La Colombie conclut les négociations avec les FARC
La Colombie conclut les négociations avec les FARC
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
L’accord de paix, qui prévoit la démobilisation de la guérilla, sera signé à Bogota et soumis à l’approbation des électeurs.
Poignée de main historique entre le chef négociateur des FARC, Ivan Marquez (à gauche), et celui du gouvernement, Humberto de la Calle, devant le ministre cubain des affaires étrangères, Bruno Rodriguez, à La Havane, le 24 août 2016. | RAMON ESPINOSA / AP
Le gouvernement colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche) sont arrivés à un accord de paix, après cinquante-deux ans de conflit armé. Il a été annoncé mercredi 24 août à La Havane, où se tenaient les négociations depuis quarante-quatre mois.
La conclusion des pourparlers ne vaut pas encore accord de paix définitif. Pour entrer en vigueur, le texte doit être signé par le président colombien, Juan Manuel Santos (centre droit), et par le chef des FARC, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, à Bogota. Enfin, et surtout, il doit être ratifié par les électeurs, appelés à se rendre aux urnes le 2 octobre, jour du plébiscite promis par le président Santos. D’ici là, les FARC tiendront en Colombie leur dixième et dernière conférence nationale, afin de soumettre à leur base le résultat des négociations et voter leur transformation en parti politique. Quelque 500 guérilleros devraient se réunir, sous la protection de l’armée, dans l’est du pays.
« La guerre est finie » : en écoutant Humberto de la Calle, le chef négociateur du gouvernement, prononcer ces mots mercredi soir, plus d’un téléspectateur a eu les larmes aux yeux. L’immense majorité des 47 millions de Colombiens n’a jamais connu un pays en paix. Les réseaux sociaux s’étaient enflammés dès lundi, quand les rumeurs concernant la fin imminente des négociations ont commencé à courir. Trois ministres se trouvaient depuis samedi à La Havane, où les négociateurs des deux camps travaillaient à marche forcée. Les partisans d’une solution négociée ont massivement exprimé leur bonheur en 140 caractères. « Je ne croyais pas de mon vivant voir la chute du mur de Berlin ni la démobilisation des FARC », écrit sur son compte Twitter le dessinateur Vladdo.
Jamás pensé que iba a ver la caída del muro de Berlín ni la desmovilización de las #Farc. #BienvenidaLaPaz https://t.co/XYpCXqzbDD
— VLADDO (@Vladdo)
« La fin de la souffrance »
A Bogota, ils n’étaient guère nombreux dans la rue, mercredi soir, pour fêter l’accord historique. Sur la place dite « des hippies », dans le quartier de Chapinero, quelques centaines de personnes se sont réunies dès 18 heures pour écouter les discours de La Havane sur écran géant. Vivats et embrassades ont été rapidement dispersés par la pluie. « Une victoire en foot est plus fêtée que la paix », s’étonne Claire Launay, une Française installée depuis dix ans en Colombie. Pas un klaxon, pas une musique ne résonne dans les rues.
« Aujourd’hui commence la fin de la souffrance », a déclaré le président Juan Manuel Santos au cours d’une allocution télévisée. Le conflit armé laisse un lourd bilan. Les estimations officielles font état de 220 000 morts et plus de 7 millions de déplacés, essentiellement des paysans et leurs familles chassés de leurs terres par les combats et par les milices paramilitaires d’extrême droite. Le conflit colombien a été un conflit surtout rural.
Une règle avait présidé aux négociations : « Rien ne sera décidé tant que tout ne sera pas décidé. » C’est dire que les accords partiels qui ont été rendus publics en cours de route n’avaient pas de valeur, avant la conclusion de l’accord global. Ces accords partiels portent notamment sur le développement rural, la réparation des victimes, les mécanismes de justice transitionnelle ou encore les conditions du cessez-le-feu bilatéral et de la démobilisation des guérilleros.
Combien sont-ils ? L’armée donne depuis plusieurs années le chiffre de huit mille. Les FARC n’ont jamais fourni d’information sur leurs effectifs. Une seule certitude : près de 40 % des guérilleros sont des femmes.
Dès la signature officielle de l’accord de La Havane, tous se cantonneront dans les 31 zones délimitées par les négociateurs. L’ONU participera à la supervision du cessez-le-feu. Les conditions de la réincorporation des guérilleros à la vie civile et de la transformation des FARC en parti politique ont été précisées mercredi. Une fois démobilisés, les membres de l’organisation seront représentés de droit au Congrès : durant deux législatures, ils seront assurés d’obtenir cinq députés et cinq sénateurs, quel que soit le résultat obtenu dans les urnes.
« C’est un nouveau départ »
L’accord de paix prévoit la mise en place de deux organismes chargés d’en assurer le succès. Un « Conseil national de réincorporation » assurera le suivi du processus de réintégration des guérilleros démobilisés à la vie civile. La Colombie, qui n’en est pas à son premier processus de paix, a une longue expérience en la matière. Une « Commission de suivi et de vérification de l’accord national de paix et de résolution des différends » verra également le jour, avec trois membres désignés par le gouvernement et trois par les FARC.
« L’accord de paix n’est pas un aboutissement, c’est un nouveau départ », a déclaré le chef négociateur de la guérilla, Ivan Marquez. Gouvernement et FARC s’accordent sur ce point : l’accord ne prétend pas seulement mettre fin au conflit, il veut en éradiquer les causes et construire un nouveau pays. Les défis sont immenses.
A court terme, le débat politique se centre sur le plébiscite du 2 octobre, qui doit permettre aux électeurs d’approuver ou de refuser l’accord négocié. La victoire du oui n’est pas acquise. Les détracteurs du processus de paix détestent l’idée que des guérilleros coupables de crimes puissent échapper à la prison et s’inquiètent de voir la Colombie sombrer dans le « castro-chavisme ». Le chef de file du camp des « anti » est l’ancien président Alvaro Uribe, qui demande la renégociation immédiate des accords. « L’accord n’est pas parfait, mais c’est le meilleur accord possible », leur a répondu Humberto de la Calle.
Du Vietnam à l’Irlande, l’expérience dit que négocier la paix prend du temps. En annonçant, fin 2012, l’ouverture de la phase officielle des négociations, le président Santos avait imprudemment déclaré que la signature d’un accord de paix était « une question de mois ». Les FARC ne l’ont pas entendu ainsi. Les guérilleros ont démenti les observateurs, qui les croyaient pressés de négocier pour éviter les dissidences. « Quatre ans de négociations pour mettre fin à un conflit vieux d’un demi-siècle ? Nous sommes dans les temps », souligne le guérillero Lucas Carvajal.
La guérilla de l’ELN
La fin des négociations de La Havane n’est pas synonyme de paix pour les Colombiens. Une autre organisation d’extrême gauche n’a toujours pas renoncé à la lutte armée. L’Armée de libération nationale (ELN) est une guérilla castriste fondée en 1964, à la même époque que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), liées au Parti communiste prosoviétique. Ces derniers mois, l’ELN a multiplié les actions, pour imposer ses propres conditions de négociation à Bogota. Les « Elenos » ont la…