Le régime syrien reprend Daraya, symbole de la révolte
Le régime syrien reprend Daraya, symbole de la révolte
Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)
L’évacuation des milliers d’insurgés et de civils du fief rebelle assiégé depuis 2012 commence vendredi.
Les véhicules du Croissant-Rouge syrien sont entrés à Daraya vendredi 26 août. | YOUSSEF KARWASHAN / AFP
Daraya est tombée. Dans cette ville de la banlieue de Damas, symbole de la révolte syrienne lancée en 2011 contre le régime de Bachar Al-Assad, soumise à un long et implacable siège, il ne restera bientôt plus ni civils ni combattants rebelles. Et Daraya, théâtre d’un effroyable massacre en 2012, perpétré, selon des témoins et des ONG, par des miliciens pro-Assad, en la présence de soldats, deviendra bientôt une zone militaire.
C’est dans une ville détruite à 90 % par les incessants pilonnages du régime, parfois au moyen de bombes barils, et par les affrontements, que l’armée entrera. Selon les médias officiels syriens, qui ont annoncé l’accord jeudi 25 août, près de 700 combattants et de 4 000 civils doivent quitter Daraya. Sur place, des activistes estiment pour leur part que quelque 8 000 personnes sont encore dans la localité, vidée au fil des ans et des bombardements de l’essentiel de ses habitants.
Le début de l’évacuation est attendu vendredi 26 août. En vertu de l’entente, les combattants doivent déposer leurs armes lourdes et de moyen calibre, et rejoindre, à 300 kilomètres plus au nord, la région d’Idlib, un fief de l’opposition contrôlé par la coalition Jeich Al-Fatah (« l’Armée de la conquête »), dominée par des groupes islamistes radicaux. Quant aux civils, ils doivent gagner des régions de Damas sous contrôle du gouvernement. Les conditions du départ n’ont pas été précisées au-delà de la participation du Croissant-Rouge syrien à l’opération, dont les premiers véhicules sont entrés vendredi matin dans la ville dévastée.
Des conditions dictées par une délégation du gouvernement
Selon le témoignage de Hussam Ayash, un rebelle de Daraya, recueilli par l’agence Associated Press (AP), les conditions de l’accord ont été dictées par une délégation du gouvernement à une équipe de la ville rebelle chargée des négociations.
« Il ne restera personne [à Daraya]. Nous sommes forcés à partir, mais nos conditions se sont tellement détériorées qu’elles sont devenues insupportables. Nous avons résisté pendant quatre ans, c’est désormais devenu impossible. »
Le militant a évoqué le bombardement et la destruction, la semaine passée, du dernier hôpital de campagne encore debout, ainsi que la difficulté croissante pour les habitants, à cause des avancées de l’armée, de cultiver les terres agricoles, dont ils tiraient une part importante de leur nourriture, en plus de l’aide clandestine d’ONG qui parvenait parfois.
Pour les autorités de Damas, la reddition de Daraya est une victoire. Comme à Homs en 2014, où combattants et civils, acculés par le siège et les bombardements, avaient fini par quitter la vieille ville, le régime obtient, par l’effet de l’encerclement imposé à la fin de l’année 2012, la disparition de ce carré insurgé aux portes de Damas. L’armée a enregistré des gains au cours des derniers mois dans la banlieue de la capitale, et la chute de la ville permet de les consolider.
Etranglement de la ville
Le pouvoir entend aussi, par la prise de Daraya, sécuriser l’aéroport militaire de Mazzeh, situé à proximité. Depuis des mois, les autorités évoquaient la présence de djihadistes du Front Al-Nosra (renommé Front Fatah Al-Cham depuis leur rupture formelle avec Al-Qaida), démentie par les activistes de l’opposition, pour justifier l’étranglement de la ville et leur refus initial d’inclure le bastion rebelle dans le cessez-le-feu négocié en février par Washington et Moscou. A Daraya, deux groupes rebelles locaux ont constitué l’essentiel des forces rebelles : la brigade des martyrs de l’Islam et Ajnad Al-Cham, alliance de groupes islamistes.
Alors qu’en février, à la suite de pressions politiques, de l’aide était acheminée vers plusieurs autres zones assiégées, Daraya, où la faim a parfois été telle que les habitants en ont été réduits à manger de l’herbe, en était restée exclue. Quelques mois plus tard, en mai, alors qu’un convoi humanitaire avait rejoint les derniers barrages encerclant Daraya, il avait été empêché d’y entrer à la dernière minute, malgré l’accord reçu des autorités. Les humanitaires s’étaient également vu intimer l’ordre de retirer l’essentiel de la cargaison. Pis, les habitants de la localité amassés derrière les barrages pour recevoir l’aide tant attendue avaient été visés par des tirs d’obus. En quatre ans de siège, un seul convoi de nourriture de l’ONU aura finalement rejoint la ville, en juin.
Les militants de la première heure de la révolution, membres de la société civile encore présents en Syrie ou exilés, expriment depuis jeudi sur les réseaux sociaux leur désarroi et leur tristesse face aux nouvelles de la chute de Daraya, restée comme un symbole du rêve porté par les manifestants de 2011. La résistance civile s’était organisée dans la ville, notamment en termes d’éducation pour les enfants et de gestion des ressources pour les habitants.
La perte de Daraya, présentée comme le fruit de négociations locales, survient toutefois alors que d’intenses contacts ont lieu entre les puissances étrangères impliquées dans le conflit en Syrie.