois entre eux, mais on peut très bien imaginer qu’à un moment donné ces affaires reviennent sur la scène publique. Et le maillon faible, je pense que c’est Jean-François Copé, qui veut concourir à la primaire. Et entre Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy, il y a cette affaire Bygmalion. Tout le vernis dans lequel se met Nicolas Sarkozy pour dire « je suis un nouvel homme entièrement dévoué à l’intérêt public » peut très bien craquer parce qu’on va lui rappeler son passé et ces affaires.
N’aurait-il pas dû attendre la décision des juges pour se présenter à une élection présidentielle ?
Ce n’est pas dans la nature de Nicolas Sarkozy de penser cela. Il a toujours estimé face aux juges qui le poursuivaient qu’il était dans la position de la victime. Avoir l’attitude qu’aurait pu avoir Juppé de dire « je vais être jugé, je paye pour mes fautes ou celles des autres, et ensuite j’y vais », ce n’est pas dans sa mentalité. Lui a toujours mené un combat contre les juges et c’est en victimisant qu’il a réussi à agglomérer autour de lui un petit noyau de supporteurs qui l’ont porté et qui lui ont permis de se représenter. Lui n’a « pas commis de faute », c’est ce qu’il va essayer de nous dire jusqu’au bout.
Immigration, identité, ... aura-t-on droit aux mêmes recettes qu’en 2007 ?
Il y a eu une évolution sur ces questions de la part de Nicolas Sarkozy. En 2007, il tentait de séduire une partie de la gauche. Souvenez-vous qu’il était par exemple pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Il avait essayé d’atténuer la double peine.
C’est juste au milieu de son quinquennat, lors du discours de Grenoble, qu’il a essayé de prendre cette attitude très identitaire parce qu’il s’est rendu compte qu’il n’arrivait plus à juguler la montée du Front national. En 2007, il avait essayé de juguler cette montée en disant « travailler plus pour gagner plus », c’est-à-dire essayer de remettre en avant l’ascenseur social. Il avait joué très fortement la question sociale. C’est un échec avec la crise économique de 2008 et à partir de ce moment-là il va jouer la carte identitaire pour essayer de contrer le FN.
Ça ne marche pas, puisqu’il n’est pas réélu, mais il continue de jouer cette carte-là. Il l’accentue même et essaye de récupérer cet électorat de droite qui a l’impression de vivre un déclassement, l’impression que la France n’est plus la France à cause de l’immigration, de l’islam, ... Donc il va sur ce terreau frontiste et est de tous les candidats à la primaire celui qui va le plus loin, notamment par exemple sur le regroupement familial, qu’il veut interdire tant que de nouveaux accords de Schengen n’auront pas été négociés. Il va donc jouer cette carte-là, avec le risque, assez fort à mon avis, d’accentuer les turbulences de la société française.
Nicolas Sarkozy pourra-t-il sincèrement soutenir Juppé si celui-ci remporte la primaire de la droite et du centre ?
Ma réponse pourra peut-être vous surprendre, mais je dirais que oui. Car il y a chez ces compétiteurs politiques, et notamment chez Nicolas Sarkozy, une attitude politique qui fait que tant que vous êtes dans le combat, vous menez le combat acharné, vous pouvez critiquer. Mais au moment où votre camp peut gagner, vous vous ralliez à celui qui peut l’emporter. Et je pense qu’il sera capable de le faire. Les relations entre les deux hommes ne sont pas mauvaises. Juppé a accepté d’être le ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy. Ils ont bien travaillé ensemble. Parfois Nicolas Sarkozy parle très mal de François Fillon, par exemple, qu’il n’a jamais vraiment estimé, mais il estime Juppé.
Les récents attentats en France peuvent-ils profiter à Nicolas Sarkozy ?
Je pense qu’ils peuvent lui profiter dans la mesure où ces attentats remettent en avant l’affaire régalienne, c’est-à-dire la capacité de protection du président de la République. Là dessus, il n’est pas plus capé que les autres candidats. On peut même dire qu’il a commis des erreurs assez graves durant son quinquennat : avoir supprimé la police de proximité ou avoir réformé les renseignements généraux, ce qui a provoqué pendant toute une période des problèmes sur ces renseignements. Mais il y a en même temps cette envergure de l’homme qui a connu la tempête. C’était la tempête économique de 2008, et donc on sait qu’il a pu gérer des crises graves.
Où en est-il dans sa position vis-à-vis de l’Union européenne ?
C’est une très bonne question, car c’est ce qui m’interpelle dans le projet de Nicolas Sarkozy. Sur le plan économique, son projet consiste à dire « je vais commencer par baisser les impôts avant de réduire les déficits ». Autrement dit : « Je vais commencer par creuser les déficits », alors que vous savez que l’Allemagne et le reste de l’Union européenne nous ont fait la guerre sous le double quinquennat Sarkozy et Hollande parce qu’on ne tenait pas ces déficits. Malgré les critiques, il maintient sa position en disant « je ne veux pas être élu sur le sang, la sueur et les larmes », donc on sent qu’il s’affranchit des règles européennes. Autre chose très marquante, son envie de faire le bras de fer sur Schengen. Donc je pense qu’il est dans la situation de vouloir faire l’épreuve de force avec l’UE, mais qu’il ne le dit pas complètement encore aujourd’hui pour ne pas être mis au ban de l’Europe.